Critique : Petite nature

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France : 2021
Titre original : –
Réalisation : Samuel Theis
Scénario : Samuel Theis, Gaëlle Macé
Interprètes : Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa, Izïa Higelin
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie : 9 mars 2022

3.5/5

C’est à Forbach, en Moselle, que Samuel Theis a passé sa jeunesse. Petite nature, inspiré de sa propre enfance et présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique cannoise en juillet dernier, est sa première réalisation en solo. En effet, Samuel Theis avait déjà un film à son actif, mais, pour ce film, Party girl, inspiré de la vie de sa mère et caméra d’or à Cannes en 2014, il n’était qu’un des réalisateurs aux côtés de Marie Amachoukeli et de Claire Burger. Comme Party girl, Petite nature a été tourné à Forbach et dans ses environs.

Synopsis : Johnny a dix ans. Mais à son âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes. Dans sa cité HLM en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, il intègre la classe de Monsieur Adamski, un jeune titulaire qui croit en lui et avec lequel il pousse la porte d’un nouveau monde.

Un élève et son instituteur

Petit blondinet de 10 ans aux cheveux longs, Johnny est un garçon très curieux, très attiré par le monde des adultes et très mur pour son âge. Il faut dire que, malgré son jeune âge, il a déjà un certain nombre de responsabilités dans sa vie familiale. S’occuper de Melissa, sa petite sœur, par exemple. Il ne peut pas compter sur Dylan, son frère ainé, déjà adolescent, déjà « ailleurs », d’une certaine façon. Quant à Sonia, sa mère, elle n’a certes pas que des mauvais côtés, mais elle est très immature, elle n’est pas cultivée, elle a une vie sentimentale très instable, tout laissant penser que ses 3 enfants sont de 3 pères différents, et elle devient violente quand elle a bu. De plus, elle n’est pas souvent présente, travaillant le jour dans un bureau de tabac dans l’Allemagne toute proche et ayant une vie nocturne assidue. Toutefois, cela ne l’empêche pas de défendre Johnny quand l’occasion se présente, de le défendre et de lui faire part de sa conception de la vie dans un quartier difficile : on prend des coups mais il faut apprendre à en donner !

C’est une autre conception de la vie que Johnny va trouver auprès de son nouvel instituteur, Jean Adamski. Ce dernier a demandé sa mutation à Forbach pour suivre Nora, sa compagne, lorsque celle-ci a obtenu un poste au Centre Pompidou de Metz. Jean est un instituteur qui aime son métier, un instituteur très lucide qui va jusqu’à avouer à des amis qu’il est impossible de ne pas avoir d’affect dans ce métier et qu’il est donc presque normal d’avoir un ou deux chouchous parmi ses élèves. La maturité dont sait faire preuve Johnny ne l’empêche pas d’afficher une certaine timidité qui peut aller jusqu’à l’empêcher de réciter un texte en classe alors qu’il y réussit très bien avec la seule présence de son instituteur. Jean va s’attacher à Johnny et Johnny va s’attacher à Jean, un peu trop, même !

Un film délicat

C’est avec une délicatesse certaine et sans jugement péremptoire que Samuel Theis aborde cette rencontre entre deux univers qui peuvent très bien vivre très près l’un de l’autre d’un point de vue géographique sans pour autant avoir l’occasion de dialoguer à propos de tel ou tel sujet. D’un côté, l’univers de Sonia dont les prénoms donnés à ses enfants disent beaucoup sur elle ; de l’autre côté, l’univers de Jean et de Nora dont les métiers qu’ils pratiquent sont tout autant révélateurs. Sonia ne voit pas un avenir fondamentalement éloigné du sien pour Johnny et elle s’inquiète lorsque l’instituteur lui dit que Johnny a les capacités pour réussir des études  à condition d’avoir du soutien, voyant le risque pour son fils de s’imaginer des choses et que cela se termine par une grande déception. Johnny vient de l’univers de sa mère mais, manifestement, il aspire à autre chose, il veut y croire et, face à cette mère qui se recroqueville dans son univers sans comprendre que le souhait de son fils est d’en sortir, Johnny n’en peut plus et va jusqu’à lui crier haut et fort que le métier dont il rêve, « ce n’est pas un métier de merde, pas un métier comme toi ».

Des professionnel.le.s, des non professionnel.le.s

Dans ce film qui s’introduit au sein d’une famille monoparentale de la classe populaire dans laquelle, grâce à ses capacités et à la forte implication d’un instituteur, un des enfants cherche à échapper à un destin qui semble tout tracé pour lui, Samuel Theis a choisi de mélanger des comédiens et des comédiennes professionnel.le.s avec des non professionnels. Pour lui, il lui paraissait difficile, voire impossible, de faire incarner des membres de la classe populaire de Forbach par des comédiens professionnels alors que pour des personnages comme Jean et Nora, personnages cultivés qui font partie de la classe moyenne et qui viennent d’ailleurs, utiliser des comédiens professionnels ne lui posait aucun problème, au contraire même. Antoine Reinartz, l’interprète de Jean, l’instituteur, fait partie de ces comédiens qu’on se rappelle avoir vu dans de nombreux films mais, le plus souvent, sans pouvoir se montrer capable d’en donner le nom. Sa prestation pleine de justesse dans un rôle important devrait lui permettre d’accéder à une plus grande notoriété. Lorsque, il y a 10 ans, elle a commencé sa carrière cinématographique, Izïa Higelin, l’interprète de Nora, avait déjà pour elle ne nom de son père. Dans Petite nature, elle prouve de nouveau que cet avantage n’était pas vraiment nécessaire, son talent étant suffisant pour lui offrir de beaux rôles. Dans la vie « normale », Mélissa Olexa, l’interprète de Sonia, est femme de ménage à Metz. Très impliquée dans son jeu, Samuel Theis se plait à voir en elle l’incarnation de sa propre mère plus jeune. Toutefois la grande révélation du film, c’est bien Aliocha Reinert, le gamin qui joue, qui EST Johnny, retenu à l’issue d’un long casting sauvage en Lorraine. Le rôle était difficile pour un gamin de 10 ans dans la mesure où y entrent de la sensualité et même l’expression d’un véritable désir. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Aliocha s’en sort superbement ! On notera par ailleurs que Samuel Theis n’a pas souhaité faire un film misérabiliste : la photo de Jacques Girault, dont on a pu apprécier récemment le travail dans La place d’une autre, est très soignée avec une belle lumière et un mélange de photographie caméra à l’épaule et de cadres posés.

Conclusion

Sans être vraiment un débutant en matière de réalisation, Samuel Theis n’a pas non plus une grande expérience. Dans un film racontant de façon délicate une histoire délicate, il montre incontestablement de belles qualités de mise en scène et de direction d’acteurs. Après deux films tournés « à domicile » et plus ou moins inspirés de sa propre existence, on peut penser qu’il va se tourner vers d’autres horizons dans le prochain. On espère et on croit que ce sera avec la même réussite.

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