Vers la bataille
France, Colombie, 2019
Titre original : –
Réalisateur : Aurélien Vernhes-Lermusiaux
Scénario : Olivier Demangel & Aurélien Vernhes-Lermusiaux
Acteurs : Malik Zidi, Leynar Gomez, Thomas Chabrol et Olivier Chantreau
Distributeur : Rezo Films
Genre : Guerre
Durée : 1h31
Date de sortie : 26 mai 2021
3/5
On se plaint et on se plaint encore, au fur et à mesure que le frein qui nous prive de certaines de nos libertés tarde à être relâché, un modeste allègement de confinement à la fois. Pourtant, en dépit de comparaisons historiques absolument ahurissantes qui voudraient nous faire croire le contraire, ce n’est quand même pas la guerre ! La guerre ? Si, vous savez, cette obsession presque sportive des peuples à l’époque de nos grands-parents et autres ancêtres, qui consistait à s’entre-tuer en masse pour la gloire de la patrie ou un quelconque intérêt géopolitique de courte durée.
De nos jours, on en trouve surtout des rappels soigneusement limités dans l’espace et le plus souvent dans le temps, sans que ces conflits récents par exemple en Syrie ou au Yémen ne viennent sérieusement perturber notre statu quo européen. Cependant, comme le prouvent des plaques commémoratives qu’on trouve encore presque à chaque coin de rue à Paris ou bien des pavés à Berlin à la mémoire des habitants juifs déportés, on aurait tort de faire comme si notre époque avait dépassé ce stade d’une humanité belliqueuse.
Car la guerre sous quelque forme que ce soit ne donne pas matière à rigoler. Le premier film du réalisateur Aurélien Vernhes-Lermusiaux nous le rappelle en de belles images, mais surtout à travers un propos qui dénonce l’absurdité de tout affrontement armé. Situé dans le cadre d’une guerre franco-mexicaine oubliée par tous, sauf par les Mexicains – comme ils disent si justement, l’Histoire est écrite par les vainqueurs – , Vers la bataille subjugue par le décalage flagrant entre la volonté d’être au cœur du combat de la part du protagoniste et celle de tous les autres participants, avant tout intéressés à sauver leur peau.
Il s’agit d’une parabole saisissante, prise en étau entre l’enchantement provoqué par la beauté de sa forme visuelle et le fond, plus proche du cauchemar. Ce voyage atypique en terrain inconnu, le personnage habité presque fiévreusement par Malik Zidi l’entreprend dans un élan à la pureté autodestructrice.
Synopsis : En 1863, le photographe français Louis obtient la permission du général Trochu de prendre des clichés de la guerre coloniale qui fait rage au Mexique. Il espère fixer sur ses plaques au plus près le chaos du champ de bataille. Une fois sur place, seul avec ses deux chevaux de somme, il se perd désespérément dans l’immensité d’un paysage qui lui est inconnu. Chaque fois, il arrive trop tard pour prendre le moindre cliché intéressant. Proche de l’épuisement, il ne pourra compter que sur l’aide de Pinto, un paysan mexicain qui deviendra son assistant.
Après la guerre
Être au bon endroit au bon moment, c’est le prérequis obligatoire afin d’être un photographe d’exception. A première vue, Louis dispose du don de sauter sur l’occasion pour capter cet instant si fugace et précieux entre la vie et la mort. La première séquence de Vers la bataille le montre ainsi à l’œuvre, lorsque le mode opératoire éprouvant quoique prévisible d’un haut fourneau bascule dans la catastrophe. Cette présentation initiale le positionne comme le voyeur né, qui participe en même temps à donner un visage aux défis sociaux de son temps. Le voir ensuite sillonner les paysages majestueux du Mexique, en vagabond paumé, pataugeant dans des marécages aux plantes exquises et marqué physiquement par l’effort d’une expédition mal préparée casse volontairement cette image du témoin privilégié de la vie. Contraint de créer en quelque sorte l’événement, de courir après une actualité guerrière qui lui échappe sans cesse, le personnage principal se retrouve face à lui-même, c’est-à-dire à ses propres insuffisances.
Malgré son sort peu enviable de poisson hors de l’eau, du citadin qui n’a que sa méfiance pathologique comme carapace contre de nouveaux dangers l’assaillant de toute part dans cette nature sauvage, il met du temps avant d’abandonner son état d’esprit hautain. Son idée fixe de devenir le plus grand reporter de guerre de tous les temps finit alors par céder aux exigences du terrain. La première d’entre elles est l’adaptation aux rencontres qu’il fait dans ce coin isolé du monde. C’est moins la tradition aventurière du divertissement à la Vera Cruz de Robert Aldrich qui y règne que la chape de plomb de l’abattement tropique déjà croisée chez Werner Herzog et Francis Ford Coppola. En toute logique, le lien qui se tisse entre Louis et son compagnon de route autochtone Pinto – la paix intérieure même, grâce au jeu naturel de Leynar Gomez – devra contourner de nombreux obstacles, pas que d’ordre linguistique, avant de s’épanouir au moins un peu.
L’invention de la manipulation
Au fond, Louis reste toutefois un homme seul. Seul avec son passé familial trouble qui le hante, jusqu’à ce que le scénario nous le révèle d’une façon un peu trop conventionnelle pour un film autrement si fascinant. Seul, face à l’admiration excessive de la part de son confrère américain, vraiment très américain, qui a beaucoup moins de scrupules que lui pour trahir la vérité intrinsèque de l’enregistrement photographique en échange de quelques francs supplémentaires. Il ne se conforme pas davantage à l’appareil militaire, cette grande nébuleuse dont on entend plus la violence sanguinaire hors cadre qu’on ne la voit. Pire encore, le calcul froid de l’état-major, Thomas Chabrol en officier technocrate sans âme, n’a que faire de son éthique professionnelle et décide soudainement de lui retirer son soutien.
Sans mandat, ni boussole déontologique, Louis pourrait se retrouver dès lors comme simple touriste avant l’heure dans une région tiraillée entre les intérêts des grandes puissances coloniales. Il aurait pu repartir de zéro, faire de Pinto son fidèle apprenti et s’émerveiller devant la beauté plastique sous forme multiple que le Mexique a à offrir. Or, la guerre le rattrape sans prévenir. Elle est plus présente que jamais, trop brutale et inhumaine pour être prise sereinement en photo, mais plus que jamais la source de tous les malheurs du héros. Personne ne peut la gagner, même pas le chef de l’armée mexicaine, plein d’incompréhension face à la graine pacifiste que le fait de fréquenter ce Français de moins en moins typique a fait pousser chez son assistant. Néanmoins, le récit se garde de tout manichéisme sommaire, au profit du constat à la lucidité appréciable que la vie ne vaut pas chère en temps de guerre.
Vous pensez que c’est un lieu commun ? Peut-être. En tout cas, il est transmis ici dans un habillage filmique aussi beau que prometteur quant aux futurs projets de Aurélien Vernhes-Lermusiaux !
Conclusion
Sans être une épopée historique à grande échelle, Vers la bataille sait parfaitement transcrire les enjeux qui président à chaque conflit armé, hier comme aujourd’hui. Le premier film de fiction du réalisateur puise sa force visuelle dans l’univers de Lucrecia Martel et son magistral Zama. En parallèle, il sait trouver sa propre voie, quelque part entre l’aventure intimiste et la mise en perspective de l’impuissance de l’individu pour influer sur le cours des choses, à plus ou moins grande échelle. Enfin, Malik Zidi y exprime merveilleusement toute l’angoisse et l’insécurité de l’intrus colonial, qui était hélas pour beaucoup dans le déroulement entièrement condamnable de cette partie-là de l’Histoire française.