Critique : Une vie (James Hawes)

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Une vie

Royaume-Uni, 2023
Titre original : One Life
Réalisateur : James Hawes
Scénario : Lucinda Coxon et Nick Drake, d’après la biographie de Barbara Winton
Acteurs : Anthony Hopkins, Johnny Flynn, Helena Bonham Carter et Lena Olin
Distributeur : SND
Genre : Drame de réfugiés
Durée : 1h49
Date de sortie : 21 février 2024

3/5

Il y a trente ans, grâce à La Liste de Schindler de Steven Spielberg, le monde prenait connaissance d’un destin hors du commun. Celui d’un homme qui avait réussi à sauver d’innombrables hommes, femmes et enfants, alors que la plupart de ses compatriotes avaient préféré suivre la folie idéologique d’Adolf Hitler ou se taire. Une goutte d’eau dans l’océan de la barbarie nazie, certes, mais un combat de héros solitaire qui avait alors ému des dizaines de millions de spectateurs à travers la planète.

A peine cinq ans plus tôt, l’histoire d’un autre résistant dans le cœur et les actes avait refait surface à la télévision britannique. Cette fois-là, il s’agissait d’un citoyen anglais, tellement consterné par ce qui se passait sur le continent pendant les dernières semaines avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, qu’il avait tenté l’impossible : sauver autant d’enfants de réfugiés que logistiquement possible, avant que l’étau de l’invasion allemande en Tchécoslovaquie ne se resserre autour d’eux.

Une vie raconte cette aventure incroyable d’une façon agréablement sobre. La mise en scène de James Hawes a beau insister sur l’aspect émotionnel de cette opération de secours en temps de guerre, elle sait aussi rester fidèle au tempérament de son personnage principal. Car avant d’être célébré tardivement comme un héros national, Nicholas Winton se définissait comme un homme ordinaire, hanté par l’aveu de son impuissance de ne pas avoir pu mener l’évacuation des enfants tchèques jusqu’au bout.

Dans l’un de ces beaux rôles de vieillesse que Anthony Hopkins enchaîne, là où ses confrères octogénaires sont partis à la retraite, voire ne sont plus de ce monde, l’acteur arrive aisément à transmettre la modestie du protagoniste. A aucun moment, il ne tente d’y récolter les fruits de ses exploits. Au contraire, il garde le souvenir traumatisé de cette épreuve historique. Un dilemme que la narration en parallèle, à un demi-siècle d’intervalle, parvient à articuler sans peine.

© 2023 Julie Vrabelova / BBC Films / MBK Productions / See Saw Films / SND Tous droits réservés

Synopsis : En 1987, l’ancien trader Nicholas Winton profite des quelques jours d’absence de sa femme Grete pour ranger son bureau, fortement encombré par des documents de sa vie passée au service des autres. Seule une pochette résiste à son envie de faire table rase du passé. Elle contient le carnet avec les notes de son séjour à Prague, où il s’était rendu près de cinquante ans plus tôt afin d’y prêter main forte au comité britannique pour les réfugiés. La situation rencontrée sur place l’avait tellement révolté, qu’il avait dès lors mis tout en œuvre pour sauver au moins les enfants de la menace d’une extermination certaine de la part des forces allemandes, prêtes à annexer le pays.

© 2023 Peter Mountain / BBC Films / MBK Productions / See Saw Films / SND Tous droits réservés

Quel peut bien être l’enjeu d’un film comme Une vie, qui conte en des termes hagiographiques l’exploit d’une personne a priori inconnue des manuels d’Histoire ? De mettre enfin cet homme, si peu enclin à faire sa propre promotion, sous les feux des projecteurs ? Ou bien, d’établir des parallèles plus ou moins directs avec notre monde d’aujourd’hui, dans lequel des millions de réfugiés frappent à la porte d’une Europe de plus en plus fortifiée et qui risque de tanguer dangereusement à l’extrême droite lors des prochaines échéances éléctorales ?

Sans doute, il y a un peu de tout cela dans la démarche de James Hawes, un habitué de la télévision anglaise depuis trente ans, qui fait enfin le saut sur le grand écran avec son premier long-métrage de cinéma. Un changement de casquette plutôt réussi, puisque le récit sait jouer simultanément sur les deux tableaux du combat épique d’antan d’un côté et du bilan de fin de vie sans complaisance de l’autre.

Visiblement, cette recette de la mise en abîme, par ailleurs dépourvue des dispositifs de l’horreur à l’état pur qui avaient rendu le film de Spielberg si éprouvant, a porté ses fruits, Une vie réunissant près de deux millions de spectateurs en France, au bout de deux mois depuis sa sortie en février. Un plébiscite d’autant plus mérité que l’emphase de la narration s’y résume à la musique de Volker Bertelmann, fraîchement oscarisé l’année dernière pour un film de guerre au ton infiniment plus cru, A l’ouest rien de nouveau de Edward Berger.

En effet, le sentiment d’urgence naît ici surtout de la course contre la montre du côté de l’histoire tchèque, le récit cadre demeurant joliment figé dans une posture d’introspection personnelle et de déblayage matériel. Le va-et-vient entre les deux est rarement opportuniste et encore moins accompagné d’effets de narration clinquants. Plutôt s’emploie-t-il à asseoir la philosophie de vie du protagoniste : faire de son mieux à un moment donné, au lieu de se morfondre en réflexions stériles sur le pourquoi du comment et toutes les raisons qui devraient pousser à la lâcheté de l’inaction.

© 2023 Julie Vrabelova / BBC Films / MBK Productions / See Saw Films / SND Tous droits réservés

Bref, Une vie est un film de qualité. Une qualité qui se mesure autant dans le respect qu’il accorde à tous les personnages, sans exception, qu’à l’absence d’un quelconque antagoniste clairement identifié. Nul besoin d’un manichéisme caricatural pour faire comprendre que la situation intenable des enfants dans les camps de réfugiés se transformera très prochainement en quelque chose de proprement létale. Et c’est peut-être justement cette menace sans visage qui la rend d’autant plus inquiétante et insaisissable. A l’image de l’incertitude du héros sur ses vieux jours, qui ignore comment se séparer convenablement de son trésor d’archives. Ce dernier retrace avec une précision de comptable tout ce que Nicholas avait réussi à faire autrefois, sans pour autant occulter les zones d’ombres d’un combat à première vue perdu d’avance.

Ce qui soulève une question probablement encore plus essentielle que celle des vénérables sursauts de courage dont l’humanité a invariablement besoin dans ses heures les plus sombres : comment faire pour faire perdurer cet héritage altruiste, sans qu’il ne prenne de la poussière sur les étagères d’une bibliothèque, mais sans qu’il ne devienne un spectacle de foire non plus ?

En tout cas, dans ce film-ci, tout concourt à créer un récit doucement édifiant, saupoudré de la sagesse de l’âge. La distribution fort prestigieuse, notamment dans le récit cadre, y participe avec la même modestie que celle qui caractérise le projet dans son ensemble. Ainsi, Jonathan Pryce – lors de retrouvailles entre papes, quatre ans après Les Deux papes de Fernando Meirelles – et Marthe Keller se contentent d’une brève, quoiqu’importante séquence chacun. Et les femmes dans la vie de Nicholas, interprétées avec une belle force intérieure par Helena Bonham Carter pour sa mère, Lena Olin pour sa femme et Romola Garai pour son soutien tchèque, savent que la lutte pour la survie des enfants est primordiale, par rapport aux considérations plus pragmatiques qu’elles pourraient cultiver dans leurs contextes respectifs.

© 2023 Peter Mountain / BBC Films / MBK Productions / See Saw Films / SND Tous droits réservés

Conclusion

Comparer Une vie à La Liste de Schindler ne rend justice ni à l’un, ni à l’autre. Sur un sujet tout de même proche, la maestria assommante de Spielberg dans le film de 1993 est remplacée dans le cas présent par un raisonnement à distance. Car dans le film de James Hawes, ce qui importe au moins autant que la mise en place laborieuse des convois par train des jeunes réfugiés accueillis au Royaume-Uni, c’est le regard que notre société porte rétrospectivement sur un tel acte de bravoure, passé inaperçu au moment des événements tragiques de la guerre. Sur le visage grave et pensif de Anthony Hopkins, cette quête impossible de la conclusion d’un chapitre douloureux de son histoire intime et de notre mémoire collective à tous se lit avec une douceur intense, à laquelle il est impossible de se soustraire.

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