Critique : Un triomphe

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Un triomphe

France : 2020
Réalisation : Emmanuel Courcol
Scénario et dialogues : Emmanuel Courcol, Thierry de Carbonnières, Khaled Amara
Interprètes : Kad Merad, David Ayala, Lamine Cissokho, Sofian Khammes, Marina Hands, Pierre Lottin, Laurent Stocker
Distribution : Memento Distribution
Durée : 1h46
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 1er septembre 2021

4/5

Un triomphe n’est que le deuxième long métrage réalisé par Emmanuel Courcol, pourtant déjà âgé de 63 ans. Une bonne raison pour cela : il s’est d’abord tourné vers les planches de théâtre en tant que comédien, avant d’aborder le cinéma et la télévision, toujours en tant que comédien. En 2001, l’entrée dans le monde du cinéma s’est approfondie avec l’écriture de scénarios, en particulier en collaboration avec Philippe Lioret. Welcome et Toutes nos envies sont des fruits de cette collaboration. C’est en 2017 que sort son premier film en tant que réalisateur : Cessez-le-feu, avec Romain Duris en tête d’affiche. Un triomphe faisait partie de la Sélection Officielle du Festival de Cannes 2020.

Synopsis : Un acteur en galère accepte pour boucler ses fins de mois d’animer un atelier théâtre en prison. Surpris par les talents de comédien des détenus, il se met en tête de monter avec eux une pièce sur la scène d’un vrai théâtre. Commence alors une formidable aventure humaine. Inspiré d’une histoire vraie.

Un atelier de théâtre dans une prison

Comédien qui n’a pas mis les pieds sur les planches depuis 3 ans, intermittent du spectacle n’arrivant à vivoter qu’en acceptant, quand on le lui propose, n’importe quel travail plus ou moins lié au théâtre, comme apprendre le haka aux employés d’une entreprise dans le cadre d’un stage de cohésion, Etienne est forcément très satisfait d’être pressenti pour animer un atelier de théâtre dans une prison. Stéphane, son prédécesseur, faisait travailler les quelques prisonniers volontaires sur des fables de La Fontaine, les premiers volontaires qu’on présente à Etienne ne semblent motivés que par le « Stand Up », mais Etienne fait du théâtre et il tient à faire faire du théâtre aux prisonniers qui mettront les pieds dans son atelier. Du théâtre et pas n’importe quel théâtre, qui plus est : c’est « En attendant Godot », de Samuel Beckett, qu’il envisage de monter ! Un choix qui, pour lui, s’impose très naturellement, un « taulard » étant en permanence, tout comme Vladimir et Estragon, en position d’attente, en attente des visites, en attente, plus encore, de sa sortie de prison.

Au départ, une histoire vraie

Le scénario de Un triomphe a été inspiré par une histoire vraie qui s’est déroulée en Suède dans les années 80. Cette histoire, c’est celle de Jan Jönson, un comédien suédois qui, en 1985, a monté la pièce « En attendant Godot » avec des détenus de la prison de haute sécurité de Kumla, à 200 kilomètres à l’ouest de Stockholm. De cette expérience, Samuel Beckett a  dit que c’était ce qui était arrivé de plus beau à sa pièce. Une expérience qui, en 2005, avait fait l’objet d’un documentaire de Michka Saäl ayant pour titre Prisonniers de Beckett. Emmanuel Courcol a fait murir son film pendant de nombreuses années, en finissant par revenir à une grande fidélité par rapport à la réalité des faits tout en tenant compte, bien sûr, de tout ce qu’il peut y avoir comme différences entre une prison suédoise des années 80 et une prison française de 2020.

Bien évidemment, le travail d’Etienne/Jan ne s’apparente pas à une promenade tranquille, sinon, il n’y aurait pas eu matière à la réalisation d’un film : avec la question qu’on se pose dès le début, à savoir si le projet d’Etienne pourra être mené jusqu’au bout, entre les répétitions, les rapports d’Etienne avec les 5 volontaires du départ, les magouilles d’un sixième, issu du grand banditisme, pour arriver à remplacer sur le tard un des 5 et qui va se révéler être le meilleur comédien de la « troupe », la tchatche des prisonniers, les rapports avec la directrice de l’établissement pénitentiaire, afin, en particulier, d’obtenir plus d’heures de répétition, le rôle des surveillants de prison, certains adhérents au projet, d’autres y étant hostiles, les rapports avec l’institution judiciaire pour pouvoir faire sortir les prisonniers et aller jouer dans un véritable théâtre, Emmanuel Courcol avait toute la matière pour la réalisation d’un film choral qui montre combien la culture est un bien important, un bien qui permet à toutes et à tous de se libérer des carcans qui nous emprisonnent durant notre existence. Avec, comme résultat, un film sans aucun temps mort qui ne peut qu’enchanter les spectateurs. Sans parler de ce qui s’est déroulé à la fin de la véritable histoire, qu’on se gardera bien de divulgâcher et que le réalisateur, bien aidé par Kad Merad, a traduit dans son film par une véritable scène d’anthologie.

Un très bonne direction d’acteur

Il évident que le passé de comédien d’Emmanuel Courcol n’est pas pour rien dans l’excellence dans la direction d’acteur qu’il montre du début à la fin de Un triomphe. Prenez Kad Merad : il tourne beaucoup, il peut être très bon, il peut aussi ne pas l’être, surtout lorsque un réalisateur n’arrive pas à canaliser un certain cabotinage. Dans Un triomphe, il est excellent dans le rôle d’un comédien sans succès qui va totalement s’investir dans sa recherche de transformation de prisonniers sans aucune expérience théâtrale en comédiens aptes à se frotter à une pièce particulièrement exigeante. Parmi les interprètes des prisonniers, on remarque particulièrement Sofian Khammes, l’interprète de Kamel, en prison pour faits de grand banditisme, et Pierre Lottin, l’interprète de Jordan, un petit voleur archi récidiviste qui, à force de cumuler les petites peines, risque de passer la plus grande partie de sa vie en prison et qui se montre époustouflant lorsqu’il débite le monologue de Lucky sans reprendre son souffle. « On remarque particulièrement … », avons nous écrit. En fait, tous les interprètes sont excellents. Y compris, bien sûr, les deux interprètes estampillés Comédie Française, Marina Hands dans le rôle d’Ariane, la directrice du Centre pénitentiaire, favorable à la réinsertion par la culture, et Laurent Stocker, l’interprète de Stéphane, celui qu’Etienne a remplacé et qui est directeur d’un théâtre. A noter qu’une partie importante de Un triomphe a été tournée dans une prison en fonctionnement, au Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin.

Conclusion

S’inspirant d’une histoire vraie qui s’est déroulée en Suède il y a 35 ans, Emmanuel Courcol nous propose une réflexion très enlevée et savoureuse sur l’importance de la culture. Mettant à profit son passé de comédien, le réalisateur tire le meilleur profit des acteurs qu’il a réunis, que ce soit Kad Merad qui n’a été que rarement aussi bon ou les interprètes des « taulards », tellement justes qu’on a parfois l’impression de regarder un documentaire.

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