Critique : Un métier sérieux

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Un métier sérieux

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Thomas Lilti
Scénario : Thomas Lilti
Acteurs : Vincent Lacoste, François Cluzet, Louise Bourgoin et Adèle Exarchopoulos
Distributeur : Le Pacte
Genre : Drame
Durée : 1h41
Date de sortie : 13 septembre 2023

3/5

Pour le fréquenter de manière semi-régulière lors de nos activités associatives, le personnel de l’éducation nationale mérite amplement notre respect, voire notre admiration. Malgré un salaire de misère et le grand écart entre les intérêts divergents des parents et des directives gouvernementales, les profs s’efforcent jour après jour à transmettre un mélange instable de savoir faire et de savoir être aux jeunes générations. C’est un métier sérieux, certes, mais surtout une profession dont on ne dira jamais assez de bien ! Avec son cinquième long-métrage, Thomas Lilti essaie d’ériger une sorte de monument cinématographique aux enseignants. Ni une hagiographie, ni le constat cinglant d’un échec social et pédagogique larvé, Un métier sérieux passe en revue les hauts et les bas d’une année dans un collège francilien.

Comme cela fut déjà le cas dans les films précédents du réalisateur à partir de Hippocrate en 2014, il y est surtout question de la routine professionnelle et comment chaque personnage tente de traverser à peu près indemne le terrain miné à la fois au bahut et chez soi. Les nombreux défauts de l’éducation nationale française y sont abordés sous forme d’une résistance sourde. Chaque prof a sa petite méthode pour résister à l’épuisement et aux élèves les plus perturbateurs, alors que le réalisme cru d’un quotidien sans gloire les guette à chaque sonnerie. Y priment dès lors la figure répétitive du conflit entre générations, ainsi que des mises à l’épreuve plus ou moins encadrées par une direction d’établissement dépourvue d’autorité.

Bref, le propos du film reste assez flou, à l’exception de la sympathie indéniable qu’il réussit à susciter pour l’ensemble des profs prématurément usés ou encore sans expérience. Cela est au moins partiellement le fruit d’une interprétation sans faille, ni véritable surprise non plus, à laquelle s’adonne une belle brochette d’acteurs, constituée des comédiens habitués du réalisateur Vincent Lacoste, François Cluzet et William Lebghil, de même que de quelques nouvelles têtes dans cet univers jamais enclin à l’emphase narrative.

Synopsis : Fraîchement muté au collège Victor Hugo, le nouveau prof remplaçant de maths Benjamin Barrois a du mal à y trouver ses repères. Heureusement, ses collègues plus expérimentés sont là pour le soutenir. Il y a le doyen de l’établissement Pierre, prof de français, qui craint d’ennuyer ses élèves avec L’Assommoir. Elle aussi en maths, Meriem cherche avant tout à assumer la garde alternée de son fils. La progéniture de Sandrine, prof de sciences de la vie et de la terre, est déjà plus âgée et fortement récalcitrante à son autorité parentale. Enfin, pour Fouad, prof d’anglais, tout roule tant qu’il peut garder son appartement de fonction au sein même du collège.

Des gens comme les autres

Si pour une bonne partie du cinéma français le Septième art rime avec évasion et divertissement, Thomas Lilti cultive un regard plus terre-à-terre sur les histoires qu’il souhaite raconter. Un métier sérieux en livre une preuve supplémentaire, tant le maître mot en paraît être la routine. Attention, cette routine-là n’est guère synonyme d’un ennui terne et glauque, ni d’une philosophie aussi délabrée que bon nombre d’édifices scolaires en France. Néanmoins, elle se conjugue à travers une série d’événements contée sans la moindre exagération.

Ces tranches de vie ont pour vocation de représenter tous ces profs français, hommes et femmes, qui font de leur mieux pour inculquer un peu d’éducation à nos enfants, sans nécessairement être reconnus à leur juste valeur. Rien d’outrancièrement dramatique ne se passe pendant l’année scolaire couverte par le récit, si ce n’est un conseil de discipline dont personne ne sort gagnant et une brève explosion névrotique que l’on voyait venir de loin, à force de frustrations subies sans broncher.

Sinon, les personnages suivent pratiquement tous une courbe d’évolution semblable. Ils sont aux prises avec des problèmes familiaux impossibles à résoudre, le plus souvent en rapport avec une communication impossible entre les parents et leurs enfants. L’exemple le plus radical en est le personnage de Louise Bourgoin, qui ne fait pas seulement fausse route en termes pédagogiques, mais qui a un véritable petit monstre adolescent à élever. Avant l’arrivée de la fameuse goutte qui fait déborder le vase de l’humiliation répétée, le regard noir qu’elle jette à la prof de son fils en dit plus long sur son désarroi profond que mille mots.

Le personnage principal par défaut, Vincent Lacoste qui accomplit depuis quelques années une belle courbe de maturité devant la caméra de cinéastes éclectiques, vit à peu de choses près le même calvaire. Sauf que son antagoniste récurrent est son père médecin, à qui Bouli Lanners confère le temps d’une séquence un beau dédain social pour le bas peuple des profs du secondaire.

Conseils sur la discipline

Et les élèves dans tout cela ? Puisque c’est tout de même pour eux que les profs se fatiguent tant. Étonnamment, Un métier sérieux s’en préoccupe à peine. Aucune histoire édifiante n’y est à signaler sur un cancre devenu un génie, grâce à l’investissement personnel du personnel éducatif. Bien au contraire, le seul à sortir tant soit peu du lot est cette bête noire, indisciplinée et violente, pour laquelle l’école de la République estime ne plus pouvoir faire grand-chose. Quel aveu d’échec à peine voilé ! Qui résonne d’autant plus amèrement à cause de l’absence de moments gratifiants, susceptibles de permettre aux profs de respirer enfin un peu. En dehors de la camaraderie attachante entre collègues, il n’y aurait donc rien qui permet aux profs d’aujourd’hui de tenir …

Et si le personnage le plus représentatif de ce microcosme au bord du précipice était celui que Adèle Exarchopoulos campe avec son énergie et son charme habituels ? Elle a beau gérer fermement ses priorités dans la vie, c’est aussi elle qui défend la première bec et ongles ses confrères malmenés par la direction. Et c’est également elle qui entretient le lien le plus décomplexé avec ses élèves. À vérifier lors de la toute première séquence du film ou bien lorsqu’elle réussit à désamorcer in extremis le conflit final. A la prochaine rentrée, elle ne sera plus là. Et pourtant, l’institution continue à tourner coûte que coûte, avec le personnel dévoué qu’elle a à sa disposition.

Conclusion

D’une valeur sociale certaine, Un métier sérieux a un peu plus de mal à se positionner sur le public qu’il compte cibler. En effet, le film de Thomas Lilti reste un peu trop tributaire des aléas de la vie quotidienne pour mettre ses personnages profs sur le piédestal de la reconnaissance publique. Or, il ne s’agit pas non plus d’un film sur le ras-le-bol général parmi le personnel éducatif, qui se déchargerait en grèves à répétition et autres bras de fer avec l’administration.

Par conséquent, nous avons du mal à cerner qui le réalisateur veut convaincre ou au moins rallier à la cause des profs à deux doigts du burn out. Au mieux, son film peut être compris comme une mise en garde vaguement optimiste sur les rouages de nos institutions, qui risqueraient à tout moment de s’enrayer, si ce n’était pour l’abnégation de milliers de profs comme ceux évoqués ici.