Critique : Mémoires d’un escargot

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Mémoires d’un escargot

Australie, 2024
Titre original : Memoir of a Snail
Réalisateur : Adam Elliot
Scénario : Adam Elliot
Voix : Sarah Snook, Kodi Smit-McPhee, Jacki Weaver et Dominique Pinon
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Genre : Animation
Durée : 1h35
Date de sortie : 15 janvier 2025

3,5/5

Décidément, Adam Elliot ne fait pas des films d’animation pour enfants. En dépit de sa thématique familiale, biologique, d’adoption ou bien de substitution, Mémoires d’un escargot mériterait presqu’une interdiction aux plus jeunes spectateurs ou tout au moins un avertissement, mettant en garde des parents qui, par erreur, auraient voulu emmener leurs bambins le voir.

Contrairement à l’univers de Bill Plympton, très porté sur les joies du sexe, celui de Elliot sonde avec une maestria esthétique et narrative hors pair les affres de la condition humaine. Nul répit, ni espoir dans ses chroniques des laissés-pour-compte d’un monde, où la violence affective prédomine. Dès lors, c’est la précision de la description pleine d’empathie de ces personnages abandonnés à eux-mêmes, qui confère ses lettres de noblesse à cette histoire d’une vie passée à l’écart.

Grâce à cette solidarité inconditionnelle avec la pauvre Grace, une orpheline séparée de surcroît de son frère jumeau chéri, le récit de son existence triste et misérable échappe à une noirceur insupportable. Ce serait davantage de l’ironie, mêlée à la sagesse propre à celles et ceux ayant eu leur cœur brisé quelques fois de trop, qui confère à la tonalité de ce film d’animation prodigieux sa force de vie immuable.

Car aussi terne et désespérant le quotidien peut-t-il paraître, des rayons de soleil finissent toujours par se faufiler ici et là. A condition de s’efforcer à voir le verre à moitié plein ou en tout cas de garder l’esprit suffisamment ouvert pour envisager qu’un jour, les choses finiront par s’arranger. Sur cette base d’un optimisme timide quoique durable, le réalisateur tisse la toile d’une histoire qui fait chaud au cœur, sans pour autant ignorer les dures réalités de la vie.

© 2024 Arenamedia / Screen Australia / Snails Pace Films / Wild Bunch Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Après la mort de Petit-doigt, une vieille dame excentrique qui était sa seule et unique amie, Grace Pudel décide de rendre la liberté à son escargot préféré Sylvia. Pendant que la limace avance lentement dans le potager de la défunte, Grace se souvient de sa vie jusque là. De sa naissance prématurée, en passant par son enfance auprès de son père, ancien acrobate parisien, et de son frère jumeau Gilbert, jusqu’à la séparation permanente de ce dernier et de son arrivée en tant que fille adoptive dans la famille de Ian et Narelle à Canberra.

© 2024 Arenamedia / Screen Australia / Snails Pace Films / Wild Bunch Distribution Tous droits réservés

L’horreur d’une vie solitaire contée à la première personne, tel pourrait être l’argument de vente en apparence guère séduisant de Mémoires d’un escargot. En effet, d’un point de vue objectif, rien n’est susceptible d’attirer notre attention ou de susciter notre sympathie dans la biographie tristounette d’une fille qui ne l’est pas moins. Trop peureuse pour affronter le monde extérieur et du coup réduite à la métaphore de l’escargot, prompt à disparaître dans sa coquille de protection au moindre danger, Grace aurait aisément pu être dépeinte comme une éternelle perdante, indigne d’intérêt. Or, la prise de conscience, très tôt dans sa vie, de sa différence et du destin peu enviable qui l’attendra l’ont en quelque sorte armée pour tant soit peu faire face à l’hostilité omniprésente de son environnement.

Bizarre, elle l’est et c’est ainsi qu’elle s’assume. Aidée en cela par des hommes et des femmes qui, comme elle, ne correspondent pas à une normalité sans histoires. Au détail près qu’à cette vie ordinaire, Grace n’a à aucun moment réellement accès. Pour cela, elle a mis d’emblée trop de barrières entre son petit cœur sensible et la méchanceté gratuite de ses interlocuteurs en dehors de la bulle dans laquelle elle s’est résignée de croupir. En toute logique, seul des âmes aussi bancales et atypiques que la sienne peuvent l’y rejoindre, tel que son père alcoolique, son frère mélancolique et la vieille folle qui lui sert de guide vaguement spirituel. Ce qui ne signifie nullement que ceux et celles restés en dehors du cercle des intimes soient plus respectables que le personnage principal, bien au contraire.

© 2024 Arenamedia / Screen Australia / Snails Pace Films / Wild Bunch Distribution Tous droits réservés

Car l’étrangeté du monde, Adam Elliot la perçoit un peu partout, en choisissant de la célébrer dans la mesure du possible. Les parents adoptifs de Grace préfèrent laisser libre cours à leurs pulsions naturalistes plutôt que de s’intéresser au sort de leur fille, au mieux gavée par eux de livres faussement philosophiques, soit. Le fanatisme religieux de la nouvelle famille de Gilbert le conduit à s’identifier pleinement en opposition à pareil délire sectaire, tant mieux. Et pourtant, le fil rouge de toutes ces interactions avortées tôt ou tard, ce serait l’impossibilité d’établir véritablement un lien au delà des différences de style de vie ou de croyances. Quant à Grace, elle croit dur comme fer d’être un jour réunie avec son frère, quitte à attendre trop longtemps et à voir le temps et sa vie lui filer entre les doigts.

Le ton doux-amer de Mémoires d’un escargot est considérablement soutenu par l’excellence de l’animation en stop-motion. Tout juste le recours systématique à la voix-off – certes de rigueur dans le cadre d’un récit de souvenirs – a-t-il légèrement refroidi notre enthousiasme. Mais sinon, le réglage très subtil des différents décors, loin de la grisaille désespérante encore à l’œuvre dans Mary et Max, le long-métrage d’animation précédent du réalisateur, a réussi à apporter une profondeur supplémentaire à cette histoire déjà joliment lourde de sens.

Jusqu’au dénouement peut-être un peu trop poussif, quoique parfaitement cohérent dans l’optique de l’impossibilité de la part de Grace de s’émanciper réellement. La quiétude trompeuse d’un moment de lecture en bonne compagnie sur son canapé serait-elle donc impossible à laisser derrière elle, au profit d’un nouveau départ, enfin tourné vers le monde extérieur avec tout ce qu’il implique de joies et de peines ?

© 2024 Arenamedia / Screen Australia / Snails Pace Films / Wild Bunch Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Exclus de la médiocrité et du conformisme du monde, réunissez-vous ! Et surtout, réveillez-vous pour aller voir le sublime Mémoires d’un escargot en salles avant qu’il ne soit trop tard ! Le deuxième long-métrage d’animation de Adam Elliot – un réalisateur hélas très peu prolifique – sait en effet injecter brillamment un peu d’optimisme dans l’histoire plutôt tragique d’une jeune femme inapte à s’épanouir dans sa vie. Que Grace y réussisse malgré tout, dans les limites de ses ambitions très modestes, elle le doit à la bienveillance hautement bienvenue de la part de la narration. Cette dernière est rompue à la fois à l’exercice de l’animation stop-motion sans pittoresque superflu et à celui d’un rythme dramatique sans temps mort, ni coups de théâtre manipulateurs, à deux rares exceptions près.

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