Critique : Quand les vagues se retirent

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Quand les vagues se retirent 

Philippines : 2022
Titre original : Kapag Wala Nang mga Alon
Réalisation : Lav Diaz
Scénario : Lav Diaz
Interprètes : John Lloyd Cruz, Ronnie Lazaro, Shamaine Buencamino, Don Melvin Boongaling
Distribution : Epicentre Films
Durée : 3h08
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 16 août 2023

4/5

Beaucoup de cinéphiles seraient sans doute surpris d’apprendre qu’un des plus grands réalisateurs vivants est philippin et a pour nom Lav Diaz. Il faut dire qu’il est très difficile de voir ses films qui, bien souvent, ne sortent jamais en salles ou, quand ils sortent, ont une diffusion très limitée. La raison est simple : elle tient dans leur longueur, le plus long, Evolution of a filipano family dépassant largement la barre des 10 heures. Autant dire que les programmateurs rechignent à mettre de tels films à l’affiche dans leurs salles. Jusqu’à présent, c’était donc presque toujours dans des festivals qu’on pouvait voir les films de Lav Diaz, des festivals dont il repart rarement bredouille. Il semble toutefois que Lav Diaz ait décidé de se calmer : Quand les vagues se retirent, son dernier film, ne dure que 3 heures et 8 minutes et, effet immédiat, le distributeur Epicentre Films le sort en salles. De plus, le film étant coproduit par Arte, voilà qui augmente les chances que tout un chacun puisse le voir, un jour ou l’autre, même celles et ceux qui sont éloigné.e.s d’une salle de cinéma.

Synopsis : Le lieutenant Hermes Papauran, l’un des meilleurs enquêteurs des Philippines, se trouve dans un profond dilemme moral. En tant que membre des forces de l’ordre, il est le témoin privilégié de la campagne meurtrière anti-drogue que son institution mène avec dévouement. Les atrocités corrodent Hermes physiquement et spirituellement, lui causant une grave maladie de peau qui résulte de l’anxiété et de la culpabilité. Pour guérir, il devra affronter ses propres démons.

Un thriller atypique

Considéré comme l’un des meilleurs enquêteurs des Philippines, voire le meilleur, le lieutenant Hermès Papauran est chargé, en plus de la routine des enquêtes, de former de jeunes policiers dans un institut de criminologie. Lui-même, plus jeune, a été l’élève du brigadier Primo Macabantay, le plus souvent affublé du qualificatif de Supremo. Dans un pays où les meurtres commis par la police ont été encouragés par le chef de l’état, le tristement célèbre Rodrigo Duterte qui se vantait d’avoir lui-même commis des meurtres dans le cadre de la lutte anti-drogue lorsqu’il était maire de Davao, dans un pays classé au 116ème rang mondial en matière de corruption, difficile d’imaginer que Hermès et Supremo aient réussi à garder les mains propres tout au long de leur carrière. C’est ainsi que la femme d’Hermès lui a intenté un procès pour coups et blessures et qu’une plainte a été déposée contre lui par un de ses collègues pour un motif similaire. C’est ainsi que, lorsqu’on rencontre Supremo pour la première fois, il sort de prison après y avoir passé 10 ans pour, excusez du peu, participation à un massacre, kidnapping, braquage d’une banque et assassinat d’un homme politique. A cette sortie de prison, le premier objectif de Supremo est de se venger de Hermès, cet ancien élève pour lequel il avait de l’affection mais qu’il rêve dorénavant de tuer car c’est le policier qui a mené l’enquête qui, in fine, a entraîné sa condamnation. Tous les ingrédients d’un thriller sont donc bel et bien présents dans Quand les vagues se retirent, mais, attention, un thriller à la sauce Lav Diaz, un thriller par conséquent totalement atypique.

4 personnages principaux 

En suivant en parallèle les cheminements de Hermès et de Supremo, on constate les effets délétères que peut avoir sur un individu l’appartenance à une police qu’on encourage à perpétrer des atrocités. Pour Hermès, cela s’est traduit par le déclenchement d’un psoriasis qui handicape sa vie relationnelle et qui va l’amener à aller retrouver Nerissa, sa sœur ainée, sur les lieux de son enfance. Cette sœur qu’il n’a pas vue depuis longtemps, il va pouvoir lui expliquer ce qu’était son quotidien au sein de la police. Certes, ce personnage complexe et torturé qu’est Hermès a fait preuve de violence envers son épouse et envers un collègue, mais, dans le cadre de son travail, il s’est efforcé de se comporter de manière correcte et les scènes insoutenables auxquelles il a participé, c’était seulement en qualité de témoin, sans avoir la possibilité de les empêcher. C’est « quand on a commencé à tuer les faibles » que les démangeaisons ont commencé, explique-t-il à Nerissa. Quant à Supremo, personnage beaucoup moins complexe que Hermès, les effets des 10 années passées en prison sont venues s’ajouter à ce qu’il a vécu dans le cadre de son travail : comme beaucoup de prisonniers aux Philippines, il est devenu ultrareligieux, version Tartuffe, et c’est à un véritable illuminé auquel on a affaire, un homme capable d’entrer en transe lorsqu’il se met à danser dans une chambre d’hôtel, que ce soit seul ou en compagnie de prostituées.

A côté de ces 3 personnages, Lav Diaz introduit Raffy Lerma, un ami de Hermès, un photographe qui s’est donné comme tâche de témoigner par ses photos des atrocités commises dans le cadre de l’opération Tokhang, présentée par les autorités comme étant une guerre contre les trafiquants de drogue et qui s’est traduite par des milliers de morts, presque toujours innocents. Ce photographe existe réellement et, si ce personnage est joué ici par un comédien, ce sont ses photos qui nous sont montrées dans le film.

Le beau travail de Lav Diaz et de ses interprètes

C’est en noir et blanc et en 16 mm que Lav Diaz a tourné Quand les vagues se retirent. Pour lui, un noir et blanc, plutôt sale et granuleux, qu’il relie à une notion de souvenir, était le meilleur moyen de restituer à l’écran « l’archipel des Philippines, constitué de 7400 îles et qui ressemble à un amas de débris flottants sans but ». Comme d’habitude, partant d’idées globales sur les personnages et d’une vision d’ensemble » de l’histoire, il a écrit le scénario au jour le jour, très tôt chaque matin. Comme d’habitude, il a travaillé en plans-séquence, parfois très longs, en faisant alterner scènes riches en dialogue et scènes parfois contemplatives ou s’attachant à montrer le comportement d’un des protagonistes, telles les scènes de danse de Supremo et de Hermès, un peu longues, il faut le reconnaître. Il n’empêche, par sa science de la gestion de la tension, Lav Diaz arrive sans aucun artifice à rendre sinon haletant, du moins captivant, ce thriller tout à fait hors norme. Au vu de ce qui leur est demandé, on se doit de tirer un grand coup de chapeau aux interprètes de Quand les vagues se retirent. John Lloyd Cruz, l’interprète d’Hermès, et Ronnie Lazaro, celui de Supremo, sont des habitués du cinéma si particulier de Lav Diaz. Shamaine Buencamino, l’interprète de Nerissa, était quant à elle déjà présente dans La femme qui est partie, film qui obtint le Lion d’Or à Venise en 2016.

Conclusion

Qu’on connaisse déjà son cinéma ou qu’on ne le connaisse pas, avoir la possibilité de voir un film de Lav Diaz est une occasion qu’un cinéphile ne doit pas manquer. Quand les vagues se retirent n’est sans doute pas le meilleur film de ce réalisateur mais il est quand même 100 coudées au dessus de la très grande majorité des films sortis depuis le début de l’année.

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