No nos moverán
Mexique : 2024
Titre original : –
Réalisation : Pierre Saint Martin Castellanos
Scénario : Pierre Saint Martin Castellanos, Iker Compean Leroux
Interprètes : Luisa Huertas, Rebeca Manríquez, José Alberto Patiño
Distribution : Bobine Films
Durée : 1h40
Genre : Drame, Comédie noire
Date de sortie : 11 décembre 2024
3.5/5
Synopsis : Avocate obstinée, Socorro n’a qu’une obsession : retrouver le militaire qui a tué son frère lors du massacre des étudiants de Tlatelolco en 1968, à Mexico. Son désir de justice l’a progressivement éloignée de sa sœur Esperanza et de son fils Jorge. Après des décennies de recherches, la vieille femme semble enfin découvrir une piste qui la met sur la voie d’un mystérieux militaire. Pour parvenir à ses fins, elle va alors élaborer un plan aussi périlleux que grandiloquent avec l’aide de son jeune voisin Siddartha, aussi enjoué qu’imprévisible…
Un désir obsessionnel de vengeance
No nos moverán : la traduction que nous donne la vision du film est « Nous ne flancherons pas ». Il est bon, toutefois, de mettre cette traduction en parallèle avec d’autres qu’on peut trouver sur Internet, telle « Nous ne nous laisserons pas faire » et, surtout, de rappeler que « No nos moveran » est le titre de la version espagnole du fameux « We shall not be moved », ce chant anti-esclavagisme datant du début du 19ème siècle et que le mouvement des droits civiques a repris à son compte aux Etats-Unis dans les années 60. En tout cas, quelle que soit la traduction retenue, on voit bien qu’on est en face d’une volonté farouche et c’est bien une telle volonté qui anime Socorro. Socorro Castellanos est avocate et elle ne s’est jamais remise de la mort de son frère Coque, assassiné le 2 juillet 1968 lors de ce qu’au Mexique on appelle le massacre de Ttatelolceo. Ce jour là, quelques jours avant l’ouverture des Jeux Olympiques, l’armée mexicaine a tiré sur des étudiants désarmés, rassemblés sur la place des Trois Cultures de Tlatelolco à Mexico, faisant près de 300 morts. Socorro était toute jeune à l’époque mais, depuis, ce qui l’obsède c’est de retrouver le soldat qui a tiré sur son frère et, dans un processus qu’elle qualifie de « œil pour œil », d’arriver à venger ce dernier même si, plus de 50 ans plus tard, elle en est toujours à lui reprocher les activités militantes qui ont causé sa mort. Ce désir de vengeance est devenu pour elle une véritable obsession et il lui a en quelque sorte vampirisé son existence et altéré ses rapports familiaux, que ce soit avec Jorge, son fils, ou avec sa sœur Esperanza. Finalement, la seule avec qui elle entretient des rapports pleins de douceur et de gentillesse, c’est Lucia, sa belle-fille, dont les grand-parents avaient eux aussi connu en Argentine les exactions d’un régime dictatorial.
Pour l’aider dans sa recherche de l’assassin de son frère et pour la suite qu’elle envisage, Socorro a fait appel à un voisin, Siddartha, un homme difficile à cerner qui lui doit de ne pas avoir fait de prison. On peut s’étonner de ce désir obstiné de vengeance venant d’une femme exerçant la profession d’avocate ! On est toutefois moins étonné lorsqu’on l’entend parler de la justice telle qu’elle est pratiquée au Mexique, un pays dans lequel la corruption est omniprésente : « Dans ce pays, la justice c’est pour les riches ou pour les puissants ». En tout cas, dès le début du film, dans une scène qui montre sa relation avec une voisine qu’elle qualifie d’ « emmerdeuse », on comprend que Socorro n’est pas du genre à se laisser faire malgré ses problèmes de baisse de tension et son ouïe défaillante.
C’est dans la réunion de l’histoire de la famille du réalisateur et du massacre de Ttatelolceo que se trouve le point de départ de No nos moverán. En effet, Jorge (Coque) Castellanos, frère de la mère de Pierre Saint Martin Castellanos, est mort d’un accident en 1968 et cette mort a engendré chez elle un profond sentiment de culpabilité et de douleur. En hommage à sa mère qui, à l’époque, était très malade, et dans le but d’effacer cette culpabilité, il a imaginé la réalisation d’un film de vengeance qui soit à la fois dramatique et cocasse, voire parfois à la limite de l’absurde. Pour Socorro, « C’est un pêché d’oublier ceux que nous avons perdus et il faut leur rendre justice ». Cette soif de vengeance, on la retrouve souvent dans le cinéma, que ce soit dans des westerns, dans des thrillers, dans des films noirs, etc.. No nos moverán a ceci de particulier qu’il ne fait pas partie d’un genre particulier, se permettant au contraire de relever de plusieurs genres, les principaux étant le drame, le thriller et, surtout, la comédie noire. On notera que, dans le film, Socorro a le même nom de famille que la mère du réalisateur, laquelle était également avocate, se battant pour les personnes aux ressources économiques limitées.
Pour être en phase avec le personnage de Socorro, une femme qui vit dans le passé, obnubilée qu’elle est par une photo en noir et blanc, le choix d’un film en noir et blanc était une évidence pour Pierre Saint Martin Castellanos. Le noir et blanc choisi par César Gutiérrez Miranda, le Directeur de la photographie, en accord avec le réalisateur, s’avère plutôt sobre en matière de contraste, ce qui contribue à renforcer le caractère poétique des scènes faisant appel à des colombes, à leurs plumes ou à diverses sortes de fumées. Par ailleurs, le réalisateur a fait le choix de nous faire partager de très près les problèmes de santé rencontrés par Socorro : lorsque son aide auditive n’est pas en service ou est défaillante, on ne perçoit plus qu’un tout petit filet de son ; lorsqu’elle rencontre un problème lié à une baisse de tension, l’image devient floue ou disparaît totalement. Très grande actrice de théâtre, de séries télévisées et de cinéma, la comédienne Luisa Huertas, dont le père était un réfugié espagnol et qui a la double nationalité salvadorienne et mexicaine, campe Socorro de façon parfaite, arrivant à dégager à la fois une volonté implacable et une lassitude facile à comprendre. Dans le reste de la distribution,on remarque particulièrement la comédienne argentine Agustina Quinci dans le rôle de Lucia et le comédien mexicain José Alberto Patiño très convaincant dans le rôle de Siddartha, un être qui ne brille guère par son intelligence et qu’on sent gêné aux entournures de devoir faire certaines actions mais qui, malgré tout, reste fidèle à sa gratitude envers Socorro. Avec ce premier long métrage qui a brillé dans de nombreux festivals, le réalisateur mexicain Pierre Saint Martin Castellanos fait une entrée remarquée dans l’univers du cinéma mondial.