Daredevil – saison 2

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Daredevil saison 2 (4/5)

La saison 2 de Daredevil est sortie il y a quelques jours, moins d’un an après une première saison acclamée tant par les fans de comics qu’une partie de la critique. La série développait une ambiance violente, poisseuse, «réaliste», digne des plus grandes histoires de l’Homme sans peur, éloignée de la production cinématographique de Marvel Studios. La firme aux grandes oreilles et aux collants / armures fluorescentes réussissait donc son passage sur petit écran (ou plutôt multi-écran). Et non, je ne parlerais pas d’Agents of S.H.I.E.L.D., production télévisuelle garantie avec conservateur de mauvais goût. 11 mois plus tard, la situation n’est plus tout à fait la même pour les productions estampillées «super-héros», si ce terme a encore lieu d’être. Avengers 2 était assez décevant, Ant-man une comédie très classique, et Deadpool, produit par la Fox, essayait d’être drôle pour masquer sa vacuité. Un seconde série Marvel-Netflix a été lancée à la fin de l’année dernière : Jessica Jones, accueillie avec moins d’enthousiasme que ce cher DD (et, à mon goût, artistiquement moins poussée, bien que soulevant des problématiques intéressantes). Pour en revenir au présent, Batman et Superman se mettent sur la gueule, et le mois prochain une cohorte d’Avengers se mettront sur la gueule. Daredevil promet de son côté le Punisher et Elektra pour pimenter son intrigue. Qu’en est-il donc de cette saison 2 : une aussi bonne surprise que les 13 premiers épisodes ? Un trop-plein de «héros» ? Un revirement vers une ambiance 2003-Ben Bat’fleck ? Critique garantie sans spoilers.

Daredevil saison 2 01

La saison 1 se clôturait avec un épisode on ne peut plus décevant. Après 12 épisodes à l’ambiance cohérente, on se retrouvait avec un Daredevil au costume laid faisant des sauts de cabri et donnant des coups dignes d’un Batman version 1966 (bruitages compris). Pour moi, la nouvelle saison ne partait donc pas sans a priori … Et les premières minutes m’ont tout de suite rassuré. On retrouve directement l’ambiance des premiers épisodes, avec des ruelles et un Daredevil surgissant de l’ombre pour mieux frapper ses ennemis. La photo est toujours aussi agréable, et permet à la série de sortir du lot des séries à l’aspect «Canon 5D». Phil Abraham, qui réalise les deux premiers épisodes des deux saisons, a d’ailleurs travaillé comme chef-opérateur dans Les Soprano. Côté réalisation par contre, ces deux premiers épisodes sont assez plats, et l’intrigue se lance, sans grosses surprises, autour d’une armée éliminant des gangs entiers … A moins qu’il ne s’agisse que d’un seul homme ? Disons le de suite : le Punisher est un point fort de cette nouvelle saison. Peut être même le point fort. Jon Bernthal campe un effet un personnage loin d’être écrit comme un simple bas du front, aux motivations sanglantes, douteuses, mais aussi compréhensibles … Car malgré son attitude intrinsèquement violentes, ses scènes de dialogue qui parsèment la série sonnent toujours juste, l’acteur semblant habité par son personnage d’ancien militaire psychologiquement instable.

Daredevil saison 2 02

Le thème du journalisme est toujours présent, avec une Karen Page ayant droit à son propre arc narratif secondaire – et Deborah Ann Woll, dans le rôle, est excellente. Loin d’être une simple demoiselle en détresse (au contraire !), elle permet de continuer d’aborder le sujet du journalisme «à l’ancienne», en endossant un rôle de reporter dans la continuité de Ben Urich. Mais le journalisme est une notion secondaire dans l’intrigue : le vrai thème de la série, c’est la conception de la justice. Dans la droite lignée de la saison 1, où Daredevil n’hésitait pas à torturer un ennemi pour sauver un enfant, puis se demander si tuer Wilson Fisk n’était pas la seule solution, le «héros» continue d’être habité par cette question. Tel son homologue Batman chez la Distinguée Concurrence, Matt Murdock a une règle d’or : ne pas prendre de vie humaine (note : cette critique a été écrite avant le visionnage de Batman v Superman, et son dark knight n’ayant aucune empathie pour la vie de ses ennemis …). Cette règle est, comme le confirme à plusieurs reprises la saison, étroitement liée à la foi chrétienne du justicier. Et la rencontre avec Frank Castle / Le Punisher, puis plus tard avec Elektra, va mettre à rude épreuve sa vision de la justice, pour un personnage, qui contrairement à ce que laissait présager la fin de la saison 1, s’enfonce de plus en plus dans les ténèbres et la solitude. Bien entendu, le thème de la justice est aussi (omni)présent étant donné que Matt Murdock est avocat le jour. Sans trop en révéler, deux épisodes présentent un procès, ce qui est l’occasion pour les scénaristes de faire une démonstration de leur plume, à travers des plaidoiries toujours aussi justement écrites. La qualité de la réalisation oscille selon les épisodes – et même dans les épisodes, nous rappelant parfois que la série a un budget limité. Cependant, le niveau est souvent correct, et il n’est pas rare que des scènes entières fassent des étincelles – qu’il s’agisse d’un simple dialogue ou d’un plan-séquence sur lequel nous reviendrons. En tant que série, l’écriture prime sur la réalisation (ce qui, pour mon plus grand bonheur, a tendance à changer depuis quelques années). Et les scénaristes font encore du très bon boulot, que ce soit dans l’écriture des personnages ou dans les nombreux et inévitables rebondissements.

Daredevil saison 2 03

La saison se paie même le luxe de sortir un joker de sa poche, en installant une intrigue surprenante, jamais évoquée pendant la promo, et qui permet de diversifier l’ambiance de la série tout en annonçant de futurs événements, réjouissants (ou pas) pour les fans de l’homme sans peur. Sortant de nulle part, elle permet aussi de casser le rythme de cette saison. En effet, l’arrivée d’Elektra nous fait passer dans un univers plus japonisant et offre quelques sympathiques flash-backs. Et autant le fait de s’éloigner d’une ambiance urbaine pour progressivement installer un côté plus mystique est une bonne chose au début, autant les cabrioles de ninja finissent par lasser. Elektra, interprétée par Élodie Yung, introduit ce renouveau dans la série, tout en continuant d’explorer le thème de la justice : contrairement au Punisher, la tueuse est une ancienne connaissance de Matt Murdock, ce qui change le rapporte entre les justiciers, et crée un certain triangle amoureux avec Karen. La série elle atteint son paroxysme à l’épisode 8, qui va de surprises en surprises et offre des scènes tout droit sorties des meilleures planches de Frank Miller. Rappelons, pour les non-initiés, que cet auteur de comics a fait mûrir le personnage dans les années 80, en le rendant plus sombre, en introduisant Elektra (et l’univers japonais), en brisant complètement le héros et en ré-inventant ses origines. Sans oublier, quelques années plus tard, de révolutionner l’industrie avec The Dark Knight returns, dont s’inspire (très) librement Batman V Superman, en profitant à l’occasion pour surfer sur la vague de popularité de l’auteur controversé, aussi à l’origine de 300 et de Sin City.

Daredevil saison 2 04

Pour en revenir à nos (anti)-héros, la présence croissante de ninjas à partir de la moitié de la série souligne un point faible, ou plutôt qui s’affaiblit au fil des épisodes : les combats. Les meilleures scènes de combats sont celles stylisées, qui ne montrent pas directement les coups portés. Je pense en particulier à une scène de l’épisode 6, où un combat n’est vu qu’en «ombre chinoise», ou à des plans où les coups ne sont pas vus directement. Certains passages nous font oublier que nous sommes face à une production télévisuelle (si cela veut encore dire quelque-chose), d’autres nous rappellent que nous sommes face à une production au budget finalement assez peu élevé : les coups apparaissent parfois mous, et la réalisation n’aide pas. La série n’hésite cependant pas à tenter des choses, et nous refait le coup du (faux) plan-séquence, en plus ambitieux. Sans atteindre le niveau d’une scène comme celle de Old Boy (Park Chan-Wook), ce plan de séquence reste tout de même impressionnant et jouissif. La série, plus que par l’action, est portée par ses acteurs, la plupart étant impeccables, et surtout par ses dialogues. Car si, comme dit plus haut, les scènes d’actions ne sont pas toujours à la hauteur, les joutes verbales sont elles d’une grande qualité.

Quelques jours après avoir fini de visionner la série, ce sont surtout les épisodes – ou les grandes lignes d’un épisode – basés sur un concept qui restent. Que ce soit un long dialogue sur un toit ou un affrontement verbal en prison, d’un combat dans un couloir d’immeuble à un corps-à-corps dans un pénitencier. Dans le costume du diable de Hell’s Kitchen (convaincant ou laid selon l’éclairage), il est toujours aussi appréciable de retrouver le diaboliquement bon Charlie Cox. C’est donc encore plus regrettable que la série s’essouffle sur la fin. Le dernier épisode nous offre un combat qui tombe dans le kitsch le plus total, et les dernières minutes sont expédiées pour annoncer la suite – un comble pour une série de 13h, qui n’hésite jamais à prendre son temps. Finalement, encore une fois, cette saison ne gagne pas par k.o., mais met de sérieux coups au spectateur !

https://youtu.be/x0thlIO3GBw

5 Commentaires

  1. Cette saison est simplement ultra-violente et immorale. C’est une fois de plus dans une série la jouissance de la violence qui est mise en avant par la mise en scène (la caméra va chercher le sang systèmatiquement). La saison un mettait en jeu d’autres ambitions et volontés (politiques) de régler les conflits ; la violence s’appliquait surtout au héros (qui devait surmonter la mort et l’effroi). Ici, le prétexte à montrer les blessures et les coups sanglants et surtout à empiler les meurtres comme s’il s’agissait d’un type possible de relations (Daredevil a beau répéter à l’envi « On ne tue pas », la caméra et le parti-pris est de nous faire jouir de la violence et de la mort sans autre considération morale ou prise de recul sur ces combats) . L’Amérique nous dicte de plus en plus la barbarie et l’apocalypse comme seule issue. Nombre de critique applaudissent « la noirceur » comme s’il y avait ici une fascination à cultiver. Signe des temps. Nous prépare-t-on au pire ? Pour quelles raisons ? Avez-vous constaté qu’après un concert « cool », un livre plein de raison, un film profond (quel que soit le genre, de Coppola à Cronenberg en passant par d’autres attentifs à leur « pouvoir »), nos âmes s’élèvent ? Les créateurs ont le choix (les spectateurs aussi) d’activer nos pulsions les plus archaïques ou de cultiver nos potentialités les plus modernes (cela est déjà exploré par les neurosciences et la psychiatrie). Quel est l’état de notre psychisme après la vision de l’épisode 9 par exemple (le 8 montre que d’autres voies sont possibles, plus subtiles. Le 9 est juste un détournement de consciences) ?

    • Bonjour, et merci d’avoir pris le temps de commenter mon article.
      La série est certes violente, mais questionne la morale (qui n’est qu’une question de point de vue). Pour moi, une oeuvre n’a pas à convenir à une quelconque morale – le respect de cette dernière étant d’ailleurs le principal argument des censeurs en tout genre … Certes Daredevil enchaîne les coups sanglants, certes le Punisher enchaîne les mises-à-mort violentes, mais c’est le thème de la série, je ne vois pas en qui c’est un défaut ? Il n’y a aucun mal à apprécier, à rejeter la violence sur grand ou petit écran, la catharsis étant déjà évoquée par Aristote. Quant au « nous prépare t-on », « l’Amérique », etc … tout cela me semble une bien noire vision du monde ! Enfin, en parlant du fait que des cinéastes comme Cronenberg ou Coppola élèvent notre âme, je suis tout à fait d’accord. Mais ces derniers, surtout le cinéaste canadien, se sont vus critiqués au long de leur carrière pour leur violence crue et « immoral » : paradoxe !

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