Né à Jérusalem et toujours vivant
Israël, 2019
Titre original : Noladti BeYerushalayim veAni Adayin Chay
Réalisateurs : Yossi Atia et David Ofek
Scénario : Yossi Atia
Acteurs : Yossi Atia, Lihi Kornowski, Itamar Rose, Alik Shimonov
Distributeur : ARP Sélection
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h23
Date de sortie : 22 juillet 2020
3/5
Chaque maison a son histoire. Tout comme chaque rue et chaque quartier. Après, la question se pose si ce bagage accumulé au fil du temps vaut la peine d’être préservé et partagé sans distinction. Ou bien, la course à la valorisation touristique à tout prix, dans laquelle le monde s’était engagé presque sans réfléchir, avant le coup d’arrêt brutal de l’épidémie du coronavirus, n’est-elle pas l’un des symptômes parmi tant d’autres d’une humanité qui va mal ? Ce premier long-métrage israélien – l’adaptation du court du même titre réalisé par Yossi Atia en 2015 – s’approprie cette problématique sur le ton d’une légèreté bluffante. Car autant un tour guidé à travers les monuments parisiens relève de l’exercice culturel plus ou moins abstrait, autant une promenade le long de la rue Jaffa à Jérusalem, où les attentats palestiniens ont tristement rythmé le quotidien dans les années 1990 et 2000, touche à une blessure encore vive.
L’exploit tout en douceur de Né à Jérusalem et toujours vivant consiste alors à mélanger cette gravité omniprésente, cette pesanteur qui fait fuir les Israéliens les plus lucides à l’étranger, avec une banalité romantique désarmante. Le tragique y guette à l’arrière-plan, comme le lourd héritage d’un peuple maudit, pendant que la vie ordinaire continue à se dérouler normalement au premier plan, avec ses amourettes fragiles et ses histoires de famille fermement inscrites dans le contrat entre générations vieux comme le monde. Contrairement à Un film parlé de Manoel De Oliveira, où – si nos souvenirs sont bons – l’on discute beaucoup de la menace terroriste jusqu’à la voir se manifester violemment, aucun sursaut dramatique ne vient réellement perturber l’engagement pédagogique du personnage principal. Ce qui risquerait presque d’en faire un pendant hébreux des héros névrosés que l’on croise régulièrement dans les films de Woody Allen.
Au détail près que la mise en scène de Atia et de David Ofek préfère observer sans malice, plutôt que de railler le style de vie d’un homme mi-pudique, mi-solitaire.
Synopsis : En tant qu’habitant de longue date du quartier de la rue de Jaffa, Ronen Matalon n’en peut plus des guides touristiques qui ne font que transmettre l’Histoire ancienne de cette partie de Jérusalem pourtant riche en événements récents. Il organise donc ses propres tours à travers les lieux emblématiques des attentats ayant ensanglanté récemment le quartier. Cette mission officieuse que Ronen remplit gracieusement remporte un succès de plus en plus grand auprès des touristes étrangers. Le guide amateur est surpris d’y voir également la jeune architecture Asia, d’origine israélienne et partie étudier à Barcelone. Alors que leur premier contact est presque glacial, Ronen redoutant le penchant ergoteur de ses compatriotes, ils finissent par former un couple plus ou moins épanoui.
Bonne question
A en juger à partir de notre propre expérience modeste en tant que guide, le personnage principal de Né à Jérusalem et toujours vivant n’a point raté sa vocation en commençant aussi tardivement à prendre en charge des touristes. Il y a quelque chose de profondément maladroit dans sa façon d’animer le parcours assez sinistre, au gré des plaques commémoratives de dizaines et de dizaines de civils tués par des terroristes. Cette gêne manifeste ne résulte pas nécessairement d’une supériorité arrogante et encore moins du rôle de victime de tant de terreur, endossé avec ostentation par certaines souches de la population israélienne. Non, elle prend ses racines dans la nature même du personnage. Toujours absorbé dans ses pensées, jamais entièrement présent, il est tout sauf l’acteur entreprenant de sa propre vie.
Dans d’autres circonstances et chez d’autres réalisateurs, pareille passivité aurait vite pu devenir barbante. Ici, elle n’est qu’un élément dans un récit qui s’agence justement autour des figures de la distance et de la communication perturbée. Ainsi, il ne devient jamais tout à fait clair où Ronen veut en venir avec son tour guidé improvisé de toutes pièces, ni quel est le point d’attrait entre lui et son entourage, peuplé d’individus presque aussi détachés que lui. Pourtant, l’alliage cinématographique fonctionne, aussi parce que le scénario nous épargne des explications en fin de compte superflues sur l’activité salariale du protagoniste, sur la mise en place concrète de cette activité touristique macabre ou encore sur son retentissement dans un quartier, où les commerçants en profitent autant qu’ils sont importunés par elle. La forme narrative de l’ellipse est en effet reine au cours d’une intrigue, qui n’a pas peur de sauter une saison pour passer directement du chapitre estival à celui de l’hiver.
Les hommes préfèrent rester seuls
Ronen a beau dire qu’il est devenu un autre homme, lorsqu’il croise Asia et le regard hypnotique de Lihi Kornowski pour la deuxième fois, au fond, son histoire est celle d’un homme prisonnier à la fois de son habitation au sens large et de sa propre solitude. Pour s’affranchir du premier piège, sa copine par intermittence lui donne sans cesse des astuces. Aucune d’entre elles n’est d’ailleurs plus belle que cette invitation finale au voyage. Elle est couronnée d’un avant-dernier plan sublime sur lequel le film aurait pu se terminer d’une manière magistralement poétique. Toutefois, le deuxième est si profondément enraciné dans le code génétique du film que quasiment tous les personnages masculins en sont tributaires.
Heureusement, cette incapacité de sortir de sa carapace virile y est traitée avec la même légèreté admirable que le fond sombre et politiquement complexe des tours guidés. Sinon, on se prendrait sans doute trop aisément de pitié pour Shohei, le Japonais grâce à qui l’activité de Ronen démarre réellement et qui en demeure tout au long du film un assistant maladivement discret. De même pour le père du personnage principal, dont le seul discours paraît consister en des appels à l’aide auprès d’un fils, qui préfère multiplier les gadgets de surveillance médicale plutôt que d’emménager chez le vieillard féru de cours boursiers. Quant au sous-locataire, il ne paie certes pas de loyer depuis des mois, mais sa façon d’être de mâle éternellement frustré permet au moins à Ronen de se démarquer positivement. En même temps, c’est par le biais de cet acolyte immature que s’opérera le virage irrémédiablement mercantile d’une entreprise à la conception initiale plus altruiste.
Conclusion
Né à Jérusalem et toujours vivant n’est pas une comédie à l’humour noir qui se moquerait de l’approche solennelle des Israéliens envers leur Histoire récente pour le moins ambiguë. Ce n’est pas non plus un conte à l’eau de rose où deux personnages décalés fileraient un parfait amour. Les réalisateurs Yossi Atia et David Ofek en ont fait davantage une douce parabole sur l’impossibilité de la transmission du chaos créé par le terrorisme. Ils y sont plutôt parvenus, grâce au propos nullement réprobateur du récit à l’égard de personnages aux traits de caractère gentiment imparfaits.