Quel incroyable foutoir que ce dernier mois de l’année 2018 du côté des films qui ont la chance, voire le privilège de ressortir en salles en France ! La quantité y est certes, avec pas moins de quatorze titres à nouveau à l’affiche, tout comme la qualité, puisque on y retrouve des noms célèbres, de Ernst Lubitsch aux frères Coen, en passant par René Clair, Elia Kazan, George Cukor, John Carpenter et James Ivory. Mais cette sélection mensuelle, comme toujours parfaitement fortuite, est malgré tout pauvre en chefs-d’œuvre qu’on rêvait depuis longtemps de revoir sur grand écran ou en cycles téméraires qui nous pousseraient à des découvertes inespérées. Non, vraiment, on ne sait pas par quel bout la prendre. A travers le regroupement thématique ou national ou bien en faisant comme si les films plus ou moins populaires des années 1930 aux années ’90 se retrouvaient par miracle dans les mêmes salles de répertoire, grâce à l’intervention de distributeurs sans peur ? Par défaut, on va tenter cette dernière option, sans trop de conviction …
En effet, les deux premières décennies du cinéma parlant étaient plutôt sous-représentées ces dernières semaines. Une omission passagère à laquelle vous pourriez remédier en allant voir dès mercredi prochain l’un des classiques du film d’horreur, Les Chasses du comte Zaroff de Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack, le vénérable ancêtre des films de chasse impitoyable dans un environnement hostile, sorti en version restaurée par Théâtre du Temple. La semaine suivante, le distributeur récidive avec le conte fantastique au ton plus enlevé C’est arrivé demain, l’un des quatre films que le réalisateur français René Clair a dû tourner à Hollywood pendant la guerre. Un autre maître exilé, plus pour des raisons économiques et artistiques que politiques, Ernst Lubitsch nous réjouit avec l’une de ses meilleures comédies pétillantes, La Huitième femme de Barbe bleue, que Splendor Films ressortira le 19 décembre, en digne conclusion provisoire d’une rétrospective officieuse de ses petits bijoux filmiques. On aura pu en voir cinq au fil de l’année 2018, mais il y aura a priori un sixième et dernier dès le mois de janvier prochain ! Enfin, le cinéma français n’est pas en reste, puisque le classique de 1939 Fric-frac de Maurice Lehmann avec le trio mythique formé par Fernandel, Michel Simon et Arletty ressortira le dernier mercredi du mois. Tandis que ce dernier n’a rien d’une rareté, sa dernière ressortie remontant à guère plus de six ans, Olivia de Jacqueline Audry, à l’affiche dans moins d’une semaine par les soins de Solaris Distribution, appartient à cette période plutôt boudée du cinéma français du début des années ’50. Rien que pour son sujet assez osé pour l’époque, cette belle restauration, présentée en avant-première le mois dernier au Festival Lumière à Lyon, vaudra le détour.
La confusion des genres est également au cœur de deux films de la partie plus récente des ressorties du mois de décembre 2018, en parfaite harmonie de retour en tant que fichiers numériques dès le 12 décembre. Au début des années ’80, Yentl était le projet passionnel de Barbra Streisand, le film d’une vie en quelque sorte sur lequel elle assurait simultanément la fonction de scénariste, productrice, réalisatrice et actrice principale. Elle allait faire à peu près de même pour ses deux films suivants Le Prince des marées et Leçons de séduction, l’écriture en moins, à moins qu’on compte sa participation aux paroles de la chanson du dernier. Quant à Farinelli de Gérard Corbiau, Golden Globe du Meilleur Film étranger pour la Belgique en 1995, il appartient à ces reconstitutions historiques aux costumes coûteux que l’on trouve de nos jours au mieux encore à la télévision. Vaguement contemporain des aventures du chanteur castré, puisqu’il était sorti en France moins de deux ans plus tard, le génial Fargo de Joel Coen ressortira toutefois déjà la troisième fois depuis le début du siècle, dès mercredi prochain. Même constat ou presque pour Le Dernier nabab de Elia Kazan, de retour une semaine plus tard, après une brève absence de moins de cinq ans, soit pour coïncider avec la rétrospective Kazan en cours actuellement à la Cinémathèque Française, soit parce que son distributeur Les Acacias pourrait peut-être en perdre prochainement les droits, qui sait ? Ce schéma de répétition assez fâcheux, même si l’on ne peut bien sûr jamais voir toutes les ressorties et que le principe même de l’exercice est de revisiter de temps en temps ses films de chevet, s’applique aussi à Le Milliardaire de George Cukor, l’un des films les moins mythiques avec Marilyn Monroe et accessoirement Yves Montand, dont le hiatus aura carrément duré moins de deux ans et que Ciné Sorbonne ressortira dans sa Filmothèque du Quartier latin dès le lendemain de Noël !
Ouf, ça y est, on est quand même parvenu à donner un semblant de forme à cette collection de films plutôt disparate ! Tout en faisant attention à vous garder le meilleur pour la fin : le double parrain des réalisateurs aussi emblématiques qu’au style diamétralement opposé que sont Ernst Lubitsch et John Carpenter, Splendor Films, poursuivra sa rétrospective des films de ce dernier avec New York 1997 à partir du 19 décembre. Et une semaine plus tard, si vos cadeaux laissent à désirer, vous pourrez aisément vous consoler avec un triple programme constitué du magnifique film d’animation Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot que Gebeka ressort à l’occasion de ses vingt ans, du toujours aussi hilarant Y a-t-il un pilote dans l’avion ? du trio Zucker-Abrahams-Zucker chez Swashbuckler Films et de la cerise sophistiquée sur le gâteau, une digne conclusion d’une année de ressorties toujours aussi passionnantes, Retour à Howards End de James Ivory chez Carlotta Films, dans sa version restaurée, présentée déjà à Cannes Classics en 2016. Enfin, on rouspète, on rouspète, mais signalons tout de même l’initiative aussi exemplaire que louable du cinéma Le Nouvel Odéon dans la Quartier latin parisien, qui montrera pendant trois semaines, à partir du 12 décembre, douze films du réalisateur italien Dino Risi (1916-2008), c’est-à-dire pratiquement tous ses films ressortis en France depuis une dizaine d’années ! Puis, à seulement trois minutes de marche de là et une semaine plus tôt, mais sur la même durée, la Filmothèque procédera à une mise en perspective des filmographies des grands cinéastes français que sont Jean Renoir et Jean Grémillon, en projetant douze films du premier et huit du deuxième.