Un parfait inconnu
Etats-Unis : 2024
Titre original : A complete unknown
Réalisation : James Mangold
Scénario : Jay Cocks, James Mangold d’après « Dylan électrique » de Elijah Wald
Interprètes : Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro
Distribution : The Walt Disney Company France
Durée : 2h20
Genre : Biopic
Date de sortie : 29 janvier 2025
3.5/5
Synopsis : New York, début des années 60. Au cœur de l’effervescente scène musicale et culturelle de l’époque, un énigmatique jeune homme de 19 ans arrive dans le West Village depuis son Minnesota natal, avec sa guitare et un talent hors normes qui changeront à jamais le cours de la musique américaine. Alors qu’il noue d’intimes relations durant son ascension vers la gloire, il finit par se sentir étouffé par le mouvement folk et, refusant d’être mis dans une case, fait un choix controversé qui aura des répercussions à l’échelle mondiale…
Un parfait inconnu qui ne va pas le rester longtemps
Un chanteur qui fait l’objet d’un procès du fait de ce que racontent ses chansons : on reconnait Pete Seeger, un des pères fondateurs du mouvement folk aux Etats-Unis. Un homme souffrant de la maladie de Huntington, alité dans un hôpital new-yorkais : on reconnait Woody Guthrie, un autre père fondateur de ce mouvement. New-York, fin janvier 1961, un jeune homme qui arrive à New-York, avec comme seuls bagages un petit sac à dos et une guitare : on ne devrait pas le reconnaitre car c’est, alors, un parfait inconnu, mais tout est fait, et bien fait, pour qu’on reconnaisse le jeune Bob Dylan, arrivant de son Minnesota natal. Il a déjà écrit plusieurs chansons, mais, dans les maisons de disques qui accueillent des interprètes de musique folk, on préfère alors leur faire enregistrer des reprises de standards, que ce soit des blues ruraux ou des chansons en provenance des iles britanniques. C’est ainsi que Bob Dylan, très vite remarqué par ses prestations dans les clubs de Greenwhich Village et faisant même l’objet d’une critique particulièrement positive dans le New York Times du 29 septembre 1961, très vite signé par Columbia par le producteur John Hammond, n’arrivera à placer que 2 ce ses compositions, « Talkin’ New York » et « Song to Woody », dans son premier album, simplement intitulé « Bob Dylan », enregistré en novembre 1961 et sorti le 19 mars 1962. Il se rattrapera dès l’album suivant, « The freewheelin’ Bob Dylan », enregistré entre avril 1962 et avril 1963, un album qui sort le 27 mai 1963 et qui inverse la tendance avec 11 compositions personnelles et deux reprises.
De son arrivée à New-York en janvier 1961 à sa dernière visite à Woody Guthrie peu de temps après sa prestation houleuse donnée lors du concert du soir le dimanche 25 juillet 1965 au Festival de Newport 1965, le film suit de façon chronologique l’évolution musicale de Bob Dylan, ses rapports avec Albert Grossman, son manager, et ceux avec d’autres musiciens comme Johnny Cash ou Bobby Neuwirth, sa vie sentimentale avec une jeune femme appelée Sylvie Russo dans le film, mais qui, dans la réalité, s’appelait Suze Rotolo et était la fille de parents communistes. Et puis, bien sûr, sa relation à la fois musicale et sentimentale avec Joan Baez, déjà arrivée à un grand succès public et critique quelques mois avant lui. Tout en se focalisant sur Bob Dylan, le film le quitte parfois pour s’intéresser, par exemple, à ce qui pouvait se passer au Gaslight Cafe ou au Gerde’s Folk City, deux salles de Greenwhich Village où se réunissait le monde de la musique folk et c’est ainsi qu’on assiste brièvement à une discussion animée sur les différences ou les ressemblances entre musique country et musique folk. Parmi les participants à cette discussion, les spécialistes reconnaitront facilement, bien que son nom ne soit pas cité, le chanteur Dave Van Ronk, présenté en 2013 par les frères Coen sous le nom de Llewyn Davis dans leur film Inside Llewyn Davis.
Une interprétation très solide
Il est faux de prétendre que James Mangold a lancé la mode des biopics musicaux consacrés à des vedettes de la musique populaire des Etats-Unis avec Walk the line, son film sur Johnny Cash dans lequel le chanteur était interprété par Joaquim Phoenix. En effet, ce film de 2005 avait été précédé par rien moins que The Buddy Holly Story, 1978, consacré à Buddy Holly, Great balls of fire, 1989, sur Jerry Lee Lewis, et Ray, sur Ray Charles, quelques mois avant Walk the line. Par contre James Mangold est un récidiviste puisqu’on le retrouve aux manettes pour ce biopic consacré aux 5 premières années de la carrière de Bob Dylan. Lorsqu’on se lance dans un tel projet, il est très important de se demander quel public on cherche à viser. Après tout, Bob Dylan est un octogénaire que la population âgée connait au moins de nom, mais qu’en est-il du jeune public, de celles et ceux qui sont né(e)s alors que Bob Dylan était déjà sexagénaire ?
Malin, James Mangold a choisi Timothée Chalamet, un comédien très populaire chez le jeune public, pour incarner Bob Dylan, espérant ainsi attirer vers son film une génération qui connait mal le chanteur et encore plus mal les débuts de sa carrière. Force est de reconnaître que la prestation de Timothée Chalamet est particulièrement bien réussie, tant au niveau de l’aspect physique que de l’interprétation des chansons. Toujours cette surprenante faculté qu’ont les comédiens et les comédiennes US à exceller lorsqu’on leur demande de prêter leur voix à des personnages célèbres de la chanson. Une grande qualité qu’on retrouve également chez Monica Barbaro, l’interprète de Joan Baez. Certes, physiquement, on n’est pas vraiment dans la ressemblance mais Monica Barbaro arrive à se montrer très satisfaisante quand il s’agit de reproduire la voix de soprano de Joan, une tâche beaucoup plus difficile que celle consistant à reproduire la voix de Dylan. Edward Norton est parfait dans son interprétation de Pete Seeger, tant physiquement qu’au niveau de la voix et de son langage du corps. Un peu moins satisfaisante est la prestation de Boyd Holbrook, l’interprète de Johnny Cash : la comparaison avec Joaquim Phoenix, l’interprète de Johnny Cash dans Walk the line, est loin de tourner à son avantage.
Une bonne introduction à Dylan, un film agréable à regarder et à écouter.
Mis à part le choix de l’interprète de Dylan, James Mangold a dû se poser de nombreuses autres questions : quelle est la bonne proportion en terme de longueur entre séquences purement musicales s’apparentant à des clips et le récit du vécu du chanteur et de son entourage durant la période 1961-1965 ? Le film est-il avant tout destiné à un public qui n’a qu’une connaissance très réduite non seulement de Bob Dylan mais aussi du mouvement folk du débit des années 60 ou, au contraire, doit il s’adresser à un public très pointu sur le sujet ? Un respect inconditionnel des faits doit il être la règle ou bien est-il possible de s’en écarter quitte à devoir essuyer des reproches ou des sarcasmes en provenance des connaisseurs du sujet ? Le genre de questions qu’avaient dû se poser les frères Coen lorsqu’ils ont réalisé Inside Llewyn Davis et auxquelles ils avaient apporté des réponses loin d’être satisfaisantes. En ce qui concerne l’aspect documentaire du film, Un parfait inconnu, même s’il n’est pas parfait, s’avère largement supérieur au film des Coen. Certes, certains trouveront qu’il y a trop de musique et pas assez de temps consacré au récit, mais, pour d’autres, ce sera le contraire. Certes, on n’échappe pas à quelques fausses informations comme celle consistant à monter une visite à Woody Guthrie au sein d’un hôpital ou celle consistant à nous faire croire que Joan Baez avait préempté « Blowing in the wind » pour être la première à en faire un succès discographique alors que c’est le trio Peter, Paul et Mary dont le manager, Albert Grossman, était également celui de Bob Dylan qui l’a sorti en single le 18 juin 1963, un single qui allait très vite atteindre la deuxième place au hit-parade.
Certes, alors qu’on se félicite que le film donne à Bobby Neuwirth l’importance qu’il mérite, on regrette que le rôle de Phil Ochs auprès de Dylan soit lui totalement occulté. Certes, James Mangold, n’a pas pu s’empêcher de placer dans son film le fameux incident du « Judas » lancé dans le public pour fustiger un chanteur qui abandonnait le folk pur et dur pour se convertir à des accompagnements de guitares électriques. Dans le film, on l’entend lors du concert du soir le dimanche 25 juillet 1965 du Festival de Newport de 1965, alors que c’est le 17 mai 1966, au Free Trade Hall de Manchester, que l’incident est réellement survenu. Par contre, le film montre bien le côté mythomane de Dylan, sans aller toutefois jusqu’à lui faire reprendre dans le film un de ses « bob-ards » préférés, consistant à dire qu’il était originaire de Gallup, au Nouveau-Mexique. Quant au côté pas toujours très sympathique de Dylan, assez évident dans le film, il se dit que c’est Albert Grossman, son manager, qui lui avait conseillé de se montrer autant que faire se peut sarcastique, voire acerbe, dans ses relations avec la presse et même avec ses amis. En résumé, Un parfait inconnu est à la fois une bonne introduction « dylanesque » pour celles et ceux qui connaissent très mal Bob Dylan et un film agréable à regarder et à écouter pour celles et ceux qui le connaissent très bien, donnant même à ces derniers le plaisir de reconnaître Maria Muldaur alors qu’elle n’est appelée que par son prénom ou Dave Van Ronk et Barbara Dane qui ne sont l’objet d’aucune présentation nominative.