Roger la honte
France, 1966
Titre original : Trappola per l’assassino
Réalisateur : Riccardo Freda
Scénario : Jean-Louis Bory, d’après le roman de Jules Mary
Acteurs : Georges Géret, Irene Papas, Anne Vernon, Jean-Pierre Marielle, Jean Topart
Distribution : Gaumont
Durée : 1h45
Genre : Drame policier
Date de sortie : 15 juin 1966 (cinéma), 23 mars 2016 (DVD)
Note : 3,5/5
Gaumont ressort en bluray ce grand film noir méconnu des années 60 qui se déroule à la fin du XIXème siécle. Un des longs-métrages les mieux maîtrisés du cinéaste italien iconoclaste irrégulier Riccardo Freda, figure du cinéma italien d’après-guerre dont les meilleures œuvres rivalisent sans peine avec le meilleur de la Hammer.
Synopsis : 1871. Après une bataille féroce contre les Prussiens, Roger Laroque retourne chercher un soldat blessé qu’il a vu tomber. Celui-ci lui promet une reconnaissance éternelle mais les deux hommes se perdent de vue. Ils se retrouvent quelques années plus tard, heureux de ses retrouvailles sous influence et se jurent une amitié indéfectible («Cette amitié nous portera chance»). Entre temps, l’un est devenu un homme d’affaires reconnu et l’autre un avocat de talent. Mais Roger a eu une liaison avec une femme qui se présentait comme veuve. Mais elle en réalité la femme de son nouvel ami et doit beaucoup d’argent à son ancien amant. Quelqu’un dans l’ombre profite de cette situation délicate dont il est le témoin pour causer de graves ennuis à Roger.
Un peu du Comte de Monte-Cristo
Georges Géret (Week-end à Zuydcoote, Pour 100 briques t’as plus rien) trouve un des plus grands rôles de sa carrière. Il est remarquable dans le rôle de cet homme courageux, devenu riche à force de travail mais aussi grâce à un bon mariage. Un homme de son époque (la fin du XIXème siècle), avec un brin de misanthropie, le regard sur les femmes qui l’entourent ( sauf sa fille, évidemment pure ) est assez croquignolesque : «il ne faut pas demander aux femmes plus qu’elles ne peuvent, elles sont faibles et lâches». Il exprime avec une belle mesure la richesse psychologique de ce personnage qui ne redoute rien de plus que vivre des sentiments de honte, aussi bien à cause de faits dont il se sent coupable ou d’autres dont il se sait innocent mais dont on l’accuse. L’histoire de la vengeance de cet homme incarcéré à tort rappelle évidemment le Comte de Monte-Cristo mais Roger conserve son humanité, voulant au final surtout comprendre ce qui lui est arrivé et laver son nom, pour lui et pour sa fille. Un grand scénario et une perfection dans la mise en scène font de cette oeuvre un des meilleurs de son auteur. La construction dramatique de cette histoire aux ramifications complexes et dont certains éléments sont découverts très tard dans la chronologie est une belle mécanique, implacable. Une histoire d’amitié trahie par accident, l’impossibilité de s’expliquer correctement, une femme blessée incapable de se racheter à temps, tout est réuni pour accentuer la dimension tragique de ce film noir.
Une scène de procès magistrale
L’humour n’est pas absent, loin de là, y compris lors du procès, grande séquence du film. Dans le témoignage de la domestique de la femme de Roger mais aussi le drôle de duel entre le procureur et la petite fille, incarnés respectivement par Jacques Monod et la toute jeune Sabine Haudepin. Même pas débutante, car celle qui nous enchantera plus tard dans La Campagne de Cicéron avait déjà tourné dans Jules et Jim de François Truffaut. Mais ce même échange souligne aussi l’affection d’un père pour sa fille et la détermination de la justice à nier les doutes raisonnables pour punir un parvenu et satisfaire la soif d’un châtiment dans une affaire qui fait sensation dans l’opinion. La menace criminelle pèse aussi dans le dénouement de ce procès noué d’avance : le regard que pose le machiavélique Jean Topart sur l’épouse adultère Irène Papas dont il contrôle l’attitude est un des exemples de la rigueur de la mise en scène de Freda. Il n’hésite pas à utiliser des ellipses où des éléments importants restent hors champ, comme ce qui arrive à l’avocat après la découverte de la trahison de celui qui lui avait sauvé la vie, des années auparavant. Dans ce rôle d’homme bon et victime de faits qui lui sont étrangers, Jean-Pierre Marielle est parfait dans sa détermination et dans ce moment où il s’écroule en public. On découvre dans un petit rôle de détective Jean Carmet qui n’avait pas encore la popularité qu’il connaîtra quelques années plus tard et qui a le droit à cette belle phrase pour exprimer la qualité de son travail : «Beaucoup d’Austerlitz, peu de Waterloo».
Test DVD de Mickael Lanoye à voir ici.
Conclusion
Pour de multiples raisons, un très grand film où s’illustre à nouveau l’aspect gothique de la mise en scène de Freda qui rappelle celles des films de la Hammer pour ses couleurs et celles du cinéma expressioniste pour la façon dont elles s’intègrent dans les décors.
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