Pentagon Papers
États-Unis, 2017
Titre original : The Post
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Liz Hannah & Josh Singer
Acteurs : Meryl Streep, Tom Hanks, Bob Odenkirk, Sarah Paulson
Distribution : Universal Pictures International France
Durée : 1h55
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 24 janvier 2017
4/5
Spielberg a beau avoir 71 ans, il continue de tourner des films à un rythme effréné : deux vont sortir en moins de deux mois ! Ces deux long-métrages d’ailleurs soulignent deux facettes de sa filmographie: d’un côté, le cinéaste sérieux qui explore le passé de son pays, de l’autre le metteur en scène de divertissements plus grand public, mais tout aussi intéressants. Deux faces complémentaires, et pas forcément opposées. Avec The Post (nommé Pentagon Papers en France), il est question d’une affaire qui a secoué les États-Unis au début des années 70 …
Synopsis : Première femme directrice de la publication d’un grand journal américain, le Washington Post, Katharine Graham s’associe à son rédacteur en chef Ben Bradlee pour dévoiler un scandale d’État monumental et combler son retard par rapport au New York Times qui mène ses propres investigations. Ces révélations concernent les manœuvres de quatre présidents américains, sur une trentaine d’années, destinées à étouffer des affaires très sensibles… Au péril de leur carrière et de leur liberté, Katharine et Ben vont devoir surmonter tout ce qui les sépare pour révéler au grand jour des secrets longtemps enfouis…
Film d’actualité(s)
Un film avec des journalistes en tant que héros au sens mythologique du terme, qui finissent par faire éclater la vérité au grand jour, marquant par leur plume l’histoire des États-Unis : difficile de ne pas penser aux Hommes du président bien sûr. Le classique de Alan J. Pakula a quasiment donné lieu à un sous-genre, le « film de journalistes », pas forcément toujours réussi. On peut ainsi se souvenir de Spotlight, oscar du meilleur film il y a deux ans, mais dont le manque d’ambition fait qu’il est déjà sorti de nos mémoires. Car là où Les Hommes du président avait marqué son époque, c’est par sa réussite à avoir capté l’air du temps. Il était d’ailleurs sorti quelques années à peine après les faits. On peut en dire de même pour le film de Spielberg qui sort à point nommé. S’il narre comment a été révélé au grand public l’inutilité de la Guerre du Vietnam, il est pourtant un des premiers grands films sur les États-Unis de Trump. Ce dont il est question, entres autres, c’est de l’affirmation du Washington Post (mais aussi du New York Times) en tant que contre-pouvoir d’un gouvernement jugé allant à l’encontre des intérêts de ces citoyens. Difficile de ne pas voir la guerre menée par le « Post » contre un Nixon, qui finira par interdire l’accès des rédacteurs dudit journal à la Maison Blanche, comme une parabole de la croisade que mènent certains grands journaux américains comme le président actuel. On peut aussi penser aux nombreuses affaires de « lanceurs d’alertes » qui sont d’actualité depuis quelques années : concernant la prolongation de la guerre du Vietnam hier, ou les frappes de drones et la surveillance de masse aujourd’hui, la question de la primauté de la vérité fasse aux « intérêts de la nation » est finalement un thème qui a traversé les décennies. Enfin, à une échelle moindre, Pentagon Papers montre aussi la lutte d’un personnage féminin, Meryl Streep, pour se faire respecter dans un monde entièrement masculin – ici, le conseil d’administration du journal mais aussi le milieu politique.
Publie-moi si tu peux
La grande force du film, au-delà du traitement de son sujet, est sans surprise la maîtrise de Spielberg à nous raconter comment a été révélé le scandale (ou plutôt un des scandales) de l’interminable Guerre du Vietnam. S’il est vrai que le film met un peu de temps à se mettre en place, il finit par trouver son rythme de croisière. La première partie, peut-être la moins intéressante, est filmée comme une guerre de position entre deux journaux, le N.Y. Times et le Washington Post, pour avoir le scoop des nommés Pentagon Papers, et va introduire les différents personnages qui vont être au cœur du récit. Deux personnages principaux portés par deux acteurs géniaux, les deux atouts du long-métrages mis en avant dans la promotion : bien entendu, Mery Streep et Tom Hanks, qui à l’instar du réalisateur n’ont plus rien à prouver. Les rôles secondaires sont eux aussi impeccables, qu’il s’agisse de Jesse Plemons en avocat dépassé par la situation ou de Bob Odenkirk, qui laisse son costume d’avocat magouilleur de Saul Goodman pour enfiler celui du journaliste intègre. Comme quoi, jouer dans Breaking Bad a ouvert la porte du grand écran pour d’autres que Bryan Cranston, et on en est ravis !
« Always » humaniste
Mais, et c’en est une banalité de le dire, Steven Spielberg n’est pas seulement un grand directeur d’acteurs, c’est aussi un metteur en scène incroyable (qui n’a lui non plus plus rien à prouver), dans le sens purement visuel (et sonore) du terme. Encore une fois, il est accompagné de son chef-opérateur fétiche, Janus Kaminski, avec qui il élabore des petits plans-séquence réussissant à être vertigineux sans jamais être tape-à-l’œil. Ces mouvements de caméras caractéristiques, les « Spielberg Oner » qu’on retrouve tout au long de sa filmographie, se font paradoxalement peu remarquer. Qu’il s’agisse d’une simple discussion entre les deux protagonistes ou d’une déambulation parmi les machines à écrire, ils finissent par souligner l’isolement des personnages face à leurs décisions. La seconde partie de Pentagon Papers n’est d’ailleurs plus vraiment un film de guerre, sinon un thriller, une course contre la montre pour publier des documents classifiés secrets. C’est dans cette partie, qui montre le dévouement des journalistes à leur métier, que s’exprime le plus une des autres caractéristiques du cinéaste : son humanisme. A l’instar d’un Frank Capra, Spielberg montre des êtres humains qui malgré leurs failles vont faire preuve d’un impressionnant sens du devoir, non pas au nom de leur patrie, mais à celui des hommes et des femmes qui y vivent – mais aussi à ceux qui meurent loin de leur maison dans une boucherie qui s’éternise. D’ailleurs, comme le réalisateur de Mr Smith au sénat, on ressent la fierté de Spielberg de faire partie de sa nation non pas par patriotisme exacerbée, mais au nom de valeurs universelles qui peuvent être bafouées par ses dirigeants.
Conclusion
Le titre original du film permet peut-être de mieux cerner son contenu que le titre français. Car ce que The Post démontre, c’est l’importance qu’a pu revêtir le Washington Post auprès de l’opinion publique, et de son développement de rôle de contre-pouvoir aux dirigeants politiques. S’il est question de faits passés, Spielberg semble vouloir souligner que ce rôle est toujours aussi important, ou du tout moins qu’il doit l’être. C’est en tout cas ce que semble dire la dernière scène, en forme de gros clin d’œil …