Le fait que ce mois de juillet 2019 des reprises en salles a commencé avec le dernier jour de la Fête du cinéma a été de bonne augure. En effet, c’est à un véritable festin, voire à une orgie de films plus ou moins anciens que nous convient les valeureux distributeurs de films de patrimoine cet été. Au fil des cinq mercredis que compte le mois, la tâche quasiment impossible de voir 56 (!) classiques ou découvertes s’offre à vous, un nombre si extraordinaire qu’il pourrait bien dépasser celui des sorties récentes, plus modeste pendant cette période de canicules potentielles. Pas moins de sept rétrospectives sont au programme, de réalisateurs italiens (Dario Argento, Mario Bava et Lucio Fulci), américains (Jim Jarmusch et Charles Chaplin) et japonais (Kenji Mizoguchi et Yasujiro Ozu), ainsi qu’un double programme des avant-derniers longs-métrages de Fritz Lang. Et en pièces détachées, soi-disant, vous pourriez rafraîchir votre culture cinématographique en croisant des maîtres du Septième art tels que Andrzej Wajda, Jean-Luc Godard, Terrence Malick, Douglas Sirk et Ingmar Bergman. Que du bonheur, en somme, et sans doute même une surcharge extrême de sorties, qui ne permettra pas à toutes ces ressorties magnifiques de se faire une petite place commerciale en salles !
Le premier mercredi du mois est placé sous le signe du cinéma de genre, puisque le réalisateur italien Mario Bava (1914-1980) fera simultanément l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque Française jusqu’au 28 juillet et de la ressortie de trois de ses films par les soins de Théâtre du Temple : La Ruée des vikings (1961) avec Cameron Mitchell, Les Trois visages de la peur (1963) avec Michèle Mercier et Boris Karloff et Six femmes pour l’assassin (1964) avec Eva Bartok. L’occasion idéale pour voir à tel point ce maître de la série B a pu inspirer de nombreux confrères plus récents par lesquels jure toute une génération de jeunes cinéphiles, comme Nicolas Winding Refn, Martin Scorsese et Quentin Tarantino. Cet échantillon de la filmographie du magicien des couleurs pourra être prolongé par la lecture de la monographie de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele qui vient de paraître aux Éditions Lobster Films et par une trentaine d’autres films de Mario Bava encore projetés du côté de Bercy jusqu’à la fin du mois.
Dario Argento (*1940) fait également partie des admirateurs du travail de Mario Bava. Après le succès de la première partie de la rétrospective de cinq de ses films l’été dernier, qui avait attiré plus de vingt mille spectateurs et était restée à l’affiche jusqu’au printemps dernier, les Films du Camélia nous ont concocté une deuxième partie plus resserrée, dans les salles depuis mercredi dernier. Sous le titre lourd de présages « Dario Argento Le Magicien de la peur », deux de ses films vous feront magistralement frissonner : Quatre mouches de velours gris (1971) avec Michael Brandon, Mimsy Farmer et feu Jean-Pierre Marielle et Ténèbres (1982) avec Anthony Franciosa. Pour faire la synthèse de ce travail de rappel salutaire de la maestria du cinéma d’horreur selon Dario Argento, le distributeur a inclus le documentaire Dario Argento Soupirs dans un corridor lointain dans la rétrospective, au cours duquel l’éminent historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret revient sur la filmographie du réalisateur.
L’horreur est infiniment plus diffuse chez Jim Jarmusch (* 1953), l’un des chefs de file du cinéma indépendant américain des années ’80, dont Les Acacias a ressorti les six premiers films en versions restaurées depuis mercredi dernier également. Des films qui ont su parfaitement capter le mythe marginal et la mélancolie de cette époque pour quatre d’entre eux, Permanent vacation, Stranger than Paradise, Down by law et Mystery Train, puis qui ont amorcé encore avec une certaine poésie le virage du réalisateur vers des productions aux moyens plus conséquents, Night on earth et Dead Man. Tout l’esprit de l’univers cinématographique de Jim Jarmusch est condensé dans ces six petits chefs-d’œuvre, un esprit qui a peiné à se réinventer par la suite, en dépit de quelques films auxquels on tient beaucoup, tels que Ghost Dog La Voie du samouraï et The Limits of Control.
Il y a des vedettes du cinéma d’antan, qui doivent s’estimer heureuses quand on se souvient encore d’elles lors de leur centenaire. Et puis, il y a ces mythes intemporels qui jouissent d’une popularité incroyable, même lors de leur 130ème anniversaire. C’est le cas de l’Anglais Charles Chaplin (1889-1977), qui aurait donc soufflé ces dizaines de bougies en avril dernier et à qui Théâtre du Temple consacre à partir d’aujourd’hui une rétrospective de dix de ses plus grands films. Ce sont essentiellement les mêmes qui avaient déjà fait l’objet d’une restauration chez MK2 en 2012, mais il nous paraît inconcevable de bouder notre plaisir face à ce sans-faute sur plus de trente-cinq ans, depuis Le Kid en 1921 jusqu’à Un roi à New York en 1957. Bon, admettons que L’Opinion publique y fait tache et que l’absence récurrente de La Comtesse de Hong-Kong de ce genre d’hommage témoigne d’une fin de carrière plutôt calamiteuse. Mais sinon, le personnage de Charlot brille dans toute sa splendeur universelle dans La Ruée vers l’or, Le Cirque, Les Lumières de la ville, Les Temps modernes, Le Dictateur, de même que sous un jour plus cynique dans Monsieur Verdoux et Les Feux de la rampe ! Que des chefs-d’œuvre indiscutables, en somme, que nous reverrons avec un immense plaisir ! Et si vous habitez du côté de Nantes, vous pourriez vous en servir en guise de préparation à l’exposition « Charlie Chaplin Dans l’œil des avant-gardes » qui y sera visible au Musée d’arts à partir du 18 octobre et jusqu’au 3 février 2020.
Mercredi prochain, si vous êtes déjà arrivé à bout de la rétrospective Mario Bava, vous pourrez prolonger le plaisir avec celle en quatre films de son compatriote et contemporain Lucio Fulci (1927-1996). Ce poète du macabre était un maître du genre oh si italien du giallo, une sorte de policier trash et parfois fantastique. La preuve par quatre grâce à les Films du Camélia avec Perversion story (1969) avec Jean Sorel et John Ireland, Le Venin de la peur (1971) avec Florinda Bolkan et Stanley Baker, La Longue nuit de l’exorcisme (1972) avec Tomas Milian et Barbara Bouchet et L’Emmurée vivante (1977) avec Jennifer O’Neill et Gabriele Ferzetti. Par bien des points, Fulci était aussi une sorte de père artistique de Dario Argento, qui aurait dû produire en 1997 le dernier film du réalisateur, Le Masque de cire, finalement réalisé par Sergio Stivaletti.
L’immense Fritz Lang (1890-1976) allait encore survivre d’une quinzaine d’années à ses deux dernières productions d’envergure, Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, qui sortiront de même la semaine prochaine, chez Wild Bunch. Ce double programme d’aventures est par contre plus représentatif du cinéma populaire allemand de l’époque, à la fin des années ’50 et au début des années ’60, que de ce que Lang avait fait auparavant de mieux, soit dans son premier pays d’adoption l’Allemagne (Les Trois lumières, Metropolis et M le maudit), soit pendant son exil américain (Furie, Règlement de comptes et Les Contrebandiers de Moonfleet). Or, une vingtaine de ressorties des films de Fritz Lang ont beau avoir eu lieu en France ces dix dernières années, dont certains de façon répétée, l’épopée indienne en deux parties n’en faisait pas partie jusqu’à présent. La rareté se mêle donc ici à la nostalgie kitsch d’une forme de divertissement exotique, qui semblait d’autant plus antiquée lorsque Steven Spielberg la dépoussiérait pour ses quatre aventures autour d’Indiana Jones à partir de 1981. Fritz Lang, quant à lui, avait encore mis en scène un film allemand supplémentaire, Le Diabolique docteur Mabuse, là encore dans l’air du temps des polars adaptés d’Edgar Wallace, avant de prendre sa retraite bien méritée en 1960.
La fin du mois sera (très) japonaise avec pas moins de deux rétrospectives d’envergure consacrées à des maîtres légendaires du cinéma nippon. Commençons par celle autour du réalisateur Kenji Mizoguchi (1898-1956), qui se conjuguera grâce au distributeur Capricci en huit films à partir du 31 juillet. Tous ces films étaient déjà sortis individuellement chez Films sans frontières depuis 2014, mais le distributeur bordelais les regroupe désormais, notamment avec quatre d’entre eux qui ont bénéficié de nouvelles restaurations numériques en 4K supervisées par la Film Foundation de Martin Scorsese : Les Contes de la lune vague après la pluie, L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés et La Rue de la honte. Les quatre autres sont présentés en copie numérique 2K : Miss Oyu, Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle et L’Impératrice Yang Kwei-Fei. Ce corpus d’œuvres de maturité de la fin de carrière de Mizoguchi dans les années ’50 permettra au public d’aujourd’hui de mieux se familiariser avec un réalisateur d’exception, hélas toujours plus prisé par les universitaires et autres cinéphiles pointus que par le grand public. Espérons que cette belle rétrospective rencontrera le même succès que celle des films de Yasujiro Ozu l’été dernier …
… qui est en fait d’ores et déjà de retour ! Avec comme prétexte la ressortie en version restaurée le 17 juillet de Herbes flottantes, le remake sonore et en couleurs de Histoire d’herbes flottantes du même réalisateur, Carlotta Films nous permet en effet une séance de rattrapage royale à travers les dix films ayant enthousiasmé les foules de cinéphiles l’été dernier. Le 31 juillet, les mêmes dix films indispensables de Yasujiro Ozu (1903-1963), tournés entre 1949 et 1962, seront par conséquent à nouveau visibles dans leurs belles restaurations en 4K pour Printemps tardif, Été précoce, Le Goût du riz au thé vert, Voyage à Tokyo, Printemps précoce et Crépuscule à Tokyo, et en 2K pour Fleurs d’Équinoxe, Bonjour, Fin d’automne et Le Goût du saké. De quoi plonger pleinement dans l’âge d’or du cinéma japonais, réellement en phase avec la culture nippone ou en tout cas plus que le plus occidental et du coup plus accessible pour un public européen Akira Kurosawa !
Cela nous peine de mettre les dix films qui restent dans la rubrique fourre-tout, tellement ce mois de juillet se démarque par la richesse et la variété de son offre pour les cinéphiles les plus intransigeants ! Il y a certes trois reprises de reprises de reprises, des films qu’on a l’impression de voir défiler tous les six mois dans cette rubrique, à savoir deux films magnifiques de Douglas Sirk, Le Temps d’aimer et le temps de mourir le dernier mercredi du mois et Mirage de la vie la semaine précédente, ainsi que le classique du Nouvel Hollywood Les Moissons du ciel de Terrence Malick encore une semaine plus tôt. Mais sinon il y amplement de quoi faire le grand écart en France, avec les acrobaties burlesques de Louis De Funès dans le cultissime Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury et le plus cérébral Deux ou trois choses que je sais d’elle de Jean-Luc Godard, tous deux à l’affiche dès ce jour, aux États-Unis avec Donnie Darko de Richard Kelly, qui sortira dans deux semaines en version cinéma et pour des séances exceptionnelles en version director’s cut, en Pologne avec le grand classique du cinéma engagé Cendres et diamants de Andrzej Wajda, à l’affiche depuis la semaine dernière, et enfin, en Suède, avec la pièce de résistance de cette sélection hors normes : la version longue c’est-a-dire d’une durée de près de cinq heures et demi du dernier chef-d’œuvre de Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre, lauréat dans sa version « courte » de trois heures de quatre Oscars et du César du Meilleur Film étranger en 1984, le 31 juillet !