En temps normal, le cœur de l’été est un peu la chasse gardée des reprises de tout genre, qui se disputent alors avec quelques mastodontes américains les rares spectateurs restés chez eux. En cette année 2021 si atypique, on dirait plutôt que c’est la chasse ouverte, sans quelque règle de solidarité interprofessionnelle que ce soit. Les très nombreuses sorties d’ici la fin du mois d’août devront donc batailler dur pour ne pas tomber victime du carnage commercial, causé par l’embouteillage de films suite à huit mois de fermeture des cinémas français. Dans ce contexte fortement concurrentiel, les distributeurs de films de patrimoine ont fait preuve de discernement, en ne surchargeant pas davantage l’agenda des sorties.
Sur les quatre mercredis du mois de juillet, vous aurez donc une vingtaine de films à découvrir ou à retrouver. Ces derniers se répartissent en trois rétrospectives aussi incontournables que complémentaires, dédiées respectivement aux réalisateurs Maurice Pialat, Fernando Di Leo et Tsai Ming-Liang, ainsi qu’en une dizaine de films plus ou moins rares. En effet, pardonnez-nous notre flemme intellectuelle de ne pas avoir cherché plus loin pour les regrouper que leur degré de popularité. Mais après tout, comment faire autrement, face à cette belle sélection mensuelle truffée de petites perles disparates, venues d’Italie, de Hong Kong, de France, d’Espagne et du Sénégal ?
Rétrospective Maurice Pialat
Avec cette première partie de l’intégrale consacrée cet été par le distributeur Capricci à Maurice Pialat (1925-2003), nous ne sommes certes pas encore arrivés au bras d’honneur tendu par l’immense réalisateur français aux opposants à sa Palme d’or obtenue en 1987 au Festival de Cannes pour Sous le soleil de Satan. Il n’empêche que les films de Pialat ont presque toujours provoqué des controverses plus ou moins violentes. C’est la marque de fabrique et le signe d’honneur d’un cinéma intransigeant, à fleur de peau. A retrouver en salles par le biais de la première partie du cycle en cinq films dès mercredi prochain, le 7 juillet.
Les quatre autres – de A nos amours jusqu’à Le Garçu – feront partie de la deuxième fournée, prévue de sortir un mois plus tard, le 4 août. Quant à Van Gogh, il devrait bénéficier d’une date de sortie à part, a priori prévue pour le 27 octobre, ce qui coïnciderait avec le trentième anniversaire de sa sortie initiale.
Il suffit de regarder les titres des premiers films de Maurice Pialat pour se rendre compte que c’est un cinéaste qui ne faisait pas, mais vraiment pas, dans la complaisance. Après avoir tourné des courts-métrages souvent documentaires pendant quinze ans, le réalisateur était passé au long en 1968 avec L’Enfance nue. Ce drame sur l’enfance lui avait valu d’emblée le Prix Jean Vigo. Il avait surtout donné le ton d’une austérité tragique, qu’on allait retrouver par la suite dans le drame sur le divorce Nous ne vieillirons pas ensemble avec Marlène Jobert et Jean Yanne – Prix d’interprétation masculine à Cannes en 1972 –, La Gueule ouverte sur une famille qui veille au lit de mort de la mère, le drame d’adolescents Passe ton bac d’abord et le triangle sinistrement amoureux formé par Gérard Depardieu, Isabelle Huppert et Guy Marchand dans Loulou.
Que des sujets très avares en termes de légèreté estivale en somme, mais dont les récits ont été magnifiés sans exception par la maîtrise cinématographique hors pair de Maurice Pialat, le véritable enfant terrible du cinéma français du siècle dernier !
Rétrospective Fernando Di Leo
Il faudra patienter trois semaines supplémentaires, jusqu’au 28 juillet, pour la prochaine rétrospective, à l’aspect générique complètement différent par rapport à l’œuvre de Pialat. Mary-X Distribution fait ainsi figure de découvreur de trésors cachés, grâce aux trois films du réalisateur italien Fernando Di Leo (1932-2003). Il s’agit de films de gangsters qu’il avait tournés à la suite en 1972 et ’73, juste après Les Insatisfaites poupées érotiques du docteur Hitchcock. Restés absents depuis très longtemps des écrans français, à l’exception d’une discrète projection de Milan calibre 9 à la Cinémathèque Française au début des années 2010, ils étaient sortis en blu-ray au printemps dernier chez Elephant Films. Notre expert inlassable des galettes Mickaël en chantait les louanges ici.
Alors que Milan calibre 9, l’un des films de chevet de Quentin Tarantino, est sans doute la pièce maîtresse de cette trilogie du milieu informelle, les deux autres vaudront certainement aussi le détour. Ne serait-ce que pour revoir les tronches de Mario Adorf, Henry Silva, Woody Strode et Richard Conte, pour la plupart des rescapés du cinéma américain de genre des années 1950 et ’60, qui arrondissaient alors leurs fins de mois en prêtant leurs gueules inimitables aux productions européennes et plus spécifiquement italiennes.
Rétrospective Tsai Ming-Liang
Prévue initialement pour coïncider avec la grande exposition Tsai Ming-Liang (* 1957) au Centre Pompidou, finalement reportée en 2022 à cause de la crise sanitaire, la rétrospective en trois films du réalisateur taïwanais aura lieu à partir du 28 juillet également, grâce à Splendor Films. Alors qu’on attend toujours la sortie française de son film le plus récent, Rizi présenté au Festival de Berlin en 2020, et que du coup il faudra remonter au printemps 2014 pour trouver son dernier film distribué dans nos salles Les Chiens errants, ce cycle permettra de renouer avec ses débuts plus que prometteurs de réalisateur de drames à l’ambiance poisseuse dans les années ’90.
L’un des rares cinéastes asiatiques à explorer ouvertement la confusion des genres, Tsai s’était ainsi imposé sur le circuit des festivals internationaux dès son premier film Les Rebelles du dieu néon, sélectionné au Panorama du Festival de Berlin en 1993. Son deuxième, Vive l’amour, lui avait même valu le Lion d’or au Festival de Venise en 1994. Sans vouloir mettre en question ses qualités artistiques, nous en avons pourtant gardé le souvenir de l’un des films les plus déprimants que nous ayons vus. Enfin, La Rivière, toujours avec son acteur attitré Lee Kang-Sheng, avait décroché un Ours d’argent Prix spécial du jury à Berlin 1997.
Pour voir l’intégrale des films de Tsai Ming-Liang, dont les trois sélectionnés en compétition à Cannes The Hole, Et là-bas quelle heure est-il ? et Visage, il faudra toutefois s’armer encore d’un peu de patience, sous réserve que l’année prochaine ne soit plus placée sous le signe des confinements successifs.
Les raretés
L’Histoire du cinéma est tellement riche en terrains qu’il reste à défricher qu’on ne remerciera jamais assez les vaillants distributeurs spécialisés qui osent s’y aventurer. Ce mois-ci, au moins quatre films de retour au cinéma participeront à l’élargissement de votre culture cinéphile. Entre inédits et titres passés un peu inaperçus lors de leur première sortie, il y a amplement de quoi faire pour occuper vos longues soirées d’été. Cela se passe essentiellement les deux mercredis au milieu du mois, le début étant réservé aux grands classiques et la fin aux deux rétrospectives précitées.
Ainsi, le 14 juillet, jour de fête nationale, vous aurez l’embarras du choix entre l’un des premiers films du maître mexicain du fantastique Guillermo Del Toro, l’un des premiers films du maître du cinéma africain Ousmane Sembene et une œuvre inclassable, peut-être pas si obscure que ça, quoique définitivement conçue en dehors des sentiers battus de la perception raisonnable.
En 2001, Del Toro tournait son troisième film L’Échine du diable dans le troisième pays, l’Espagne, après le Mexique pour Cronos et Mimic aux États-Unis. Notre avis plutôt mitigé sur ce conte historique n’attend qu’à être révisé, grâce à sa ressortie chez Carlotta Films en une nouvelle restauration 2K. Le Mandat de Ousmane Sembene est le genre de conte moral intemporel encore susceptible de passionner, même plus d’un demi-siècle après sa sortie. Enfin, notre vocabulaire ne suffit pas pour décrire le tour de force que Isabelle Adjani livre dans Possession de Andrzej Zulawski, pour lequel elle avait gagné le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1981 et le César de la Meilleure actrice l’année suivante !
Puis, le 21 juillet, ce seront les retrouvailles avec Leslie Cheung dans la comédie culinaire Le Festin chinois de Tsui Hark, un réalisateur surtout connu en France pour ses épopées historiques. Le dernier film auquel il a participé, le film à sketchs sur l’Histoire de Hong Kong sélectionné au dernier Festival de Cannes Septet The Story of Hong Kong devrait par ailleurs sortir en France début octobre. Le même jour, les expatriés italiens pourraient enfin faire découvrir à leurs amis français les frasques dignes de Buster Keaton de Paolo Villaggio dans Fantozzi de Luciano Salce, immense succès public du cinéma italien du milieu des années ’70, resté jusqu’à présent inédit en France.
Les classiques
Pour bon nombre de cinéphiles nostalgiques, il n’y a que les grands classiques qui comptent. Il convient par conséquent de se les remémorer à intervalles réguliers. Pour clore notre chronique mensuelle, voici donc les quatre films qu’il n’est pas si rare de voir repasser sur les écrans des cinémas de répertoire.
Dès mercredi prochain, vous pourriez vous émerveiller à nouveau devant le jeu exquis du chat et de la souris que Audrey Hepburn et Cary Grant se livrent dans Charade de Stanley Donen, lors de sa cinquième ressortie officielle depuis le début du siècle, la dernière remontant à avril 2018 ! Également le 7 juillet, Les Acacias nous gratifient d’une belle nouvelle restauration en 4K de l’un des films les plus sublimement sentimentaux sur l’amour du cinéma et l’amour tout court. Nous parlons bien sûr de Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore que nous avions revu il n’y a pas si longtemps, dans le cadre de sa ressortie précédente, dans le temple éphémère du cinéma de patrimoine qu’étaient Les Fauvettes. Vous trouverez notre critique dithyrambique ici.
Le documentaire musical Buena Vista Social Club de Wim Wenders avait fait sensation dans le monde entier lors de sa sortie initiale en 1999. Permettez-nous de lui préférer un pendant américain hélas resté beaucoup plus obscur, que l’on ne reverra certainement plus jamais sur grand écran : Motown La Véritable histoire de Paul Justman sorti un peu tardivement en France fin 2003. On risque donc de passer à côté de cette proposition de réévaluation, de retour sur les écrans dès le 14 juillet.
De même – et on est tout à fait d’accord que là, ça frôle le sacrilège ! –, notre ressenti face à In the Mood for Love de Wong Kar-Wai n’avait pas non plus été marqué par un sursaut romantique hors normes. A partir du 21 juillet, nous aurons droit de tomber en quelque sorte amoureux pour la première fois de Tony Leung et Maggie Cheung dans cette ode à l’amour impossible, qui avait marqué une génération tout entière de passionnés de cinéma.