Critique : Primadonna

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Primadonna 

Italie : 2022
Titre original : La ragazza del futuro
Réalisation : Marta Savina
Scénario : Marta Savina
Interprètes : Claudia Gusmano, Fabrizio Ferracane, Francesco Colella
Distribution : Destiny Films
Durée : 1h37
Genre : Drame
Date de sortie : 17 janvier 2024

4.5/5

C’est aux Etats-Unis, à l’Université de Californie à Los Angeles, que la réalisatrice italienne Marta Savina a effectué ses études de cinéma, des études qui lui ont permis d’obtenir un Master en Réalisation. En guise de travail de fin d’étude, elle avait réalisé en 2017 Viola, Franca, un court métrage de 15 minutes consacré à l’histoire de Franca Viola et dont Primadonna, son premier long métrage, peut être considéré comme étant la version élargie, d’autant plus que c’est la même comédienne,  Claudia Gusmano, qu’on retrouve dans les deux films.

Synopsis : Sicile, 1965. Lia a grandi dans un village rural. Elle est belle, têtue et sait ce qu’elle veut. Lorenzo, fils d’un patron local, tente de la séduire. Lorsqu’elle le rejette, fou de rage, il décide de la prendre de force. Au lieu d’accepter un mariage forcé, Lia le traîne au tribunal. Cet acte va pulvériser les habitudes sociales de son époque et va ouvrir la voie au combat pour les droits des femmes.

Un village sicilien dans les années 60 

C’est dans un village du nord de la Sicile, à proximité de Palerme, que réside Rosalia Crimi, une jeune fille que tout le monde appelle Lia et qui préfère travailler dans les champs avec Pietro, son père, plutôt que de rester à la maison  afin d’exécuter des tâches considérées comme plus féminines auprès de Sara, sa mère. Alors que la fin de l’année 1966 se rapproche, ce qui satisferait le plus Lia serait d’être enfin choisie par Don Zaina, le prêtre du village,  pour incarner la Madone lors des festivités religieuses de Noël. Une fois de plus, comme chaque année, c’est une autre qui est choisie. Par contre, il apparaît vite que c’est elle que Lorenzo Musicò, le fils du « parrain » local, a choisie comme future épouse. Il revient d’un séjour en Allemagne et lorsque la procession à laquelle participe tout le village passe devant la demeure des Musicò,  Lia ne peut s’empêcher d’arborer un petit sourire de contentement lorsqu’elle voit apparaître Lorenzo sur le balcon aux côtés de son père : ils ont un peu flirté ensemble avant le départ de Lorenzo vers l’Allemagne et, manifestement, il ne lui est pas indifférent. Sauf que, très vite, elle qui est très indépendante et n’aime pas qu’on lui dicte sa vie, va s’apercevoir qu’en fait, le but de Lorenzo n’est pas de faire d’elle une épouse libre de ses choix mais plutôt, dans tous les domaines, d’en faire une épouse docile et soumise, d’en faire sa « chose ». Face au refus qui va suivre de la part de Lia, Lorenzo voit une porte de secours pour atteindre son but : enlever Lia, la violer afin que la seule façon pour Lia et sa famille de garder leur honneur soit d’accepter que soit organisé un « mariage réparateur ». Sauf que ni Lia, ni Pietro ne vont accepter un tel arrangement.

Le refus d’un « mariage réparateur »  

Pour trouver la pratique du « mariage réparateur » qui permet à un homme de forcer une femme réticente à l’épouser en l’enlevant, en la violant et en laissant la femme et sa famille face à la quasi obligation de procéder à ce mariage, seule façon d’échapper au déshonneur, nul besoin d’aller très loin dans le temps et dans l’espace. Dans les années 60, en Italie, non seulement cette pratique existait mais elle était même encouragée par la législation, l’article 544 du Code pénal statuant qu’un violeur pouvait échapper aux répressions s’il épousait la victime, même mineure. Il a fallu que, en 1965, Franca Viola, une jeune sicilienne de 17 ans, refuse le « mariage réparateur » avec  l’homme qui l’avait violée, son ancien fiancé avec qui elle avait rompu, pour que le pays prenne conscience du caractère monstrueux de cette pratique. Il a toutefois fallu attendre le 5 août 1981 pour que cet article 544 soit enfin abrogé. Par ailleurs, vous ne serez sans doute pas surpris(e) d’apprendre que, en 2021, il y avait encore, selon un rapport  du Fonds des Nations unies pour la population, une vingtaine de pays et territoires où  la législation autorise un homme condamné pour viol, voire dans certains cas de viol sur mineure, à faire annuler ou suspendre sa condamnation en épousant sa victime.

Marta Savina, la réalisatrice de Primadonna, s’est bien sûr inspirée de l’histoire de Franca Viola et le générique de fin en fait mention. Elle a fait le choix de s’écarter d’une réalisation toute en bruit et en fureur, et c’est au contraire avec beaucoup de finesse et de délicatesse qu’elle fait progresser l’histoire de Lia et de sa famille : une mère très pieuse, un père qui l’est beaucoup moins, une jeune fille qui ne s’en laisse pas compter mais dont le sentiment de rébellion est quand même très faible, une preuve étant que son vœux le plus cher consiste à vouloir incarner la Madone lors des festivités religieuses de Noël ; une jeune fille qui, dans un premier temps, se sent attirée par Lorenzo, sans doute flattée d’avoir été choisie par le fils du parrain local  mais  qui va montrer une grande détermination pour se refuser à Lorenzo lorsqu’elle aura compris de quel genre d’homme il s’agit, puis pour refuser le mariage de réparation suite à l’enlèvement et au viol qu’elle subit.

Au final, Lia ne va pas hésiter à traîner son violeur au tribunal mais va se montrer très déçue de la tournure prise par le procès et va avoir beaucoup de mal à accepter de donner sa version des faits, pourtant le seul moyen permettant d’obtenir, peut-être, la condamnation de Lorenzo et de ses acolytes. A ses côtés, elle a la chance de pouvoir compter sur un père aimant qui préfère passer par la justice plutôt que par la vengeance à coups de fusil, ainsi que sur un avocat, ancien maire du village, tout à fait conscient de la mauvaise réputation qu’il traîne mais qui va finir par accepter de remplacer l’avocat de grande réputation qu’il avait choisi pour assister Lia lorsque ce dernier va brutalement changer de camp. La peinture que fait Marta Savina du camp opposé n’a pas besoin de faire appel à un manichéisme outrancier pour nous parler de l’ambiance qui règne dans un village sicilien au milieu des années 60 : la famille Musicò est de toute évidence une famille mafieuse mais le mot « Mafia » n’est jamais prononcé ; elle n’hésite pas à se venger par des actes de vandalisme de ce qui, pour elle, a été un affront fait à Lorenzo sans que cela émeuve vraiment les carabiniers locaux ; par ailleurs, la famille Musicò semble être très respectée, voire vénérée par la population du village et le prêtre Don Zaina n’a aucun scrupule à prendre son parti et, au contraire, à refuser à Lia l’entrée dans l’église le jour du Vendredi Saint. Toutefois, concernant l’attitude de la population locale, il y a un détail à la toute fin du film qui mérite d’être observé avec attention.

Une comédienne qui crève l’écran 

La ragazza del futuro, le titre original du film, est sans ambiguïté quant au but recherché par Marta Savina : regrettant amèrement que les femmes, aussi bien dans la réalité qu’au cinéma, soient presque toujours reléguées dans des rôles binaires, « Madone ou salope, vengeresse ou soumise, épouse ou vieille fille », elle tenait à montrer au travers de son film qu’une troisième voie était possible. Dans ce contexte, le choix de celle qui allait interpréter « la jeune fille du futur », celle qui ne correspond à aucun des 6 qualificatifs, revêtait une très grande importance. Concernant le choix de Claudia Gusmano, un seul adjectif suffit pour le qualifier : il est parfait, tant cette comédienne s’avère exceptionnelle dans toutes les facettes de son rôle. A ses côtés, on reconnaît Fabrizio Ferracane qu’on avait vu dans Le traître et qui interprète ici le père de Lia, ainsi que Paolo Pierobon,  le pape Pie IX dans L‘enlèvement et … simple curé de village dans Primadonna. Mis à part le choix du scope qui pourra surprendre celles et ceux qui refuseront de voir le petit côté western que recèle Primadonna, avec un village sous la coupe d’une famille mafieuse et l’enlèvement d’une jeune fille, le film se garde bien de faire appel à des effets faciles, allant même jusqu’à faire un usage particulièrement parcimonieux de ce qui est, bien trop souvent, l’effet le plus facile : la musique : le film est bien assez fort pour ne pas en avoir besoin ! On notera que Primadonna, dont l’action est censée se dérouler à proximité de Palerme, a été tourné dans la région des Nébrodes, à plus de 100 kilomètres à l’est de Palerme. On s’amusera à constater que la famille Melodia de l’ « affaire » Franca Viola s’est transformée en famille Musicò dans la fiction qu’elle a inspirée ! 

Conclusion

Marta Savina ayant fait ses études de cinéma aux Etats-Unis, on aurait pu craindre que, pour son premier long métrage, elle fasse étalage de tous les défauts dont font preuve un trop grand nombre de films américains : grandiloquence, comportements outrés, utilisation abusive de la musique d’accompagnement. Il n’en est rien, bien au contraire ! Primadonna est un premier long métrage particulièrement réussi, et la finesse et la délicatesse dont fait preuve la réalisatrice n’empêche pas ce film de dégager une grande force, du début jusqu’à la fin. 

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