Critique : Murina

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Murina

Croatie : 2021
Titre original : –
Réalisation : Antoneta Alamat Kusijanovic
Scénario : Antoneta Alamat Kusijanovic, Frank Graziano
Interprètes : Gracija Filipović, Danica Čurčić, Leon Lučev, Cliff Curtis
Distribution : KMBO
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 20 avril 2022

3.5/5

Née en Croatie, à Dubrovnik, la réalisatrice et scénariste Antoneta Alamat Kusijanović vit aujourd’hui à New York. Elle a commencé ses études de cinéma à l’Académie d’art dramatique de Zagreb et les a terminées à New-York où elle a obtenu une maîtrise en scénario et réalisation à l’Université de Columbia. Bien qu’ayant déjà réalisé quelques métrages auparavant, elle s’est fait connaitre en 2017 avec son court-métrage Into the blue, récompensé dans de nombreux festivals. En réalisant Murina, la réalisatrice a cherché à développer l’univers et le personnage de Julija, le personnage principal de  Into the Blue. Parmi les producteurs du film, on ne manque pas de noter la présence de Martin Scorsese. Retenu dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2021, Murina est reparti avec une récompense prestigieuse : La Caméra d’or.
 

Synopsis : Sur l’île croate où elle vit, Julija souffre de l’autorité excessive de son père. Le réconfort, elle le trouve au contact de sa mère – et de la mer, un refuge dont elle explore les richesses. L’arrivée d’un riche ami de son père exacerbe les tensions au sein de la famille. Julija réussira-t-elle à gagner sa liberté ?

Une jeune fille face à un père tyrannique

Le titre de ce film croate fait référence à la murène, ce poisson qu’on trouve dans la Méditerranée et qui est capable de se libérer en se mordant elle-même lorsqu’elle a été harponnée. C’est d’ailleurs à une chasse subaquatique à la murène que nous sommes invités dès le début du film, avec une chasseuse et un chasseur : Julija, une jeune fille, et Ante, son père. Tous 2 résident avec Nela, la mère de l’une et l’épouse de l’autre, sur une des îles de l’archipel des Kornati. Dans cet environnement aquatique, l’entente entre le père et sa fille semble parfaite. Le retour sur la terre ferme va vite montrer qu’un réel antagonisme existe entre eux : certes, il arrive au père d’être relativement avenant avec elle, mais, le plus souvent, il fait preuve d’une grande dureté, continuant de considérer Julija comme une gamine alors qu’elle s’est transformée en femme. De toute façon, il ne traite pas mieux son épouse à qui il exige obéissance et respect. Quant aux rapports entre Nela et Julija, ils seraient forcément meilleurs si Nela cessait, aux yeux de sa fille, de se montrer aussi soumise à son mari.

L’arrivée de Javier, un ancien associé d’Ante, va très vite changer la donne. Javier arrive des Etats-Unis, il est riche et il est séduisant. Pour Ante, il représente l’espoir de conclure une transaction immobilière qui permettrait à la famille de quitter l’île et de s’installer à Zagreb. Pour Julija, Javier est une sorte de prince charmant, dont elle ne sait pas trop s’il s’agit d’un amant potentiel avec qui elle pourrait partir vers une existence de liberté ou d’un père de substitution qui pourrait remplacer ce père tyrannique auprès de sa mère. Mais, finalement, n’est-ce pas en elle-même que se trouvent vraiment les forces lui permettant de se dégager, telle une murène, de l’emprise de son père ?

Une prison dorée

Véritable paradis pour les touristes, cette île sur laquelle vit Julija s’apparente pour elle à une prison. Une prison dorée, certes, dans la mesure où Julija a un contact privilégié avec la mer, avec les poissons, mais une prison quand même, un environnement dans lequel elle étouffe. Sur cette île sans arbre, l’eau est le seul endroit où il est possible de se cacher, le seul endroit où Julija peut se sentir libre. Sur terre, son père lui interdit de poursuivre des études, lui impose les tenues qu’elle doit porter et n’hésite pas à l’enfermer dans une cave lorsqu’elle ose lui résister. Pour la réalisatrice, un tel comportement, particulièrement machiste, de la part d’un père est considéré comme normal en Croatie ; celui de la mère qui ne se révolte jamais, l’étant tout autant car elle a été élevée ainsi.

Le casting, la photo

Gracija Filipović, l’interprète de Julija, avait 9 ans lorsque Antoneta Alamat Kusijanovic  l’a rencontrée pour la première fois à l’occasion d’un court métrage réalisé dans le cadre de ses études. Elle l’a retrouvée 4 ans plus tard lorsqu’elle l’a choisie pour interpréter le rôle de Julija dans Into the blue et Murina ayant été considéré dès le début par la réalisatrice comme un film permettant de développer le personnage de Julija, il n’était pas question d’aller chercher une autre interprète pour jouer le rôle principal dans ce long métrage. Très à l’aise dans les séquences se déroulant dans l’eau, Gracija Filipović l’est tout autant lorsqu’il s’agit de l’interprétation d’une jeune fille cherchant à échapper à l’emprise d’un père tyrannique. Ce père est interprété par Leon Lučev, le comédien croate qui, il y a 3 ans, interprétait le rôle principal de l’excellent Teret, de Ognjen Glavonic. Danica Čurčić, l’interprète de Nela, est une comédienne aux origines serbes et qui est aujourd’hui de nationalité danoise. On peut trouver qu’elle fait trop jeune pour interpréter le rôle de la mère d’une jeune fille de 18 ans environ mais cela ne nuit pas à la représentation qu’elle donne d’une épouse subissant le joug de son mari. En voyant le personnage de Javier, on a l’impression qu’il s’agit d’un américain aux origines latino. En fait, Cliff Curtis, son interprète, est un néo-zélandais aux origines maori. Il avait un petit rôle dans La leçon de piano, ce film de Jane Campion qui, elle le reconnait, fait partie du Panthéon de Antoneta Alamat Kusijanovic. Quant à la magnifique photographie, on y retrouve une française, Hélène Louvart, une directrice de la photographie particulièrement recherchée par des réalisateurs et des réalisatrices du monde entier.

Conclusion

Jeune femme croate vivant à New-York, Antoneta Alamat Kusijanovic a en quelque sorte réalisé le rêve que semble caresser Julija, le personnage principal de son film : quitter un pays où le machisme est toujours présent. Si l’homme croate n’est donc pas présenté de façon très positive, il n’en est pas de même pour la beauté des paysages de ce pays. Quant à l’avenir des relations homme / femme dans ce pays, il est entre les mains de la jeunesse, représentée ici par une jeune fille qui reproche sa passivité à sa mère et qui sort de sa coquille pour s’efforcer de se libérer du joug paternel.

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