Critique : Pour toujours

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Pour toujours

Italie : 2019
Titre original : La dea fortuna
Réalisation : Ferzan Ozpetek
Scénario : Ferzan Ozpetek, Silvia Ranfagni, Gianni Romoli
Interprètes : Stefano Accorsi, Edoardo Leo, Jasmine Trinca
Distribution : Destiny Films
Durée : 1h58
Genre : Drame
Date de sortie : 9 février 2022

3.5/5

Un des plus grands réalisateurs italiens du moment a en fait une double nationalité : Ferzan Ozpetek est né en 1959 à Istambul, il vit en Italie depuis la fin des années 70 et il possède la nationalité turque et la nationalité italienne. Dans ses 2 premiers films, Hammam, le bain turc en 1997, et Le dernier harem en 1999, il s’interrogeait sur les liens qu’il continuait d’avoir avec son pays d’origine. Tableau de famille, son 3ème film, sorti en 2001, a été son premier film vraiment italien. Depuis, il n’a plus guère tourné en Turquie, il a accumulé les succès et réalisé en 2010, avec Le premier qui l’a dit, un des meilleurs films italiens de ces 20 dernières années. Sorti en Italie en décembre 2019, où il a remporté un gros succès, Pour toujours a dû patienter 2 ans, à cause de la pandémie, pour être présenté au public français.

 Synopsis : Arturo et Alessandro traversent une période de crise. Quinze ans de vie commune ont érodé la passion et l’amour qui les animaient. Un jour, Annamaria, la meilleure amie d’Alessandro, leur confie ses deux enfants car elle doit être hospitalisée pour des examens. S’installe alors un nouveau quotidien : celui d’une vie de famille inattendue. Entre maladresses et moments d’émotions, disputes et tensions, Arturo et Alessandro prennent des risques pour protéger ce nouvel amour qui grandit d’un côté, et refleurit de l’autre.

Un gros grain de sable

Quand la relation d’un couple s’essouffle sans avoir encore vraiment atteint le point de non retour, le moindre grain de sable qui vient se glisser dans la routine peut suffire à entrainer rapidement la totale désintégration de ce couple. C’est ce qui arrive au couple formé depuis 15 ans par le plombier Alessandro et le traducteur Arturo, d’autant plus que le grain de sable en question est de dimension imposante : alors qu’ils participent sur une terrasse romaine à la fête organisée pour le mariage de Marco et Claudio, deux de leurs amis, voici que débarque Annamaria qui arrive de la ville voisine de Palestrina, accompagnée de ses deux enfants, Martina et Alessandro. On comprend très vite que Annamaria est une grande amie d’Arturo et, encore plus, d’Alessandro : c’est grâce à elle qu’ils se sont connus alors que Alessandro et elle entretenaient une relation ! Et ce qu’elle a à demander à Arturo et Alessandro, ce n’est pas rien : elle doit se rendre à l’hôpital pour subir une batterie d’examens et elle souhaiterait que ce soit eux qui accueillent ses deux enfants et s’en occupent pendant ce séjour hospitalier. C’est le grain de sable, et il est de taille !

Le positif l’emporte sur le négatif

Plutôt que de « mettre sous le tapis » les rares côtés négatifs de ce film, il est sans doute préférable de les aborder en priorité. Il y a d’abord une scène de début qu’on ne comprendra qu’à la toute fin du film, avec une caméra qui se glisse lentement au milieu des rayonnages d’une bibliothèque et, en fond sonore, des appels au secours en provenance d’une voix enfantine. Bon, après tout, pourquoi pas, mais on reste toutefois perplexe face à cette scène ! Ensuite, on bascule aussitôt sur la fête organisée sur la terrasse de l’appartement d’Alessandro et d’Arturo, une scène très confuse, avec de très nombreux personnages. Cette confusion est sans doute volontaire mais on peut regretter de ne pas comprendre plus vite les liens qu’ont entre eux ces différents personnages. Enfin, plus tard dans le film, on sera confronté à deux scènes qui dégagent, au minimum, un petit parfum de maladresse : tout d’abord, la mise en parallèle très artificielle de deux disputes se déroulant au même moment, à proximité l’une de l’autre, une dispute entre Alessandro et Arturo, une dispute entre le frère et la sœur. Ensuite, une scène qui voit Arturo s’effondrer émotionnellement face aux deux enfants et leur raconter, alors qu’ils n’en demandaient pas tant, toute l’intimité du couple qu’il forme avec Alessandro. Franchement, malgré l’excellente prestation de Stefano Accorsi, l’interprète d’Arturo, le contexte de cette scène la rend elle aussi très artificielle.

Heureusement, il y a tout le reste qui, in fine, fait que le film dégage un grand intérêt et beaucoup d’émotion sans pour autant aller flirter avec le pathos : les interrogations discrètement proposées aux spectateurs sur ce qu’a pu vivre le trio Alessandro, Annamaria, Arturo dans le passé, les phénomènes d’infidélité dans un couple, le rôle toxique qu’a eu Elena, la mère d’Annamaria, dans l’éducation de sa fille, la capacité que cette même Elena a à dissimuler sa cruauté, le comportement plein de dignité de deux enfants mis en face, très jeunes, d’une situation particulièrement difficile, les différentes façons de se comporter face à une maladie grave, que ce soit pour la malade ou pour ses amis, la peinture de la bande d’amis d’Arturo et d’Alessandro avec, en particulier, cette manière très délicate de montrer l’Alzheimer de l’un d’eux. Et puis, il y a aussi, il y a surtout le naturel avec lequel le réalisateur montre que les problèmes que peut rencontrer un couple ne sont en rien liés à la façon dont il est constitué. Cinéaste assumé de l’homosexualité, Ferzan Ozpetek a en fait pour habitude de pas ne rentrer dans le jeu du militantisme pur et dur et de la revendication : ses personnages font partie des classes aisées et ils ne cherchent qu’une chose : l’intégration dans la société.

Une très bonne interprétation

Dans le trio de comédien.ne.s qui interprètent les rôles principaux de Pour toujours, Edoardo Leo, Alessandro dans le film, est le moins connu des trois. Vue la qualité de sa prestation, on peut imaginer que le réalisateur, qui aime bien travailler avec des artistes qu’il a déjà « utilisés », fera de nouveau appel à lui dans le futur. Une hypothèse que l’on peut faire également concernant Jasmine Trinca, magnifique et très sensible interprète d’Annamaria. On notera que c’est dans un rôle important de La chambre du fils, Palme d’or à Cannes en 2001, que cette comédienne a commencé sa carrière cinématographique. Quant à Stefano Accorsi, l’interprète d’Arturo, c’est un des grands comédiens italiens du moment et il avait déjà participé à 2 films d’Ozpetek. Comme c’est presque toujours le cas, le jeu des enfants est remarquable, avec, en particulier, Sara Ciocca, la jeune interprète de Martina, d’une très grande force avec un regard vraiment étonnant. Quant à la photographie, vraiment somptueuse, on la doit à Gian Filippo Corticelli.

Conclusion

Malgré une toute petite poignée de scènes qui n’arrivent pas totalement à convaincre, Pour toujours ne dépare pas dans la riche filmographie de Ferzan Ozpetek. Continuant dans ce qui est en quelque sorte sa marque de fabrique, il nous introduit dans l’intimité d’un couple homosexuel appartenant à la classe aisée de l’Italie et qui, comme beaucoup d’autres couples, entre dans une phase de crise sentimentale. Très bien interprété, il jouit également d’une somptueuse photographie.

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