On aurait pu croire qu’après plus de trois mois d’interruption forcée, les distributeurs de films de patrimoine nous inondent de perles plus ou moins rares de l’Histoire du cinéma. Or, le principal enseignement rassurant qu’on peut tirer du programme des ressorties de ce premier mois de l’été, c’est que l’immense majorité des sociétés de distribution sont revenues à peu près intactes de cette longue période de mise en veille économique. Une petite dizaine de promoteurs des trésors enfouis du cinéma d’ici et d’ailleurs s’aventurent ainsi en salles au cours des cinq mercredis que compte le mois de juillet 2020.
Il n’y a qu’une seule rétrospective d’envergure à signaler parmi la vingtaine de films proposés. Les noms prestigieux ne manqueront pourtant pas afin de vous faire aimer encore plus passionnément le cinéma de papa, grâce aux œuvres réalisées par David Cronenberg, Stephen Frears, Alan Parker, Stanley Donen, Hou Hsiao-Hsien, Mike Leigh, Vittorio De Sica, Alberto Lattuada, Christopher Nolan et Shohei Imamura. Que du beau monde, en somme !
Le morceau de résistance du mois, voire de la saison, est à l’affiche dès aujourd’hui, par voie de la collaboration l’année dernière entre l’Institut Lumière et son festival de films restaurés à Lyon et la filiale française de la Warner. Sous le titre « Forbidden Hollywood », dix films issus de la brève période enchantée, entre les débuts du cinéma parlant et le coup de massue de la censure réactionnaire promulguée à travers le code Hays, font leur grand retour sur les écrans français. Avant qu’il ne soit interdit dans les productions hollywoodiennes de s’embrasser pendant plus de quelques secondes, de montrer les couples partager le même lit, d’évoquer l’homosexualité, l’avortement ou les relations entre personnes de races différentes, ces pépites ont participé activement et plutôt joyeusement à assouvir les fantasmes du public américain.
Certes, ne vous attendez pas trop à dénicher des chefs-d’œuvre injustement ignorés parmi ces films réalisés par de bons artisans tels que Clarence Brown, Michael Curtiz, William Dieterle et William A. Wellman. Mais l’immersion dans cette époque lointaine vaut néanmoins le détour, grâce aux premiers pas devant la caméra de futurs monstres sacrés ou de noms hélas tombés dans l’oubli depuis, comme Joan Blondell, Jean Harlow, Norma Shearer, Barbara Stanwyck et Loretta Young, ainsi que George Brent, James Cagney, Clark Gable et William Powell.
Puisqu’il nous paraît difficile de structurer les sorties réparties assez régulièrement au fil des semaines, permettez-nous d’avoir recours au bon vieux regroupement par origine géographique. Les sept films européens viennent en binôme ou en trio de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni.
Pour une fois, les deux films français sont peut-être ce qu’il y a de plus obscur dans la sélection des ressorties. Car Themroc de Claude Faraldo, distribué dès ce jour par Tamasa, ne doit au fond sa ressortie en catimini qu’à la disparition récente de l’un de ses acteurs, l’immense Michel Piccoli. En salles à partir de mercredi prochain grâce à Solaris Distribution, La Danse de mort de Marcel Cravenne compte parmi ces films d’après-guerre qui ne doivent leur survie en quelque sorte qu’aux personnages plus grands que nature que Erich von Stroheim savait si bien interpréter avec un flair de noblesse tragique, mais sans la moindre grandiloquence.
Les deux représentants britanniques occupent des places diamétralement opposées dans la filmographie de leurs réalisateurs respectifs. The Hit de Stephen Frears, sortie également la semaine prochaine grâce à Mary X Distribution, et High Hopes de Mike Leigh, chez Splendor Films deux mercredis plus tard, datent ainsi vaguement de la même époque, 1984 pour l’un et 1988 pour l’autre. Tandis qu’il faudra remonter au moins une décennie avant de trouver un film à peu près passionnant de Frears – et encore, on pense faire partie d’une minorité minuscule ayant adoré Chéri – son confrère cadet Leigh continue sans relâche d’enrichir sa filmographie magistrale. Quoiqu’il en soit, les deux films remis à l’honneur ce mois-ci prouvent que les deux réalisateurs sont tout à fait capables du meilleur : des films de genre intenses pour Frears et des satires cinglantes sur la classe populaire anglaise pour Leigh !
Il faudra attendre jusqu’à la fin du mois pour retrouver le cinéma italien dans toute sa splendeur. Le 22 juillet, les Films du Camélia nous ressortent Le Jardin des Finzi Contini de Vittorio De Sica, Ours d’or au Festival de Berlin en 1971 et Oscar du Meilleur Film étranger l’année suivante. Nous avons eu un peu de mal avec cette chronique historique lors de sa ressortie précédente il y a treize ans. Mais qui sait, peut-être cette deuxième chance nous permettra-t-elle d’apprécier davantage l’un des derniers films du réalisateur de Le Voleur de bicyclette ?
La semaine suivante, deux films distribués en version restaurée 4K par Les Acacias vous donneront l’occasion de vous familiariser avec le travail d’un réalisateur rarement remis en avant, Alberto Lattuada. Un an et demi après Venez donc prendre le café chez nous, Guendalina et Les Adolescentes ne sont en effet que le deuxième et le troisième film du réalisateur à ressortir en France en près de dix ans, si l’on ne compte pas sa participation au film à sketchs L’Amour à la ville, en salles depuis la réouverture des cinémas.
Les productions récentes venues d’outre-Atlantique ont beau bouder cet été placé sous le signe de l’incertitude sanitaire à travers le monde, quatre films nord-américains vous feront patienter plus que confortablement jusqu’à la sortie maintes fois repoussée de Tenet de Christopher Nolan, Mulan de Niki Caro et tant d’autres. Tiens, justement pour meubler en quelque sorte la case au début retenue pour l’aventure fantastique avec John David Washington et Robert Pattinson, la Warner nous ressort Inception du même réalisateur le dernier mercredi du mois, soi-disant à l’occasion de son dixième anniversaire. Plus ou moins à l’autre extrémité de juillet, c’est-à-dire la semaine prochaine, Carlotta Films ose nous confronter au réellement iconoclaste et inclassable Crash de David Cronenberg, Prix du jury au Festival de Cannes en 1996.
Le 15 juillet, deux films que l’on peut assez facilement considérer comme des classiques font de même leur grand retour. Mississippi Burning de Alan Parker, distribué par les infatigables Acacias, a tristement gagné en pertinence dans le climat actuel de contestation anti-raciale aux États-Unis et en France. En dépit de son propos légèrement tendancieux, c’est donc un film à (re)voir de toute urgence, en compagnie d’autres films semblables qui peuplent en ce moment les cycles autour du mouvement Black Lives Matter ! Quant à Voyage à deux de Stanley Donen, c’est un classique d’un autre genre, puisqu’il suit les hauts et les bas romantiques de la relation entre Audrey Hepburn et Albert Finney, à voir au minimum sur l’un des deux écrans de la Filmothèque, la salle parisienne attitrée du distributeur Ciné Sorbonne.
Puis, on vous a gardé le meilleur pour la fin, avec deux films sublimes du cinéma asiatique. En attendant la grande rétrospective du réalisateur chinois Hou Hsiao-Hsien en sept films toujours chez Carlotta Films, le distributeur ressort dès le 22 juillet l’un de ses plus beaux films, le très contemplatif Les Fleurs de Shanghai, restauré comme il se doit en 4K. La semaine suivante, La Rabbia nous rappelle avec force l’évidence que l’arme nucléaire ne peut produire que des résultats néfastes, à travers l’apocalyptique Pluie noire de Shohei Imamura sur les retombées médicales et sociales de la destruction d’Hiroshima en août 1945.