Critique : Pas de vagues

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Pas de vagues

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Teddy Lussy-Modeste
Scénario : Audrey Diwan et Teddy Lussy-Modeste
Acteurs : François Civil, Shaïn Boumedine, Toscane Duquesne et Mallory Wanecque
Distributeur : Ad Vitam Distribution
Genre : Drame scolaire
Durée : 1h31
Date de sortie : 27 mars 2024

3/5

Le harcèlement a beau être inscrit en lettres majuscules dans l’agenda de l’éducation nationale des fléaux contre lesquels lutter en priorité au sein des établissements scolaires, on n’a pas vraiment l’impression que la situation des élèves poursuivis par leurs camarades est en train de changer. Et sans vouloir faire de rapprochement hâtif, les faits divers sanglants constatés ces derniers jours à la sortie de collèges à Montpellier et à Viry-Châtillon démontrent avec une gravité insoutenable à quel point le vivre-ensemble dans le cadre scolaire est menacé de toutes parts.

Pour son troisième long-métrage, le réalisateur Teddy Lussy-Modeste s’approprie ce sujet d’actualité brûlant en en changeant radicalement la perspective. Car dans Pas de vagues, ce ne sont guère les élèves qui se trouvent au cœur de la tourmente, mais un jeune prof idéaliste, accusé à tort de vouloir séduire l’une de ses élèves.

Or, peu importe qui est la cible de ces rumeurs délétères, les victimes en souffrent en silence, sans trouver un véritable support d’écoute dans leur entourage professionnel ou privé. C’est le constat accablant voire pesant que semble vouloir dresser ce film. Il se montre volontairement avare en termes d’échappatoires possibles à cet étau social, qui se resserre irrémédiablement autour du protagoniste. François Civil dans le rôle de cet enseignant qui veut bien faire, mais qui – par maladresse ou par naïveté – ne fait qu’aggraver les choses, y opère un départ particulièrement salutaire et réussi de ses personnages habituels, ces jeunots charmants et blagueurs à qui la chance sourit en permanence.

Ici, seule la relation qu’il entretient avec son amant, Shaïn Boumedine en copain loyal contre vents et marées, lui réserve de rares parenthèses de répit. Ce qui peut paraître comme une goutte d’eau dans un océan toxique de suspicions de d’accusations. Ces dernières y sont décrites certes de manière réaliste, mais sur un ton tellement oppressant, qu’aucune vocation de prof ne naîtra certainement de ce récit lugubre.

© 2023 Alessandro Clemenza / Kazak Productions / Frakas Productions / France 3 Cinéma / Ad Vitam Distribution
Tous droits réservés

Synopsis : Julien Keller est un jeune prof de français débutant dans un collège de la banlieue parisienne. Après un cours lors duquel il a fait une allusion à son élève Leslie, la CPE le convoque. Elle a reçu une lettre de la part de Leslie, accusant son professeur de la harceler. Julien nie tout en bloc, mais se trouve menacé de mort par le frère aîné de l’élève. Tandis que le directeur du collège tente de calmer la situation, les autres enseignants font d’abord bloc derrière leur collègue. Mais au fil du temps, cette belle solidarité s’effrite. De plus en plus seul, Julien devra faire face à la méfiance accrue dans son environnement professionnel, à la fois de la part des élèves, des parents et des autres professeurs.

© 2023 Kazak Productions / Frakas Productions / France 3 Cinéma / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Il serait facile de traiter de grossière exagération le point de vue adopté par Pas de vagues. Puis, de continuer à se rassurer avec l’essentiel de la production française faisant retourner les spectateurs sur les bancs de l’école, globalement pas trop confortables mais pas non plus similaires à un cauchemar au quotidien. Par souci de réalisme, Teddy Lussy-Modeste a préféré suivre une autre voie. Et aussi éprouvant et presque angoissant son film soit-il, grand bien l’en a pris ! Nulle complaisance dans la forme ou le fond ne vient en effet alléger le calvaire du personnage principal, constamment à deux doigts de se noyer dans le marasme moral dans lequel une dénonciation d’adolescente complexée l’a propulsé. Un bourbier d’autant plus inextricable que la prémisse passe rapidement à l’arrière-plan, une fois que la réputation de ce professeur jusque là sans reproche a été entachée.

Par petites touches, le récit évoque cette boule au ventre, qui est d’abord celle du professeur placé sommairement sur le banc des accusés et qui devient rapidement aussi celle du public, grâce à l’approche sans fioriture de la mise en scène. Malgré toutes les voies de recours empruntées par Julien, le mal est désormais fait. Ce qui veut dire qu’aucun retour au statu quo paisible d’avant ne peut être envisagé.

Chaque nouvelle séquence prend alors la forme d’une mise à l’épreuve : du courage du protagoniste à retourner sur un lieu de travail où il n’est visiblement plus le bienvenu, de son entêtement à ne pas vouloir se laisser faire et, finalement, de son inconscience dans cette bataille à armes inégales contre une institution et une opinion publique nullement prêtes à lui accorder une deuxième chance. Et même quand le vent semble tourner et que le front d’hostilité affiché par ses élèves pourrait se fissurer, ce prof malheureux retombe invariablement face à ses propres contradictions.

© 2023 Kazak Productions / Frakas Productions / France 3 Cinéma / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Alors que le rapprochement supposé romantique entre Julien et l’une de ses collègues compte parmi les rares faux pas regrettables de la narration, le scénario co-écrit par Audrey Diwan – à quand son prochain film en tant que réalisatrice ? – aménage une place de choix à la vie privée du pauvre enseignant ostracisé. Or, cet havre de paix subit, lui aussi, un traitement franchement réaliste. Et tant mieux, puisqu’il en résulte l’un des portraits les plus beaux d’un couple gay vus ces dernières années au cinéma, venu de France ou d’ailleurs ! A notre immense soulagement, l’amour que Julien et Walid se vouent n’emprunte strictement aucun cliché à la panoplie de préjugés homophobes qui pullulent, encore et toujours, depuis que l’homosexualité à l’écran a perdu de son parfum sulfureux. Ces deux hommes-là s’aiment, tout simplement, avec leurs qualités et leurs défauts.

Ainsi, il n’y en a pas un qui tire l’autre vers le bas ou inversement. Ils tentent juste de faire face ensemble à une situation qui les dépasse. Heureusement, les mille et un poncifs auxquels on pourrait s’attendre dans pareille crise conjugale n’y ont pas lieu d’être. Walid n’arrange pas plus les choses en cassant la gueule au voyou de frère qui attend son chéri en embuscade à la sortie du collège que Julien ne se sépare de lui pour le bien affectif de tout le monde. A peine ont-ils le temps de manifester leur tendresse mutuelle dans de brefs instants de paix, quand le prof harcelé-harceleur ose baisser la garde, sinon levée en permanence de façon presque pathologique.

Et puisque l’histoire de Pas de vagues est inspirée de faits réels, espérons que le pauvre fonctionnaire poussé presque jusqu’au bout a eu, lui aussi, une épaule aussi fiable et compréhensive que celle de Walid sur laquelle se consoler …

© 2023 Alessandro Clemenza / Kazak Productions / Frakas Productions / France 3 Cinéma / Ad Vitam Distribution
Tous droits réservés

Conclusion

De nos jours et probablement déjà depuis des décennies, le choix de métier de professeur au collège ou au lycée relève de la vocation. Comment expliquer sinon que des femmes et des hommes affrontent jour après jour un climat peut-être pas nécessairement hostile, mais en tout cas peu intéressé par la discipline et l’apprentissage ? De surcroît avec le mastodonte administratif de l’éducation nationale dans le dos, qui s’évertue à intervalles réguliers à leur mettre des bâtons dans les roues. Avec une cruauté parfois insupportable, Pas de vagues dresse un monument cinématographique à cette profession vertueuse. La mise en scène intense de Teddy Lussy-Modeste et la vulnérabilité désarmante de François Civil en font une mise en garde urgente contre une dérive du système scolaire, qui ne tardera pas à se détraquer définitivement.

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