Berlinale 2019 : Das schönste Paar

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Das schönste Paar

Allemagne, France, 2018

Titre original : Das schönste Paar

Réalisateur : Sven Taddicken

Scénario : Sven Taddicken

Acteurs : Maximilian Brückner, Luise Heyer, Jasna Fritzi Bauer, Leonard Kunz

Distribution : –

Durée : 1h37

Genre : Thriller

Date de sortie : –

3/5

En tant qu’événement cinématographique incontournable, où des milliers de journalistes et de professionnels du cinéma se pressent pour regarder un maximum de films, le Festival de Berlin aurait tort de ne pas profiter de cette exposition maximale pour en faire accessoirement une vitrine de promotion sur mesure pour les productions locales. Différentes sections de la programmation s’y emploient : en premier lieu, les films sélectionnés en compétition, au nombre de trois cette année, et le cycle Perspektive Deutsches Kino, puis en partenariat avec l’Académie du cinéma allemand la reprise des quarante films présélectionnés pour concourir ce printemps aux Lola, l’équivalent germanique des César. C’est dans ce cadre-là que nous avons découvert Das schönste Paar de Sven Taddicken, un thriller intimiste sur le sujet souvent casse-gueule des pulsions revanchardes, susceptibles de surgir chez des victimes confrontées inopinément à leurs bourreaux. Ici, le traitement est plutôt nuancé et les enjeux moraux sont dévoilés sans manichéisme expéditif. Au lieu de tomber dans les travers d’une analyse psychologique alambiquée, la mise en scène y fait preuve d’un pragmatisme, qui tient même encore la route lorsque la grandiloquence guette au moment de la confrontation finale. Ce couple prétendument si parfait est capable de surmonter l’épreuve sans naïveté, avec une résignation proche de la sagesse / noblesse qui doit beaucoup au jeu émotionnellement très précis de Luise Heyer – ces yeux si expressifs ! – et de Maximilian Brückner.

© One Two Films Tous droits réservés

Synopsis : Les profs de lycée Malte et Liv s’aiment d’un amour fusionnel. En vacances sur l’île de Majorque, ils tombent victimes d’une agression sexuelle de la part de trois jeunes compatriotes dont ils mettent longtemps à se remettre. Deux ans plus tard, alors que Liv pense enfin pouvoir tourner la page et reprendre le cours normal de sa vie, après de longues sessions thérapeutiques, Malte croise par hasard le chemin du violeur principal. L’ayant d’abord perdu de vue dans le métro, il finit par retrouver sa trace quelques jours plus tard et le suit afin de connaître son identité.

© One Two Films Tous droits réservés

Jamais oublier, jamais pardonner

Un cercle vicieux se superpose à l’autre dans Das schönste Paar, un film qui aurait pu être horriblement convenu et tendancieux, mais qui réussit en fait à nous intéresser au sort éthiquement ambigu de ses personnages. Exempte du cynisme extrême qui avait rendu il y a longtemps notre vision de Irréversible de Gaspar Noé et des deux versions de Funny Games de Michael Haneke si insoutenable, l’histoire s’y penche sans exagération, ni coup de théâtre excessif sur l’éternel dilemme entre le droit à l’oubli et celui à la réparation des torts subis. L’hésitation intelligente est ainsi le maître mot du récit. Celui-ci se montre assez sûr de lui pour prendre son temps, à l’image des deux époux qui tâtonnent toujours, voire jusqu’à la fin avec son éclat cathartique discutable, pour savoir comment se reconstruire peu à peu après le choc brutal du crime. Sous un regard moins subtil que celui de Sven Taddicken, il est fort à parier que l’émotion aveugle ait remporté la mise, soit dans une nouvelle explosion de violence gratuite qui n’aurait finalement résolu rien, soit dans un processus d’intériorisation de la faute et des reproches qui aurait, lui aussi, gangrené jusqu’à l’os cette relation conjugale en apparence si harmonieuse. A notre satisfaction mesurée mais ferme, c’est un chemin alternatif qui a été emprunté : celui d’une honnêteté et d’une franchise affective tout à fait exceptionnelles. Encore mieux, ces qualités ne sont pas uniquement réservées à Malte et Liv, puisque elles se propagent aussi, le temps de deux séquences marquantes, à Jasna Fritzi Bauer, la petite amie du prédateur sexuel. Son rôle à première vue ingrat se voit alors investi de la même fragilité due au doute, dans tout ce que ce dernier a de plus sublimement contradictoire.

© One Two Films Tous droits réservés

Je vais tout casser …

La retenue de la part de la narration pour conter son histoire essentiellement convenue est en effet remarquable. La souffrance aiguë des deux amants s’y exprime de façon diffuse, tel une ombre omineuse impossible à chasser, qui pèse même sur les moments les plus insouciants, pas forcément sexuels. Ainsi, l’ambiance bascule soudainement au cours d’un barbecue entre amis à cause de la simple mention du viol, de notoriété publique parmi les proches du couple, mais pas pour autant plus facile à aborder sans gêne avec eux. De même, la parenthèse du flirt avec l’acousticien effleure tout juste les écueils du romanticisme de substitution et, plus concrètement, celui de la tension relâchée grâce aux armes à feu. Or, il est largement à mettre sur le compte de la finesse de la mise en scène que cet instant d’une tentation doublement symbolique ne dérape pas. En somme, on ne qualifierait pas tout à fait de surprenant le maniement adroit de ces différents fils de l’histoire. Néanmoins, il s’avère assez ingénieux pour déjouer les aspects les plus ennuyeusement prévisibles du scénario, au profit de la persistance d’un malaise profond entre les deux personnages principaux en guise de séquelle insurmontable, qui fera durablement partie de leur vie.

© One Two Films Tous droits réservés

Conclusion

Même pas encore sorti dans les salles de cinéma allemandes, Das schönste Paar ne devrait connaître en France qu’une diffusion sur arte, partenaire semi-étranger de la production. Ce qui est malgré tout dommage, puisque le film de Sven Taddicken arrive sans peine à se distinguer substantiellement de ces nombreuses histoires de vengeance viscérale, trop sommaires pour sonder sincèrement la difficile tâche de rétablir un semblant de normalité à partir d’une existence anéantie par la violence sexuelle. Il y parvient en plus sans subterfuge formel, ni propos moralisateur, juste par la force de son approche profondément désinhibée d’un sujet toujours aussi épineux.

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