Peau de pêche
France, 1929
Titre original : –
Réalisateur : Marie Epstein, Jean Benoît-Lévy
Scénario : Jean Benoît-Lévy, d’après le roman de Gabriel Maurière
Acteurs : Jimmy Gaillard, Maurice Touzé, Denise Lorys, le petit Bisson, Simone Mareuil
Distribution : –
Durée : 1h55
Genre : Mélodrame
Date de sortie : 1929
Note : 4/5
Dans le cadre d’une rétrospective dédiée au mélodrame français des origines à nos jours, la Cinémathèque Française proposait plusieurs œuvres réalisées en commun par Jean Benoît-Lévy et Marie Epstein (la sœur de Jean) dont l’étonnant La Maternelle avec Madeleine Renaud ou cette adaptation d’un roman de Gabriel Maurière, Peau de pêche, une belle découverte, un heureux croisement entre le mélodrame et le conte de fées, avec un sens du feuilleton populaire avec de multiples rebondissements.
Synopsis : Peau-de-pêche est un poulbot de Paris sans attache et qui préfère la liberté de la rue à une vie étriquée entre quatre murs. Il rencontre une jeune mariée et s’attache à elle comme à une princesse, comme à une mère qu’il n’a pas. Lorsqu’elle perd un bijou précieux, il lui rapporte sans demander de contrepartie. Elle le retrouve tout de même et lui offre de beaux vêtements. Sa logeuse et tutrice ne partage pas sa générosité et s’estimant spoliée, se rend chez la bienfaitrice pour réclamer un juste dû et en profite pour voler une montre. Honteux et craignant d’être accusé, le petit garçon se jette sous les roues d’une voiture. Il est envoyé en convalescence chez une tante éloignée à la campagne, dans le village de Charmont-sur-Bruisarde et une nouvelle vie s’offre à lui.
Briser des tabous
Un petit garçon honnête, attachant mais avec sa bonne dose de comportements malicieux, pas un ange béat mais un enfant bienveillant. Maltraité, il aspire simplement à une vie meilleure et sa rencontre avec la » Princesse » est le premier signe que c’est un rêve qui pourra se réaliser. La première partie le voit passer du rire aux larmes, du bonheur au malheur, et le drame est plein de promesses contradictoires et opposées. Drame ou comédie, le film oscille brillamment entre les deux registres avec une même réussite. Le rire revient régulièrement, comme cette imitation de Maurice Chevalier, muette (le film est de 1928) mais efficace, avec un canotier et la bonne gestuelle, il suffisait de peu pour en retrouver les grands airs. Le petit garçon a un sourire assez désarmant et ce petit Jimmy est un amusant interprète qui sait aussi faire passer les instants plus dramatiques.
Quelle connerie la guerre
La mise en scène est d’une grande beauté, le soin accordé aux images est grand. De très beaux cadres, un éclairage qui s’illumine petit à petit dans certaines rues étroites, un talent à l’égal d’autres grands cinéastes de la période, tels Jacques Feyder ou Raymond Bernard. Les effets de surimpression, de montage dramatique à la portée significative ou de champs/contrechamps qui se répondent ou se contredisent sont nombreux et remarquablement utilisés.
Le parallèle entre les bottes de foin et les champs de cimetières, ce blé qui pousse comme les tombes de ces milliers de jeunes sont des images simples mais belles, un appel à préserver la paix, hélas non entendu. La perte d’un enfant s’accompagne de la tristesse d’une mère et dans un seul plan, on la voit à côté d’un cadre de photo, où il apparaît en jeune adulte, en petit enfant et avec un certificat d’études primaires, marquant ainsi la vie honteusement tristement fauchée trop vite à cause de la guerre, une vie pleine de promesses brisées. Il ne s’agit pas simplement de dire «quelle connerie la guerre» mais de le faire ressentir clairement et sans effets faciles. Le père du même garçon lui aussi souffre, labourer la terre devenant comme absurde lorsque le futur n’est plus… A quoi bon continuer semble-t-il penser, mais la vie continue grâce à ce lointain cousin venu de Montmartre, qui a trouvé sa maison et s’intègre à une vie qui l’accepte.
Une belle histoire d’amitié aussi, avec La Ficelle qui lui offre la tranquillité en lui conseillant d’éviter les filles et lui sauve la vie dans un petit cours d’eau, la Bruisarde. Une histoire d’amour encore quelques années plus tard avec la jolie Lucy qui grandit en même temps et semble s’interposer entre eux. L’histoire se termine sur la » Princesse » qui transmet le flambeau à la « Reine » du jeune homme, une très jolie histoire qui pourrait être résumée comme une ode au retour à la terre mais qui est beaucoup plus subtil. A noter que le générique nous informe que certains costumes sont fournis par la maison Mignapouf, qui ne semble plus exister aujourd’hui, le nom serait difficile à porter de toute façon…
Conclusion
Jean Benoît-Lévy et Marie Epstein sont des cinéastes méconnus aujourd’hui dont l’oeuvre en commun ou indépendante mérite d’être redécouverte, à commencer par ce joyau rare et précieux de deux heures qui se déroulent sans temps mort, sur l’enfance, la guerre, l’amour filial, l’amitié et l’amour tout court. Comme l’expliquait Marie Epstein lors d’une note d’intention pour le Festival de Créteil en 1991 (elle est décédée en 1995), Lévy a imposé qu’elle soit citée au générique de leurs films ensemble, preuve d’une collaboration artistique généreuse dont il serait illusoire de tenter de deviner, toujours selon ses mots à elle, qui a fait quoi, le bon comme le mauvais étant leur responsabilité commune.
Critique : Peau de pêche: Dans le cadre d’une rétrospective dédiée au mélodrame français des origines à nos j… https://t.co/TlbocPm1vd