Critique : une famille syrienne

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Une famille syrienne

Belgique, France, Liban : 2017
Titre original : Insyriated
Réalisation :  Philippe Van Leeuw
Scénario : Philippe Van Leeuw
Acteurs : Hiam Abbass, Diamand Bou Abboud, Juliette Navis
Distribution : KMBO
Durée : 1h26
Genre : Drame
Date de sortie : 6 septembre 2017

4/5

C’est en tant que Directeur de la photographie que le belge Philippe Van Leeuw a commencé en 1991 sa carrière cinématographique. C’était avec Le jour du chat, un court métrage de son compatriote Alain Berliner (Ma vie en rose). En 1999, il est le Directeur de la photographie d’Alain Dumont sur La vie de Jésus. En 2009, il sort son premier film en tant que réalisateur (et, également, scénariste) : Le jour où Dieu est parti en voyage, un film abordant le génocide au Rwanda. Philippe Van Leeuw est manifestement un homme marqué par les situations intolérables créées et entretenues par la rapacité et la lâcheté des grandes puissances, le titre de son deuxième film, Une famille syrienne, en disant plus qu’un long discours sur ce qu’il a entrepris de montrer. Ce film faisait partie de la sélection Panorama lors de la dernière Berlinade, en février dernier, et il y a obtenu le Prix du Public et le Prix Label Europa Cinemas.

Synopsis : Dans la Syrie en guerre, d’innombrables familles sont restées piégées par les bombardements. Parmi elles, une mère et ses enfants tiennent bon, cachés dans leur appartement. Courageusement, ils s’organisent au jour le jour pour continuer à vivre malgré les pénuries et le danger, et par solidarité, recueillent un couple de voisins et son nouveau-né. Tiraillés entre fuir et rester, ils font chaque jour face en gardant espoir.

 

Une journée ordinaire au sein d’une famille syrienne

Au travers des vitres d’une fenêtre, une échappée vers une petite place qui ressemble fort à un champ de ruines, un groupe de personnes qui discutent, le son caractéristique des hélicoptères qui survolent les environs. Un coup de feu, un sniper qui vient de tirer, le groupe qui se disloque aussi rapidement que possible : le début du film présente une des rares scènes de Une famille syrienne qui ne se déroule pas dans le huis-clos de l’appartement d’une famille plongée dans cette situation inextricable que connait la Syrie et dont le cinéma nous a peu parlé jusqu’à présent. A la tête de cette famille, une femme d’origine palestinienne : Oum Yasan, la cinquantaine, énergique, une main de fer dans un gant de velours. Autour d’elle, ses deux filles, Yara, l’aînée, une adolescente et Aliya, Yazan, son fils, le petit dernier, Abou Monzer, son beau-père, et Karim, un neveu très enclin à flirter avec Yara. Sont également présentes Delhani, la jeune domestique, et Halima, la voisine du dessus, venue se réfugier dans l’appartement de Oum Yasan avec son très jeune bébé, la guerre ayant causé au sien de très gros dégâts.

Le mari de Oum Yazan, on ne le verra jamais, la famille essayera de le joindre durant toute la journée mais le réseau téléphonique est si touché que les communications, quand on arrive à en avoir une, sont très vite interrompues. Le mari de Halima, lui, on le voit au tout début du film. Il est venu annoncer une bonne nouvelle à sa femme : un journaliste français est disposé à les aider à partir se réfugier au Liban. Quand ? Le soir même. Sauf que, en quittant l’appartement, il est touché par les balles d’un sniper. Est-il toujours vivant ? Est-il mort ? Cette scène, Delhani l’a vue au travers de la fenêtre et son souhait serait d’en faire part à Halima. Mais Oum Yasan tient à protéger sa famille et elle craint les conséquences sur la cohésion du groupe d’une telle annonce faite à Halima. Il faut attendre avant de propager cette information.

Une véritable réussite

Des films sur la guerre, sur les guerres, sur les horreurs qu’elles engendrent, on en a vu beaucoup depuis que le cinéma existe : des scènes de bataille, des sabotages, des pillages, des actes héroïques, des trahisons, etc, on a vu tout cela de nombreuses fois. On a même vu des comédies et certaines étaient très drôles. Par contre, des films qui relatent de façon intimiste la journée d’une famille ordinaire réfugiée dans son appartement, au milieu d’une ville prise dans la folie des combats entre clans rivaux, avec son lot de pillages et de viols, le cinéma ne nous en a pas présenté beaucoup. On apprécie d’autant plus Une famille syrienne que cette rareté cinématographique est une véritable réussite.

Cette réussite, on la doit bien sûr avant tout au scénariste et réalisateur Philippe De Leeuw qui arrive à merveille à confronter les spectateurs à ce que peut être l’instinct de survie chez des êtres dont on se sent de plus en plus proche. Qui nous fait réfléchir aux notions de courage et de lâcheté : que ferions nous si nous étions placés dans ces conditions dramatiques ? Jusqu’où serions nous prêts à aller pour aider autrui ? Qui sait faire alterner avec bonheur des scènes dignes d’une vie presque normale, une vie de tous les jours et de tous les endroits, et d’autres, une surtout, pleines d’une grande tension et qui touchent le spectateur au plus profond de son âme. Qui construit très habilement une métaphore de la Syrie, considérée par lui comme trop longtemps abandonnée par les grandes  puissances, en montrant pendant de longues minutes l’agression de Halima par 2 hommes, les autres occupants de l’appartement étant réfugiés dans la cuisine, sachant pertinemment ce qui se passe mais n’intervenant en aucune façon : une scène glaçante, presque insoutenable, mais absolument pas sordide pour autant.  

La découverte d’une grande comédienne

Tout cela est filmé principalement en plans séquence par une caméra tenue à l’épaule évoluant dans l’appartement avec une grande fluidité, avec une bande son très discrète mais qui raconte sans ambigüité ce qui se passe autour de l’appartement : hélicoptères sillonnant le ciel, coups de feu, bombes qui éclatent.

Et puis, il y a les comédiens et, surtout, les comédiennes. Hiam Abbass, toujours aussi juste, qui interprète Oum Yazan avec une force confondante ; Juliette Navis, que le cinéma et la télévision de notre pays connaissent bien, superbe dans le rôle de Delhani, la bonne ;  Diamand Bou Abboud, l’interprète du rôle de Halima, pour nous français, la découverte du film : dans un rôle difficile, cette actrice libanaise, sans forcer son jeu, bouleverse les spectateurs ne serait-ce que par son seul regard et elle est tout simplement extraordinaire dans la scène de l’agression.

Conclusion

Depuis plusieurs années, de nombreux syriens vivent un véritable enfer dans leur vie quotidienne. Une famille syrienne a le grand mérite de nous faire partager, sans pathos, la journée, malheureusement ordinaire, d’un groupe de personnes réfugiées dans un appartement. Tourné au Liban et parlant de ce que vivent les syriens depuis de trop nombreuses années, ce film a bien sûr une portée beaucoup plus vaste : tous les pays du monde où se passent de tels conflits ! On ne manquera pas d’ajouter que le réalisateur Philippe de Leeuw fait preuve de grandes qualités cinématographiques et que la distribution est superbe.

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