Nous sommes en guerre (Episode 1 : La débâcle)
France : 2021
Titre original : –
Réalisation : Adam Fourage, Benoît Delrue
Distribution : Infoscope
Durée : 0h51
Genre : Documentaire
Date de sortie en VOD : 21 mai 2021 (plateforme cinemutins.com)
3.5/5
Les Etats-Unis ont Michael Moore, Amiens a François Ruffin. Et Angers, me direz vous, ils n’ont rien ? Eh bien si, ils ont Infoscope, une jeune association créée en avril 2019 et qui s’est lancée dans la production et l’édition d’enquêtes journalistiques sur différents supports. Composée de 8 personnes, elle avait proposé à l’automne dernier Un pognon de dingue, un documentaire consacré aux inégalités de patrimoine dans la société française, dans l’ombre du Président de la République. Reprenant de nouveau une expression d’Emmanuel Macron, Adam Fourage et Benoît Delrue se sont lancés, avec la collaboration des 6 autres membre de l’association, dans la réalisation de Nous sommes en guerre, un triptyque (qui deviendra peut-être une tétralogie !) consacré à la santé, à l’économie et à la politique. Le premier épisode, celui consacré à la santé, a pour sous-titre La débâcle.
Synopsis : Aides-soignantes, agent technique, médecin généraliste, sapeur-pompier, monitrice-éducatrice, infirmier, bénévoles… Confronté.e.s quotidiennement au manque de moyen qui handicape grandement la pratique de leurs métiers, elles et ils témoignent et ne mâchent pas leurs mots dans ce documentaire à taille humaine, réalisé au cœur du département du Maine-et-Loire.
En guerre ? Depuis quand ?
« Nous sommes en guerre ! », cette expression, Emmanuel Macron l’a prononcée à douze reprises, le 16 mars 2020, en annonçant aux Français qu’ils allaient devoir se confiner pour juguler la propagation de l’épidémie de coronavirus. En guerre contre qui ? En guerre avec quels moyens ? En guerre dans quel but ? Bien entendu, dans l’esprit de tout le monde, cette guerre dont parlait Macron était celle à mener contre le SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19. Mais n’était-il pas sain de creuser un peu plus ? « La guerre est une affaire d’importance vitale pour l’Etat, la province de la vie et de la mort, la voie qui mène à la survie ou à l’anéantissement. Il est indispensable de l’étudier à fond ». Les réalisateurs de Nous sommes en guerre ont tenu compte de ce conseil de Sun Tzu, ce stratège militaire du 6ème siècle avant Jésus-Christ et ils l’ont d’ailleurs reproduit dès le début de leur film, suivi de cette autre sentence de Sun Tzu, « Tout l’art de guerre est basé sur la duperie ». En fait, lorsque la pandémie est arrivée dans notre pays, lorsque le Président de la République s’est exprimé, cela faisait déjà bien longtemps qu’une guerre larvée se déroulait entre, d’un côté les gouvernements successifs, certains conseils départementaux et le secteur privé de la santé, et, de l’autre côté, celles et ceux qui, faisant partie du secteur public, avaient les mains dans le cambouis pour soigner les populations et s’occuper des personnes âgées. Certes, la première interview de Nous sommes en guerre est liée à la Covid : une étudiante en 3ème année de médecine venue volontairement prêter main forte comme aide-soignante dans une résidence autonomie et qui, alors qu’elle n’a jamais eu de formation d’aide-soignante, se retrouve devoir s’occuper seule de 60 personnes, dont 30% de positifs à la Covid, dès le lendemain de son arrivée. Comme de nombreux autres étudiants, elle s’est retrouvée aussi à palier le manque de masques en en bricolant de grandes quantités avec du papier d’emballage stérile.
Le tour de la question
Toutefois, très vite, le film s’oriente vers d’autres professionnels de santé qui, par ce qu’ils nous racontent, montrent pourquoi le système de santé français, très longtemps considéré comme étant un des meilleurs du monde, s’est retrouvé complètement débordé lorsque la pandémie a débarqué sur notre pays : des hôpitaux que des départements veulent privatiser, la fermeture d’une pharmacie mutualiste quasiment indispensable pour de nombreuses personnes, âgées, handicapées ou dans le besoin, mais accusée de ne pas rapporter suffisamment d’argent, et, bien sûr, la recherche permanente d’économies, en jouant principalement sur les salaires et sur des réductions de lits et de personnel. Avec un raisonnement cynique sous-tendant ces décisions concernant le personnel : le personnel de santé travaillant dans le public le faisant avant tout par conviction, il acceptera d’en faire plus, tout en étant sous-payé ! Et puis que voulez vous, n’est-ce pas intolérable de voir tout cet argent qui, dans le cadre des remboursements par la Sécurité Sociale, échappe au circuit financier et ne fait pas de profit pour des actionnaires ? Dans ces conditions, il est plus que tentant de diminuer la part des remboursements par la Sécurité Sociale et d’augmenter celle des assurances privées. En 51 minutes chrono, en interviewant deux aide-soignantes, la vice-présidente étudiante de l’Université d’Angers, une médecin généraliste, un infirmier psychiatrique, un conseiller départemental, un agent technique au CHU, un pompier professionnel, une psychologue scolaire, une maitre de conférence en histoire moderne à même de comparer la pandémie liée à la Covid à d’autres pandémies du passé, une monitrice-éducatrice auprès de personnes handicapées vieillissantes, Nous sommes en guerre réussit l’exploit de faire le tour de tous les problèmes qui ont généré la débâcle du printemps 2020. En n’oubliant pas un point important : la crainte que certaines pertes de liberté liées au combat contre la pandémie et présentées comme étant provisoires prennent, comme par hasard, un caractère pérenne. Un point générateur d’optimisme dans cet ensemble : la surprise d’un responsable du Secours Populaire face à l’afflux de jeunes, étudiants ou pas, proposant leur service pour donner un coup de main.
Conclusion
On n’ira pas jusqu’à affirmer que Nous sommes en guerre est une grande œuvre cinématographique. Ce n’était d’ailleurs surement pas le but recherché par Infoscope. Non, ce film est un témoignage passionnant, bien réalisé et bien monté du vécu de personnes travaillant dans le domaine de la santé, de personnes qui alertaient depuis des années sur le manque de moyens dont elles disposaient pour faire le plus correctement possible leur travail, de personnes qui se sont pris de plein fouet l’arrivée de la Covid.