Japon : 2020
Titre original : Red
Réalisation : Yukiko Mishima
Scénario : Yukiko Mishima, Ikeda Chihiro d’après le roman « Red » de l’écrivaine Rio Shimamoto
Interprètes : Kaho, Tasuku Emoto, Shôtarô Mamiya
Distribution : Art House
Durée : 2h03
Genre : Drame, Romance
Date de sortie : 9 mars 2022
4/5
Après avoir fait des études de cinéma au Kobe College et travaillé pour la chaine publique de télévision japonaise NHK, c’est en 2009, à l’âge de 40 ans, que Yukiko Mishima a réalisé Shisei, son premier long métrage de cinéma. Elle fait partie des rares réalisatrices japonaises à être régulièrement invitée dans des festivals internationaux.
Synopsis : C’est en recroisant son ancien amant de faculté, que Toko, depuis longtemps femme au foyer, voit soudain renaître en elle le désir de travailler, et de reprendre son métier d’architecte. Mais peut-on jamais réinventer sa vie ?
Une rencontre inattendue
Mariée depuis près de 10 ans avec un cadre commercial aux revenus importants, maman de Midori, une adorable fillette de 6 ans, habitant dans une vaste et confortable maison, Toko n’est-elle pas la plus heureuse des femmes ? Ce n’est pas vraiment ce que nous montre la réalisatrice et ce, très rapidement : Shin, le mari, qui, alors qu’il rentre du travail, ne fait preuve d’aucune tendresse envers Toko et prétend qu’il n’a pas faim lorsque Toko lui propose un plat de sa composition alors que, quelques secondes plus tard, il accepte de bon cœur le plat que sa mère lui a préparé ; Shin, ce mari, qui prend son pied lorsque Toko lui fait une fellation mais qui ne se rend absolument pas compte que sa femme, manifestement, attend de lui qu’il lui procure du plaisir, à elle aussi ; Shin, son mari, qui lui parle d’une soirée mondaine à venir dans le cadre de son travail et qui n’attend d’elle qu’une seule chose : qu’elle soit la plus belle possible ; Shin, son mari, qui laissera tomber Toko dès le début de la soirée, beaucoup plus intéressé par le fait de côtoyer l’auteur d’un livre à qui il glissera, concernant sa femme : « désolé, elle manque d’à-propos » ; Shin qui fera transmettre un billet lapidaire à Toko : « ça risque de durer. Tu peux rentrer ». En fait, Toko connait le « bonheur » d’une femme au foyer, d’une femme qui a abandonné son travail pour devenir une bonne épouse, une bonne mère, une bonne … une bonne tout court, finalement ! De plus, au Japon, le mariage, pour une femme, c’est rejoindre la famille de son mari. Dans la belle maison où habitent Toko, Shin et Midori, il y a la présence des parents de Shin et leur avis est considéré comme essentiel pour toutes les décisions importantes. Cela, même si, par ailleurs, Shin a préféré présenter un mensonge à ses parents en ce qui concerne la situation matrimoniale des parents de Toko.
Abandonnée par son mari en pleine soirée, Toko va avoir la surprise de retrouver Kurata, un jeune architecte qui fut son amant 10 ans auparavant alors qu’elle était étudiante en architecture, un homme qu’elle a aimé mais qui était marié, un homme qui, à l’époque, n’a pas voulu prendre la décision qu’elle aurait souhaitée, un homme dont elle s’aperçoit que, 10 après, elle en est toujours amoureuse. Est-ce trop tard, aujourd’hui ? En tout cas, cette rencontre va pousser Toko à changer le cours de son existence, avec, dans un premier temps, le désir de reprendre un travail.
3 types d’hommes
Film sur la situation de la femme au Japon, The housewife est également un film qui, habilement, fait la peinture de 3 types d’hommes différents. Tout d’abord Shin, le mari, un homme égoïste, qui ne pense qu’à sa propre carrière, à son propre plaisir, un homme qui avait fait des promesses à Koto avant leur mariage, qui ne les a pas tenues et qui accepte du bout des lèvres que Koto reprenne une activité professionnelle, ne manquant pas de lui reprocher ensuite qu’elle aussi se mette à privilégier son travail : « débrouille toi pour rentrer, tu es une mère, non ? Ton travail le plus important c’est d’être une mère ». Kurata, c’est tout autre chose : pour lui, Koto n’est pas une potiche qu’on amène dans une soirée habillée de sa plus belle robe, c’est une femme pour laquelle on ne se pose sûrement pas la question de savoir si elle est en droit d’avoir des désirs, que ce soit sexuels ou professionnels : on fait en sorte de les satisfaire. Et puis, 3ème spécimen, Kodaka, qui travaille dans le même cabinet d’architectes que Kurata et que Koto rencontre lorsqu’elle intègre ce cabinet : tout aussi sexiste que Shin, mais de façon différente, lourdingue dans sa façon de draguer mais avec une forme de sarcasme qui peut arriver à dérider Koto.
Bien sûr, nul ne sait, et surtout pas Koto, ce que seraient devenues leurs relations si elle avait épousé Kurata ou Kodaka. Toujours est-il que, pour elle, le fait de se sentir désirée change fondamentalement la perception qu’elle a d’elle-même, même si reste confusément enfoui en elle le désir de continuer à prouver qu’elle est une bonne mère. Par ailleurs, à l’occasion d’un arrêt forcé dans une auberge suite à un épisode neigeux, auberge tenue par un couple dont le mari a perdu la vue, Yukiko Mishima montre qu’il peut exister des relations amoureuses solides et durables dans un couple à condition de remplacer la notion de domination par celle d’entraide.
Un film audacieux
The housewife n’est pas seulement un film particulièrement intéressant et audacieux par son sujet, c’est aussi un film à l’image somptueuse captée par le Directeur de la photographie Shinya Kimura et à la construction également audacieuse. C’est ainsi que tout au long du récit nous est raconté par bribes un voyage professionnel par temps de neige entrepris par Koto et Kurata, un procédé qui arrive à générer une grande tension chez le spectateur. Au cours de ce voyage des souvenirs du passé reviennent chez Koto lorsque « Hallelujah », la chanson de Leonard Cohen interprétée par Jeff Buckley, passe sur l’autoradio et, par ailleurs, Koto dit lors de la traversée d’un long tunnel qu’elle a peur de ne jamais revoir l’extérieur, une façon pour elle, peut-être, d’exprimer le fait qu’elle a peur de ne jamais sortir de l’étouffement qu’elle éprouve dans son mariage. Ce voyage, également, confronte Koto avec le cancer du sang dont souffre Kurata, même s’il prétend en être guéri.
N’est-ce qu’une simple impression ou est-on dans le vrai lorsqu’on exprime le sentiment que la réalisatrice s’est amusée à brouiller les pistes en ce qui concerne l’époque durant laquelle se déroule l’action de son film, peut-être pour montrer que la situation des femmes japonaises n’évolue guère avec le temps. En effet, lorsqu’on entend pour la première fois « Hallelujah » par Jeff Buckley, une chanson enregistrée en 1994, le son provient d’un autoradio qui apparait très vieillot et on imagine une action se déroulant à la fin du siècle dernier. Sauf qu’on ne sait pas encore que cette chanson, qu’on entendra à 2 autres reprises, Koto tient à l’écouter jusqu’au bout parce qu’elle lui rappelle sa liaison avec Kurata 10 ans auparavant. De toute façon, un peu plus tard, des smartphones font leur apparition et, encore plus tard, il est fait mention de la démocratisation des voitures sans conducteur. Dans ce film dont le seul défaut est, parfois, d’appuyer de façon un peu trop lourde et insistante sur les points qui confortent la vision de Yukiko Mishima concernant les rapports entre les hommes et les femmes dans son pays, on apprécie le jeu très particulier de Kaho, l’interprète de Koto, déjà remarquée dans Notre petite sœur, le film très mésestimé de Hirokazu Kore-eda, et dans Invasion de Kiyoshi Kurosawa. Présent dans La maison au toit rouge, le très beau film de Yoji Yamada, Satoshi Tsumabuki apporte à la fois beaucoup de force et de générosité dans son interprétation de Kurata.
Conclusion
C’est avec une certaine impatience que beaucoup de cinéphiles attendent les nouveaux films de Naomi Kawase, la seule réalisatrice japonaise contemporaine ayant acquis une notoriété certaine dans notre pays. The housewife nous amène à penser que, dorénavant, on guettera également la sortie des films de Yukiko Mishima, en espérant y retrouver la même qualité que dans The housewife.