Critique : Une robe pour Mrs. Harris

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Une robe pour Mrs. Harris

Royaume-Uni, Hongrie, 2021
Titre original : Mrs Harris goes to Paris
Réalisateur : Anthony Fabian
Scénario : Carroll Cartwright, Anthony Fabian, Keith Thompson et Olivia Hetreed, d’après le roman de Paul Gallico
Acteurs : Lesley Manville, Isabelle Huppert, Lambert Wilson et Alba Baptista
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h56
Date de sortie : 2 novembre 2022

3/5

Ils forment l’armée cachée qui fait tourner notre pays : ces hommes et ces femmes de l’ombre, constamment à l’œuvre pour que notre drôle de civilisation ne sombre pas dans la saleté et le désordre. Cette « France qui se lève tôt », selon l’expression pleine de dédain social de la part d’un ancien président de la République, on préfère ne pas la voir et encore moins la côtoyer de près. Et pourtant, sans elle, ce serait partout un chaos indescriptible. Le cinéma ne s’efforce, lui non plus, de chanter les louanges de cette classe sociale modeste et serviable, à moins de tomber dans l’excès du mélodrame misérabiliste. Décidément, tous les éléments convergent pour que rien ne change et que la pyramide sociale reste fermement ancrée dans son injustice intrinsèque. Mais assez de ces tirades d’indignation passive, puisqu’un film comme Une robe pour Mrs. Harris n’a point pour vocation de bousculer le monde.

Aussi plaisant et parfois même touchant le film de Anthony Fabian soit-il à regarder, au fond, il sert docilement la cause du maintien du statu quo. Car après une série de revirements savamment dosés, c’est le consensus qui y triomphe une fois pour toutes. Celui précisément contre lequel le personnage principal s’est vaillamment battu pendant près de deux heures. Inutile donc de rêver aux contes de fées, de prétendre à un rang social qui n’est aucunement le sien, puisqu’en fin de compte, c’est en se contentant de ses petits plaisirs du quotidien qu’on vivra le mieux. En termes de féminisme, le constat n’est pas plus édifiant, les femmes restant sans exception les subordonnés des hommes, l’état d’esprit passablement engoncé des années 1950 oblige. Bref, en guise de divertissement inoffensif, ça passe, tandis que les velléités de révolte ont plutôt tendance à s’essouffler bien vite ici.

© 2021 Moonriver Content / Superbe Films / Entertainment One / Focus Features / Universal Pictures International France
Tous droits réservés

Synopsis : En 1957 à Londres, l’infatigable femme de ménage Ada Harris n’a pas perdu l’espoir de revoir un jour son mari, disparu pendant la guerre. Quand sa mort est confirmée, la pilule du deuil passe plus facilement, quand Ada découvre une magnifique robe conçue par Dior chez l’un de ses employeurs. Dès lors, cette femme modeste et sans histoires n’a qu’une idée en tête : réunir l’argent nécessaire, afin de partir à Paris et acquérir à son tour un vêtement aussi splendide. Malgré de nombreux contretemps, elle y parvient. Or, une fois arrivée aux portes de la maison Dior, elle doit se rendre compte qu’elle n’y est pas à sa place.

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La revanche de la femme invisible

L’autre option serait de prendre, au contraire, cette variation sur l’éternel thème du poisson hors de l’eau comme une parabole perspicace, capable d’anéantir un par un les rêves du personnage principal, sans forcément briser irrémédiablement son cœur. Amené de façon légère et décomplexée, cela s’appelle la sagesse, on dirait. Celle-ci se manifeste avec d’autant plus de conviction, grâce au jeu dépourvu de fausse modestie de Lesley Manville. Si l’on était mauvaise langue, on dirait que ce premier rôle n’a été offert à l’actrice habituée des films de Mike Leigh, au propos social infiniment plus cru, que suite à sa nomination aux Oscars il y a quatre ans pour Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Toutefois, son interprétation se distingue par une telle finesse que l’équilibre entre l’émerveillement d’un côté et la conscience accrue de son rôle dans une société fortement hiérarchisée de l’autre est parfaitement maintenu.

Une rêveuse invétérée, cette Madame Harris l’est certainement. En même temps, elle se voile pendant longtemps la face, trimballant avec elle pendant plus de dix ans le petit paquet qui aurait pu lui révéler de suite ce qu’est devenu son mari. Sa prise de conscience s’opère progressivement, aussi parce qu’elle s’adonne à des stratagèmes joliment extrêmes pour réunir la somme nécessaire, afin de faire de son projet fou une réalité. Le courage et la persévérance compensent alors pour la gestion peu prévoyante de son argent. De la même manière que, plus tard dans le film, dans les rues d’une ville de Paris jonchée de détritus, elle sera davantage une entremetteuse romantique et sociale habile qu’une actrice engagée dans la réalisation de son bonheur personnel.

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La gentillesse des étrangers

Car la véritable noblesse du personnage principal ne peut réellement s’épanouir qu’à cause de la bienveillance qui se manifeste à son égard, presque dès qu’elle met les pieds sur le sol français. C’est-à-dire une fois qu’elle aura accompli une marche forcée depuis l’aéroport du Bourget jusqu’à la Gare du Nord. Quelle femme ! Cet entêtement éclairé porte invariablement ses fruits, comme s’il suffisait d’une bonne volonté indécrottable pour que toutes les portes s’ouvrent à vous. Ce doux délire de l’optimisme navigue alors sans peine à travers des terrains minés, d’une nuit passée auprès des clochards jusqu’à l’irruption dans le monde huppé des super-riches de l’avenue Montaigne, où la résistance demeure au mieux anecdotique. Que l’agent majeur de cet antagonisme manichéen soit notre chère Isabelle Huppert nationale en dit hélas long sur le volet anglophone de son illustre carrière, sans commune mesure avec ses tours de force du côté du cinéma français !

L’emploi de Lambert Wilson n’est pas vraiment plus nuancé, puisqu’il persiste et signe dans le rôle qu’il maîtrise sur le bout des doigts : celui du snob aristocratique, certes d’une élégance à toute épreuve, mais aussi assez creux, une fois qu’on aura gratté la surface brillante. Néanmoins, il s’en sort toujours mieux que la pauvre Guilaine Londez, abonnée aux harpies qui réservent un accueil glacial à l’intruse, voire à tout leur entourage. Non, quand même, les clichés, saupoudrés d’une couche épaisse de sucre, vont un peu trop loin dans ce conte social, où tout le monde ou presque finit par trouver chaussure à son pied, même les intellos existentialistes.

Heureusement, en plus du jeu sans fard de Lesley Manville, celui tout aussi discret et peu extravagant de Jason Isaacs permet au ton d’Une robe pour Mrs. Harris de ne pas s’emballer complètement, de rester fidèle au message consensuel et donc rassurant de ce divertissement pas sans charme.

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Conclusion

Les costumes créés par Jenny Beavan sont exquis. Et comment pourrait-il en être autrement, dans un film qui célèbre pleinement l’enthousiasme qu’inspirent à certains les habits de luxe ? Malgré la mise en scène solide, mais guère virtuose de Anthony Fabian, il ressort pourtant un message sensiblement plus consistant d’Une robe pour Mrs. Harris. Que – peu importe son âge ou sa condition sociale – il n’est jamais trop tard pour rêver et, surtout, pour se donner les moyens afin de s’approcher le plus possible de ses objectifs insensés, à condition de rester lucide quant aux fortes chances d’échouer sur le chemin.

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