Nebraska
États-Unis : 2013
Titre original : –
Réalisation : Alexander Payne
Scénario : Bob Nelson
Acteurs : Bruce Dern, Will Forte, June Squibb
Distribution : Diaphana
Durée : 1h55
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 2 avril 2014
Note : 4,5/5
Une odyssée en noir et blanc entre le Montana et le Nebraska, avec Bruce Dern (prix d’interprétation à Cannes en 2013) dans une quête drôle et mélancolique.
Depuis qu’il a reçu un courrier lui promettant un gros lot d’un million de dollars, Woodrow T. Grant n’a désormais qu’une idée en tête : se rendre au Nebraska pour réclamer ses gains, 1500 kilomètres plus loin. Lassée de ses multiples fugues pour cette quête farfelue, sa famille ne parvient pas à lui faire comprendre qu’il ne s’agit que d’une arnaque publicitaire. Son fils David, modeste vendeur de produits hifi, décide de s’engager avec lui sur les routes pour lui faire entendre raison. Lorsque Woody se blesse un soir où il a trop bu, lui et son fils vont faire un détour par la petite ville où il a grandi.
Une déclaration à une légende du cinéma
Avant d’être un magnifique voyage dans l’Amérique profonde en compagnie d’un septuagénaire bougon, le nouveau long-métrage d’Alexander Payne (The Descendants avec George Clooney) est une belle déclaration d’affection à une légende du cinéma, Bruce Dern. Le père de la comédienne Laura est surtout connu pour être l’homme qui a tué John Wayne d’une balle dans le dos dans le western Les Cowboys, même si sa carrière démarrée aux débuts des années 60 (avec des rôles significatifs dans Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock et Chut… Chut, chère Charlotte de Robert Aldrich) est riche en rôles marquants, du marathonien On achève bien les chevaux de Sydney Pollack à Monster avec Charlize Theron et Twixt de Francis Ford Coppola plus récemment, en passant par Retour de Hal Ashby, en époux de Jane Fonda ou Gatsby le Magnifique en ennemi de Robert Redford. Ses prestations emblématiques ne manquent pas et pourtant aucune n’est aussi intense que celle-ci.
Sa partition dans Nebraska est l’une de ses plus subtiles, justement honorée d’un prix d’interprétation à Cannes en 2013. Il incarne cet homme usé avec une grâce discrète et impose un jeu d’une subtilité feutrée et d’une retenue rare. Il ne fait pas un numéro mais nous fait comprendre la personnalité de cet homme courbé par les années et meurtri par les traumatismes de sa jeunesse (la guerre de Corée, la mort d’une sœur dans un accident) par des gestes, des mouvements, des commentaires faits sur lui ou des actes d’amour et de haine de ceux qui l’ont côtoyé. C’est un taiseux, un gentil manipulé qui se comporte en rustre borné même si son personnage reste cryptique. Capable d’ironie (‘tu boirais aussi si tu étais marié à ta mère’), conscient de ne pas avoir réussi sa vie, il semble parfois perdu dans le monde où il vit. Le jeu de l’acteur conserve jusqu’au bout son mystère sur une sénilité éventuelle. On ne peut qu’imaginer le degré de la vérité de sa personnalité, cachée sous sa tignasse blanche et par ses borborygmes râleurs.
L’odyssée de Woody… et de ses proches
L’homme se révèle petit à petit et touche son fils, incarné avec fragilité par Will Forte, un humoriste qui se lance pour la première fois dans un registre dramatique. Si la performance de Bruce Dern est aussi belle, c’est aussi grâce à une excellente distribution en contrepoint, la sienne mais aussi celle de June Squibb (femme de Jack Nicholson dans Monsieur Schmidt) franchement hilarante en épouse acariâtre aux répliques cinglantes et colorées (‘j’imaginais pas que ce con voulait devenir millionnaire’) mais qui se révèle aussi attentive et protectrice sous des airs non moins bougons. Elle ne ressemble pas beaucoup à celle qui fut sa rivale pour l’affection de Woody. Peg Nagy, alias Angela McEwan, est une attachante journaliste locale qui aide David à réaliser que son père (pour lequel elle a donc eu le béguin) a été un homme bon dont tout le monde profitait. Stacy Keach est un savoureux méchant de comédie de grand niveau, hautain et malhonnête et qui sera confronté à l’affection de David pour son père. Le frère aîné de David, Ross, est un présentateur remplaçant sur une petite chaîne de télévision régionale. Il est joué par Bob Odenkirk, l’avocat Saul dans Breaking Bad et le patron bienveillant de Miles Teller dans The Spectacular Now.
Lors de leur odyssée, ils croiseront les frères guère plus loquaces de Woody, dont celui interprété par Rance Howard, père de l’acteur-réalisateur Ron Howard. Ils ne se sont pas vus depuis de longues années et leurs échanges se limitent à ‘quoi de neuf ? / Rien… Et toi ? Pas grand chose’. Les échanges dans cette grande famille sont limités au strict minimum, à quelques grognements à peine audibles. Le scénario touche au plus juste ces non dits des relations familiales aux liens indéfectibles malgré le manque de communication apparent et les disputes.
La superbe musique signée Mark Orton, aux sonorités de bluegrass à l’ancienne, mêle harmonieusement les instruments, avec cordes douces de guitares, violon, accordéon, harpe entre autres pour accompagner sans effets larmoyants ce charmant périple familial.
Résumé
La grande force de ce récit picaresque haut en couleur et magnifié par le noir et blanc en grand large de Phedon Papamichael est d’être portée par des dialogues et des situations d’une grande drôlerie (le dentier perdu sur une voie de chemin de fer) mais de se révéler subrepticement et profondément émouvant. Ainsi sous le sourire franc, se révèle par petites touches un impressionnant souffle mélancolique qui émeut et justifie la moindre de ses six nominations aux Oscars.