Un havre de paix
Israël : 2018
Titre original : Hatzlila
Réalisation : Yona Rozenkier
Scénario : Yona Rozenkier
Interprètes : Yoel Rozenkier, Micha Rozenkier, Yona Rozenkier
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1H31
Genre : Guerre, drame
Date de sortie : 12 juin 2019
3.5/5
Né en 1981 dans un kibboutz du nord de l’état d’Israël, Yona Rozenkier a étudié le cinéma à l’université de Tel Aviv. Il s’est d’abord fait connaître par la réalisation de courts-métrages et les récompenses qu’il a glanées dans de nombreux festivals. Un de ses court-métrages, Raz and Raja, faisait partie du projet Water, un programme de court-métrages réalisés dans le cadre d’une coopération israélo-palestinienne destinée à repenser les relations entre les deux pays. Un havre de paix, son premier long-métrage, a été primé aux festivals de Locarno et Jérusalem et a obtenu le Prix du public au Festival nantais des Trois Continents.
Synopsis : Trois frères se retrouvent pour enterrer leur père dans le kibboutz de leur enfance. Avishai, le plus jeune, doit partir deux jours plus tard à la frontière libanaise où un nouveau conflit vient d’éclater. Il sollicite les conseils de ses frères qui ont tous deux été soldats. Itaï souhaite endurcir le jeune homme tandis que Yoav n’a qu’une idée en tête : l’empêcher de partir. Dans ce kibboutz hors du temps, le testament du père va réveiller les blessures secrètes et les souvenirs d’enfance…
Trois frères fort différents
Rares sont les périodes de véritable tranquillité dans les kibboutz du nord d’Israël, à proximité de la frontière avec le Liban. Toutefois, le kibboutz dans lequel se déroule le film est très particulier, les vieux ayant obtenu que soient coupées les sirènes d’alarme pour pouvoir dormir tranquille. Pour remplacer ces sirènes : un message sur les portables. Sommes nous en 2006, au moment où va éclater la guerre israélo-libanaise ? C’est probable. Toujours est-il qu’une situation particulière va rassembler 3 frères qui n’ont pas été réunis depuis plusieurs mois : la mort de Bernard, leur père. En effet, Yoav, le cadet, a fui le kibboutz pour aller s’établir à Tel Aviv où il travaille comme assistant vétérinaire. Souffrant d’un syndrome post-traumatique suite à son passage au sein de Tsahal, il était considéré comme un lâche par son père et il l’est toujours par Itaï, son frère aîné, un militant pur et dur. Quant à Avishai, le plus jeune, il doit rejoindre le front très rapidement et il est en plein doute, tiraillé entre les injonctions « viriles » d’Itaï qui cherche à faire de lui un véritable soldat, qui le pousse à faire son devoir de soldat sans barguigner et le comportement de Yoav, qui passe progressivement d’une forme de fatalisme par rapport à Tsahal avec une formule « On est tous passés par là » à des injonctions de plus en plus précises consistant à empêcher Avishai de partir.
Les effets délétères de la guerre
Même si, comme le titre l’indique d’ailleurs clairement, Yona Rozenkier n’a pas voulu faire un film sur la guerre, cette guerre quasi permanente que vit Israël depuis sa création est présente tout au long du film. Présente hors champ par le bruit des explosions qui, tout près du kibboutz, ont peut-être été responsables de dizaines de morts, présente par le passage d’avions militaires dans le ciel, présente, surtout, par le formatage qu’elle opère sur les individus, mélangeant le sens du devoir, la violence, la trouille et le culte de la virilité. Au point que, même après sa mort, le père lance un défi à ses fils, espérant d’eux qu’ils affichent leur masculinité.
Dans Un havre de paix, le réalisateur s’est beaucoup inspiré de sa propre vie et, plus largement, de la vie de sa famille et des habitants du kibboutz dans lequel il a passé sa jeunesse et dans lequel il a tenu à réaliser son film. C’est ainsi que, comme la mère des frères Rozenkier, qui est suisse, Franca, la mère des trois frères, n’est pas juive. Italienne, peut-être, puisque, très souvent, elle s’exprime en italien. N’oublions pas, toutefois, qu’une partie de la Suisse est de langue italienne !
Considérant que « l’humour est un outil de narration fort, surtout quand tu abordes des sujets graves », il a tenu à introduire, très délicatement, des touches d’humour, voire burlesques, dans ce qui est avant tout un drame. C’est ainsi qu’au détour d’une phrase prononcée par Itaï, on apprend pourquoi il a fallu attendre un an pour enterrer le père : « Il a passé un an au frigo découpé en morceaux par des étudiants, façon lego, ils peuvent bien payer l’essence ». De même, pour montrer l’influence que peuvent avoir certains films de guerre sur les jeunes, Yona Rozenkier a choisi de montrer Yoav se tournant vers une photo de Clint Eastwood et lui disant : « Tout ça, c’est à cause de toi ».
L’interprétation de 3 frères
Ce sont deux de ses frères, Yoel et Micha, que Yona Rozenkier a tout naturellement choisi pour interpréter avec lui les rôles d’Itaï, de Yoav et de Avishai, tout en ayant des inquiétudes quant à la capacité du trio à se montrer à la hauteur. En effet, Yona, même s’il avait déjà interprété quelques rôles au cinéma, ne se considère pas comme étant un acteur professionnel, Yoel venait de terminer une école de théâtre mais n’avait aucune expérience cinématographique et Micha avait juste un court-métrage à son actif. On peut rassurer le réalisateur : les 3 interprètes s’avèrent excellents ! Par ailleurs, la distribution présente un élément de curiosité : le fait que le réalisateur ait choisi de ne pas interpréter lui-même le personnage de Yoav, celui qui lui ressemble le plus, se réservant le rôle de Itaï, celui dont il est le plus éloigné. Yoav est interprété par Yoel Rozenkier et Avishai par Micha Rozenkier.
Conclusion
Malgré la situation israélienne qui, petit à petit, voit disparaître le camp de la paix du paysage politique, le cinéma de ce pays continue d’y représenter un des derniers îlots de courage et de dignité. Pour combien de temps encore ? En racontant des événements d’un passé déjà lointain, Yona Rozenkier montre de façon subtile comment cette situation de guerre quasi permanente que connait ce pays depuis sa création induit un effet délétère chez ses habitants et tout particulièrement chez les hommes chez qui, souvent, s’exacerbe le culte de la virilité.