Tirailleurs
France, Sénégal, 2022
Titre original : –
Réalisateur : Mathieu Vadepied
Scénario : Olivier Demangel et Mathieu Vadepied
Acteurs : Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet et Bamar Kane
Distributeur : Gaumont
Genre : Guerre
Durée : 1h40
Date de sortie : 4 janvier 2023
3/5
Depuis des années déjà, Omar Sy fait partie des personnalités les plus appréciées du public français. Avec sa dégaine de grand gaillard au sourire désarmant, l’acteur a conquis le cœur de plusieurs générations de spectateurs en quête de réconfort, notamment grâce à ses rôles récurrents dans l’univers toujours doucement édifiant des films de Toledano et Nakache. Or, dans Tirailleurs, un film auquel il tient visiblement puisqu’il en est l’un des deux coproducteurs, son personnage ne sourit pas. Pas une seule fois. Bien au contraire, cette histoire de guerre racontée avec une sobriété appréciable par Mathieu Vadepied ne cherche jamais à détourner notre attention de l’enfer qu’était le quotidien dans les tranchées au cours de la Première Guerre mondiale. Tout juste le fils du protagoniste a-t-il le temps de se prélasser au bord de l’eau avec la serveuse qu’il est aussitôt renvoyé au carnage sur le front.
L’attente inextricable d’une mort quasiment certaine pèse comme une chape de plomb sur le récit. Tandis que les uns s’y sont résignés malgré leurs tentatives de se soustraire à l’appel aux armes, les autres, dont ce valeureux père pleinement conscient de la gravité de la situation, essayent par tous les moyens de protéger leur progéniture contre l’avènement du pire. Après, quelle serait précisément l’issue fatale pour un soldat arraché à sa terre d’origine, puis parachuté dans un pays dont il ne parle pas la langue, aux coutumes qui lui sont étrangères ? Dans un sens, la somme de toutes les guerres du monde n’a pas réussi à répondre de manière définitive à cette question.
Heureusement, ce film-ci ne s’aventure pas davantage sur le terrain idéologiquement glissant de l’hommage aux héros tombés. Non, l’échelle y reste presque intimiste à travers le transfert progressif de pouvoir et d’amour d’un père à son fils. Deux hommes qui sont sans le moindre pathos représentatifs de tant d’autres, sacrifiés sur l’autel de cette folie humaine qu’est la guerre.
Synopsis : En 1917, l’armée française enrôle de force de jeunes hommes sénégalais pour qu’ils combattent l’ennemi allemand sur la ligne immuable du front du côté de Verdun. Bakary cherche en vain à mettre à l’abri son fils Thierno. Il va jusqu’à se porter volontaire, dans le but de l’aider à s’enfuir avant le départ en Europe. Pourtant, toutes ses tentatives de protection paternelle échouent et les deux hommes se retrouvent en plein chaos de la guerre.
Il faut sauver le soldat Adama
Qui est donc cet Adama, un personnage très secondaire dans Tirailleurs ? Guère plus que le symbole d’une boucherie aux innombrables victimes sans nom, un brave camarade de division parmi tant d’autres qui se trouvent déchiquetés par les obus, dès qu’ils mettent les pieds dans la boue des tranchées. Autant la relation de plus en plus tendue entre le père et son fils est au cœur de l’intrigue, autant le scénario regorge d’autres personnages en chair et en os, mais surtout en proie à une lutte féroce pour leur survie. Ainsi, tout le monde cherche à faire abstraction de l’horreur inéluctable qui survient avec chaque nouveau départ sur la ligne de front. Hélas, aucun subterfuge, religieux ou bien criminel, n’est en mesure de tromper la loterie des places à prendre sur les charrettes fantômes.
Là où il n’y a plus de mots, où la communication reste de toute façon rudimentaire à cause de la barrière de la langue – c’est beau quand même de voir un film principalement en peul franchir la barre du million de spectateurs en France ! –, les images font office de porteur d’espoir ou plutôt de désespoir. Cependant, aucune gloire visuelle n’est à tirer de ce quotidien usant à quelques kilomètres du front. Aucun sursaut héroïque n’est provoqué par la bande originale très digne de Alexandre Desplat. Globalement, c’est un calme lénifiant qui règne avant, après et pendant la tempête. Cette paralysie due à l’impuissance face au rouleau compresseur de la guerre, elle relève à la fois du réalisme dégrisant et de la lucidité résignée par lesquels la mise en scène se distingue.
Comme les adaptations cinématographiques successives de A l’ouest rien de nouveau nous le rappellent avec fracas, y compris la plus récente de Edward Berger : il est impossible de penser à une fin heureuse dans un tel contexte. Mathieu Vadepied a donc opté pour le choix le plus judicieux, celui de la sobriété maximale.
Souvenez-vous de moi
Néanmoins, cette économie d’actes excessifs convient à un film aux enjeux simples. Le seul souhait de Bakary est de ramener Thierno sain et sauf auprès des siens, quitte à y laisser sa propre peau. Pour cela, il s’adapte aux vicissitudes du terrain. Il fait équipe avec des individus peu recommandables, tout en demeurant circonspect à l’égard d’une hiérarchie d’hommes blancs au mieux animée par un fanatisme aussi naïf qu’aveugle. La longue série d’entorses au code d’honneur de son pays et de sa religion, ce père pleinement animé par l’abnégation paternelle l’accomplit sans broncher, convaincu du fait que lui seul saura ce qui vaut le mieux pour son fils.
Sauf que ce dernier tend à s’émanciper, malgré ou peut-être justement à cause de la nature imprévisible de l’arrière-plan belliqueux. Sa fuite en avant l’éloignera nécessairement de son père, sans qu’elle ne produise le degré de reconnaissance indispensable pour transformer l’enfant en homme.
Vous l’aurez deviné, ce deuxième long-métrage laisse une place considérable à la réflexion sur l’échec. Sans relâche, les personnages se trouvent pris au piège d’impasses néfastes. Cette logique de la mort, soit dans la chair, soit dans l’âme, n’est alors contrebalancée que par le courage du père, droit dans ses bottes tant que l’intégrité physique et morale de son fils est en jeu. Dans ce rôle hautement atypique pour lui, Omar Sy excelle en termes de douleurs intériorisées, de mises à l’épreuve qu’il subit docilement, toujours à l’affût du moindre risque pour son fils. A ses côtés, le jeune Alassane Diong fait figure de révélation, avec son regard intense à la fois défiant et attachant, contraint de gagner rapidement en maturité s’il ne veut pas finir comme chair à canon ou, pire encore, comme le boulet au pied d’un père prêt à tout pour le sauver.
Conclusion
A bien y regarder, il est tout de même étonnant que Tirailleurs ait remporté un tel plébiscite public en ce début d’année 2023 ! Ses intentions et sa facture sont des plus nobles, soit. Pourtant, le film de Mathieu Vadepied reste à distance raisonnable des tendances gore dans lesquelles le genre du film de guerre s’est fourvoyé ces derniers temps. En dépit des cadavres omniprésents, le véritable effroi s’y situe ailleurs : dans la conscience mêlée d’impuissance que le temps de vie du fils risque d’être écoulé avant que les différents plans, élaborés de bric et de broc par le père, ne portent leurs fruits.