On est fait pour s’entendre
France, 2021
Titre original : –
Réalisateur : Pascal Elbé
Scénario : Pascal Elbé
Acteurs : Sandrine Kiberlain, Pascal Elbé, Valérie Donzelli et François Berléand
Distributeur : Diaphana Distribution
Genre : Comédie
Durée : 1h33
Date de sortie : 17 novembre 2021
3/5
Le handicap ne prête guère au rire. Puisque la personne en situation de handicap est définie socialement en manque d’une faculté, de la mobilité à l’esprit soi-disant sain, en passant par les déficiences auditives et visuelles, elle peut s’attendre au mieux à la pitié, au pire à la moquerie de la part de fictions plus ou moins bien intentionnées à son égard. D’où tout l’intérêt de On est fait pour s’entendre, puisque Pascal Elbé s’y emploie à une dédramatisation en règle de ce sujet délicat. Le personnage principal y est assez sourd d’oreille, soit. Mais le récit n’en fait pas tout un plat, à quelques blagues relativement prévisibles près.
Non, le véritable enjeu dramatique se situe ailleurs : dans la perception de lui-même de la part d’un homme, devenu peu sociable bien longtemps avant que sa surdité n’ait été diagnostiquée. C’est donc à un conte sur l’ouverture au monde que nous convie l’acteur-réalisateur avec son troisième long-métrage derrière la caméra et accessoirement devant elle.
Cet éveil aux choses simples du quotidien doit beaucoup à l’efficacité sobre de la mise en scène. On ne traitera sans doute jamais Pascal Elbé de cinéaste de génie. Toutefois, avec ce film-ci, il semble avoir trouvé enfin une histoire à sa mesure. Une histoire dont le but primordial paraît être de guérir le protagoniste de son nombrilisme, un syndrome infiniment plus grave que le fait d’occulter la sonnerie du réveil, matin après matin. Et surtout, une intrigue qui ne cherche pas à ériger ce prof d’Histoire renfermé sur lui-même en héros à l’américaine, prêt à devenir le champion du microcosme des sourds. Car la vie y continue à son rythme imperturbable, quoique nullement précipité, peu importe que la prise de conscience salutaire, à la fois au niveau du cœur et de la tête, s’y opère en temps et en heure ou non.
Synopsis : Antoine paraît souvent être ailleurs. Il n’entend ni les mots d’amour, ni les suggestions érotiques que sa copine lui susurre à l’oreille, pas plus que le réveil qui sonne tous les matins pendant des heures. Au grand dam de sa voisine du dessous Claire, venue s’installer chez sa sœur avec sa fille, traumatisée par la mort accidentelle de son père. Ces disputes répétitives de voisinage font prendre conscience à Antoine que quelque chose pourrait clocher chez lui. Effectivement, son médecin lui annonce qu’il n’entend pratiquement plus rien. Des aides auditives pourraient constituer la solution miracle au problème. Sauf que, désormais, Antoine entend une multitude de bruits qui ne l’avaient point gêné jusque là.
Le silence est d’or
Jouer sur la nature subjective des sons entendus ou pas, cela fait partie du vocabulaire formel sollicité à tout va, dès qu’il est question de surdité au cinéma. On est fait pour s’entendre n’en est certes pas totalement exempt. Néanmoins, ce va-et-vient entre le silence mortuaire et les bruits amplifiés jusqu’à l’excès se limite à quelques brèves instances, peut-être juste incluses afin de faire plaisir au partenaire officiel du film, l’audioprothésiste Entendre. Sinon, c’est davantage la gêne ressentie par Antoine depuis qu’il est au courant de son handicap qui fait avancer le récit. Une gêne qui peut prendre des formes multiples, sur le plan affectif, professionnel ou tout bêtement social, puisque les bruits anodins de la rue ont dès lors tendance à assaillir le personnage, finalement pas si mal auparavant dans son cocon d’ignorance auditive.
Or, pour revenir au projet de banalisation de la notion de handicap dans son ensemble, Pascal Elbé fait entrer la surdité dans une concurrence douce avec d’autres formes d’invalidité. Comme par exemple la sénilité déjà assez avancée de la mère du protagoniste, interprétée avec force et courage – au vu du peu de choses qu’on lui demande de faire – par Marthe Villalonga. Ou bien le mutisme et les cauchemars nocturnes de la fille de Claire, laissés plutôt dans le vague ou en tout cas dans un espace périphérique du récit qui n’en fait à aucun moment une source supplémentaire d’apitoiement. De même pour les rares incursions de Antoine dans le monde des sourds à proprement parler, traitées sur le ton de l’humour bon enfant, d’abord dans la salle d’attente du médecin, puis lors du cours de lecture labiale.
Ce n’est pas une demande en mariage
Est-ce un hasard que cette comédie fort plaisante commence sur fond noir avec le monologue sur l’oreiller de la copine éphémère de Antoine, dépitée parce qu’elle ne reçoit rien en échange de ses roucoulades ? Et si les problèmes auditifs du protagoniste n’étaient en fin de compte qu’un prétexte pour mieux interroger sa conception de la virilité, voire celle de son entourage masculin dans son ensemble ? Il existe en effet une différence assez notable ici entre les personnages en fonction de leur genre, avec notamment les hommes qui s’en sortent le moins bien. D’ailleurs, dans l’univers guère peuplé de Antoine, le seul camarade de galère, susceptible de le comprendre et de le soutenir dans son épreuve, ce serait le personnage de François Berléand. Par contre, ce dernier ne fait aucunement office d’exemple à suivre, puisque sa vision des femmes semble restée bloquée dans le siècle passé et même avant.
Heureusement, la description des personnages féminins fait preuve de plus de variété et d’ouverture d’esprit. A l’exception hélas une fois de plus regrettable de celui de Valérie Donzelli, réduite à jouer la sœur légèrement hystérique et en tout cas peu essentielle au déroulement de l’intrigue. Ce qui n’est pas du tout vrai pour Sandrine Kiberlain, dont le coup de foudre à retardement lui permet de briller dans les deux extrêmes dramatiques qu’elle maîtrise à la perfection : la femme névrosée au bord de la crise de nerfs d’un côté et la mère touchée au plus profond d’elle-même par ce qui lui arrive malgré elle de l’autre. Quant à Emmanuelle Devos, elle sait habiter son personnage de sœur râleuse de Antoine avec suffisamment de fragilité et de sincérité pour le rendre bien plus que fonctionnel dans le volet familial de l’histoire.
Conclusion
Sur un sujet assurément casse-gueule, Pascal Elbé a réussi l’exploit d’esquiver adroitement tous les reproches de complaisance qu’on aurait pu lui faire. On est fait pour s’entendre n’est certes pas tout à fait le genre de grand film populaire, fédérateur à tel point qu’il ferait durablement avancer la question du handicap en France. Cependant, grâce à sa narration détendue et à son approche diamétralement opposée à la gravité tragique, il remplit amplement le contrat de divertissement agréable qu’il propose aux spectateurs sans la moindre prétention outrancière.