Critique : Toubib

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Toubib

France : 2024
Titre original : –
Réalisation : Antoine Page
Scénario : Antoine Page
Interprètes : Angel Page
Distribution : La maison du directeur
Durée : 1h58
Genre : Documentaire
Date de sortie : 28 août 2024

4/5

Synopsis : Bac en poche, Angel, 18 ans, choisit de « faire médecine ». Antoine, son frère réalisateur, décide de suivre son parcours, et se lance dans un film qui durera douze ans. Douze ans d’apprentissage, du marathon d’examens aux premières consultations, de l’adrénaline des stages en hôpitaux aux méditations solitaires d’un jeune médecin de campagne. Douze ans de vie ponctués de remises en question et de prises de conscience, qui conduiront Angel à s’engager en faveur d’une médecine sociale. Trajectoire singulière sur fond de pandémie, Toubib est un voyage au cœur de notre « état de santé » : ce qui nous lie à la vie, à la mort.

10 années d’étude + deux années

Lorsque, en 2009, bac en poche, son jeune frère Angel a décidé de se lancer dans des études de médecine, peut-être pour suivre les traces de son père, lui même médecin, décédé alors qu’Angel était encore très jeune et qu’il lui manquait beaucoup, le documentariste Antoine Page a pris de son côté la décision de le filmer tout au long de ses études. Angel l’avait mis en garde : « Faut voir si je tiendrai plus de deux mois ». Il a tenu bon, et c’est un résumé passionnant des 10 années d’étude et des deux années suivantes que Toubib nous propose. 10 années d’étude plus les deux premières années d’installation, mais pas seulement ! En effet, entre 18 et 30 ans, un jeune homme évolue, que ce soit physiquement, psychologiquement et idéologiquement et cela, Toubib le montre aussi. On retient que, de ces longues d’étude, la première est la plus dure, se terminant par une sélection par concours, d’où l’obligation d’ingurgiter par cœur chaque parole exprimée par les professeurs afin de récolter les meilleures notes possibles lors des examens et de réussir ainsi à obtenir le meilleur classement possible lors du concours. Angel, on le voit interviewé face caméra par son frère  et filmé plus ou moins à la dérobée dans le cadre de ses activités. Au cours de cette première année, en dehors des cours et des révisions, les activités sont réduites au strict minimum  Même le temps passé pour manger est considéré comme étant une perte de temps beaucoup trop longue. « Je n’ai pas lu un livre depuis le début de l’année » déplore Angel. « J’en ai marre, je n’en peux plus de bosser ». Après une deuxième année dans sa région d’origine, à Besançon, Angel va partir à Sofia, en Bulgarie, pour « faire » sa 3ème année dans le cadre d’Erasmus. Une période qui va voir Angel se filmer avec une webcam et envoyer au fur et à mesure ces courtes séquences à son frère.

Ce que nous montre Antoine Page sur la suite des études de son frère tend à montrer que plus elles avancent, moins elles se résument à un bachotage s’apparentant à du bourrage de crane, plus l’étudiant peut avoir des contacts fructueux avec d’autres étudiants ou avec les professeurs  et bien sûr, plus tard, avec le monde des infirmières et des infirmiers et celui des patients. Particulièrement intéressé par ces contacts avec les patients, Angel a décidé très vite de travailler dans le cadre de la médecine générale. En juin 2015, à la fin de ses 3 années d’externat, Angel se sent tout chose de penser que 5 mois plus tard, en novembre, il pourra se targuer d’être considéré en tant que médecin et d’être appelé docteur. Arrivent les 4 années d’internat, des années où il doit apprendre à donner des ordres, à prendre conscience que l’échange équitable avec, par exemple, les infirmières, se transforme en échange hiérarchique. Ces années d’internat vont amener Angel à passer d’une ville à une autre, d’une spécialité à une autre, Martiques, Marseille, Digne, etc…, gynécologie, pédiatrie, pneumologie, orthopédie, etc…

Formation, évolution et réflexions

Le premier intérêt de Toubib est bien sûr de nous renseigner de façon précise, nous qui sommes leurs patient(e)s, sur la façon dont sont formés nos toubibs. Le deuxième intérêt, peut-être encore plus important, c’est de suivre l’évolution d’Angel, une évolution qui va le conduire à faire le choix de pratiquer la médecine générale au sein d’un centre associatif situé dans les quartiers Nord de Marseille, satisfaisant ainsi son désir d’une pratique plus sociale, plus collective et horizontale de la médecine. Angel fait partie de ces étudiants qui étudient de façon très sérieuse  mais qui, en parallèle, ne se privent pas de réfléchir sur la façon dont on les forme, sur les problèmes que rencontre de plus en plus le monde médical, sur la place de la médecine dans la société, sur son rôle social, sur les grandes inégalités face à la maladie liées à la profession (ou à son absence !) et aux moyens financiers, des inégalités que seule une meilleure politique sociale de santé pourrait arriver à combattre. Dans Toubib, de façon régulière, Angel nous parle de ses états d’âme, de ce qu’il apprécie dans ses études, de ce qu’il n’apprécie pas, de ses propositions pour apporter une solution à la crise médicale. Par exemple son étonnement face à une sélection qui se fait en première année sur la capacité à être meilleur que les autres, à les éliminer, alors qu’on attend de l’empathie et de l’altruisme de la part de futurs médecins. Par exemple son dépit que la médecine ne cesse de s’améliorer d’un strict point de vue scientifique mais a plutôt tendance à régresser dans son volet social. Par exemple, sa proposition pour en finir avec le problème des déserts médicaux en tenant compte des changements de mentalité chez les patients et, surtout, chez les médecins : tenir compte du fait que, pour les jeunes médecins, il n’y a pas de problème pour travailler dans les campagnes mais qu’il y en a un à y vivre de façon permanente. En arriver donc à accepter de ne pas suivre des patients sur le long terme avec l’installation très provisoire de jeunes médecins qui ne restent que quelques mois à travailler de façon très intense dans ces endroits où ils ne veulent plus venir s’établir sur le long terme avant de regagner des lieux considérés comme plus accueillants ou de prendre une pause et d’être remplacés par un nouveau médecin. C’est à partir de 350 heures de rushs et après un montage qui a duré 6 mois que s’est construit ce film de 113 minutes. Un film agrémenté par d’excellents  choix musicaux allant de Vivaldi à Carlos Gardel en passant par Haendel, Mozart, Schubert, Mendelssohn, plus une belle interprétation de « I was young when I left home », une chanson peu connue de Bob Dylan, par Angel en personne.

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