Critique : Saint Maud

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Saint Maud

Royaume-Uni, 2019

Titre original : Saint Maud

Réalisatrice : Rose Glass

Scénario : Rose Glass

Actrices : Morfydd Clark, Jennifer Ehle, Lily Frazer et Lily Knight

Distributeur : Diaphana Distribution

Genre : Drame spirituel / Interdit aux moins de 12 ans

Durée : 1h24

Date de sortie : –

3/5

Qu’est-ce que les pauvres infirmières ont fait aux scénaristes pour mériter pareil traitement ? Alors que le contexte sanitaire actuel devrait plutôt inciter à célébrer avec emphase cette noble profession, elle se retrouve à répétition avec des reflets de fiction nullement flatteurs. Certes, il y a eu le beau documentaire de Nicolas Philibert, De chaque instant. Mais depuis sa sortie en août 2018, on a plutôt eu droit aux infirmières grimées en ange de la mort, comme dans la mini-série Netflix « Ratched » sur la plus machiavélique des soignantes de l’Histoire du cinéma et cette production britannique. Dans Saint Maud, il est surtout question du fanatisme religieux dans lequel le personnage principal se fourvoie avec un dévouement extrême. Il n’empêche que son travail d’aide-soignante dirige cette ferveur spirituelle vers des personnes particulièrement vulnérables, livrées sans la moindre défense au traitement de la conversion au forceps.

Dans son premier long-métrage, la réalisatrice Rose Glass n’y va en effet pas par quatre chemins pour indiquer à quel point la foi de sa héroïne est une question d’obsession. Tous les aspects de sa vie terne lui sont soumis, dans un état d’esprit proche de la transe, une prière constante qui reste la plupart du temps sans réponse. Sauf quand cette femme a priori illuminée croit sentir la présence divine, une sorte de souffle du seigneur, capable de la plonger dans une extase à mi-chemin entre l’orgasme et la décomposition des corps, si chère au genre de l’horreur ces dernières années. Car le récit traverse avec une assurance impressionnante le terrain miné du mélange des genres, à l’image des repères moraux fluctuants de Maud, dont on ne sait jamais tout à fait si elle est une sainte ou un démon fou à lier.

© 2019 Angus Young / Saint Maud Limited / The British Film Institute / Channel Four Television Corporation /
Diaphana Distribution Tous droits réservés

Synopsis : La jeune Maud prend avec beaucoup de bonne volonté son nouveau poste d’infirmière à domicile chez Amanda, une ancienne danseuse célèbre, désormais marquée par les derniers stades de son cancer. Elle espère pouvoir transmettre à sa patiente un peu de sa croyance chrétienne, en plus de son savoir-faire médical. D’abord amusée par la pudeur de Maud, Amanda finit par lui faire croire qu’elle pourrait peut-être sauver son âme, si peu de temps avant sa mort physique. Une mission à laquelle la jeune femme se voue avec une frénésie qui ne tardera pas à causer des dommages collatéraux.

© 2019 Saint Maud Limited / The British Film Institute / Channel Four Television Corporation / Diaphana Distribution
Tous droits réservés

La fille la plus seule au monde

La figure de la foi en guise de béquille psychologique, appelée à masquer la difficile intégration sociale des intégristes religieux, n’a rien de nouveau. Elle est conjuguée dans Saint Maud avec une intensité, qui ne laisse guère de place à une éventuelle issue de secours vers plus de normalité. Le passé trouble de Maud n’y est jamais explicité, bien qu’il nous soit facile d’imaginer que le niveau de son zèle est directement proportionnel à la gravité des faits qu’elle a à se reprocher. C’est un personnage plongé dans un profond traumatisme de culpabilité et de mégalomanie, ce mélange si explosif qui ne peut conduire qu’à la perte irrémédiable de tout regard censé sur le monde.

Le fait que son malaise existentiel résulte aussi d’un contexte social précaire est au mieux effleuré par la narration. L’arrivée de Maud dans la demeure au luxe sombre de sa patiente est alors moins conçue en tant qu’ascension sociale, mais plutôt comme un déplacement de la pureté ascétique de son studio sinistre dans un environnement plus opaque, moins lisible. Dans cet ordre d’idées s’inscrit de même la rencontre entre les deux femmes : un jeu tordu de la séduction aux armes inégales dont rien de bon ne peut sortir ni pour l’une, ni pour l’autre. Les styles de jeu complémentaires de Morfydd Clark en fille désespérément possédée par le saint-esprit et de Jennifer Ehle en bohémienne terrifiée par sa mort prochaine ajoutent encore à la confusion habile de nos repères.

© 2019 Angus Young / Saint Maud Limited / The British Film Institute / Channel Four Television Corporation /
Diaphana Distribution Tous droits réservés

Dieu est gallois

Mieux vaut sans doute ne pas prendre le propos de Saint Maud trop au sérieux. Par leur appartenance simultanée à l’épouvante, à l’horreur et au drame tour à tour fantastique et tragique, les débuts derrière la caméra de Rose Glass courent parfois le risque de l’exagération. Certaines compositions de plan volontairement bancales, penchées et même renversées insistent ainsi trop sur le dérèglement irrécupérable du quotidien de Maud, tandis que cet état d’une crise psychique permanente ne fait d’emblée aucun doute. Le travail sur la bande son nous paraît alors plus percutant, avec cette tonalité globalement sombre, en parfaite harmonie avec la vision manichéenne du monde que le personnage principal voudrait tant imposer à son entourage.

De même, le refus de la part de la réalisatrice de prendre clairement position quant aux phénomènes surnaturels que Maud vit soit à son corps défendant, soit en s’y adonnant avec béatitude, participe considérablement à la richesse du récit. Ce serait donc avant tout une histoire d’interprétation de savoir si les séquences de lévitation ou de délire démoniaque relèvent de l’imagination d’un esprit en pleine déroute. Ou bien, au contraire, pourraient-elles apposer un cachet de vérité toute relative à son odyssée spirituelle, sous réserve des codes du film d’horreur ? Une chose est sûre en tout cas : la cohérence de la quête de Maud, malgré sa tristesse incommensurable.

Cette dernière n’est d’ailleurs jamais plus évidente que lors de la parenthèse de sa rechute dans un mode de vie plus mondain. Il suffit en effet de l’observer, habillée d’une façon péniblement voyante, assise dans un pub bondé aux convives sans le moindre égard pour elle, afin de comprendre au moins un peu son cheminement vers cette forme de jouissance mystique faussement réconfortante. Tout le drame du personnage est là, dans sa médiocrité sociale, l’ayant conduit à une folie castratrice de la pire espèce.


© 2019 Angus Young / Saint Maud Limited / The British Film Institute / Channel Four Television Corporation /
Diaphana Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Déjà repoussée à deux reprises pour raison de confinement, la sortie de Saint Maud au cinéma en France devra hélas se faire encore un peu attendre. Espérons que le public pourra quand même découvrir prochainement ce premier film d’une intensité rare, lauréat de multiples prix au dernier Festival de Gérardmer. Car la réalisatrice, soutenue sans faille par ses deux actrices principales remarquables, y dresse le portrait fascinant d’une femme réellement au bout du rouleau, qui ne s’en est pourtant pas encore rendue compte, à cause de son fanatisme religieux inquiétant.

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