Critique : May December

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May December

Etats Unis : 2023
Titre original : –
Réalisation : Todd Haynes
Scénario : Samy Burch, Alex Mechanik
Interprètes : Natalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton
Distribution : ARP Sélection
Durée : 1h57
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie : 24 janvier 2024

3/5

Agé de 63 ans, Todd Haynes est aujourd’hui un des réalisateurs indépendants les plus importants des Etats-Unis. Il a réalisé son premier long métrage, Poison, en 1991. Parmi la dizaine de longs métrages qu’il a réalisée, on note surtout Loin du paradis I’m not there, un biopic très particulier qui voit 5 acteurs et une actrice se partager l’interprétation du rôle de Bob Dylan, Carol, adaptation d’un roman de Patricia Highsmith et Dark Waters, qui narre l’histoire vraie d’un avocat, Robert Bilott, qui a dénoncé les pratiques toxiques de l’entreprise chimique DuPont. Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, May December est le 6ème film de Todd Haynes dans lequel joue Julianne Moore.

Synopsis : Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.

L’anatomie d’un scandale

Alors qu’un barbecue se prépare dans un jardin de Savannah, une ville côtière de Géorgie, on se demande si Gracie, qu’on devine proche de la soixantaine, a un compagnon et, si oui, lequel parmi tous les hommes présents qui ont manifestement, au minimum, une vingtaine d’années de moins qu’elle. En fait, Gracie a bien un mari, Joe, la bonne trentaine, et ce barbecue est l’occasion de fêter la fin des études secondaires de deux de leurs enfants et leur départ vers l’université.  Et voilà que débarque Elizabeth, une actrice dont on apprend qu’elle va jouer à l’écran le rôle de Gracie. Il se trouve en effet que Gracie et Joe ont connu un exceptionnel quart d’heure de célébrité « warholien » 24 ans auparavant, ayant eu ensemble des relations sexuelles alors que Gracie, femme mariée trentenaire, était une des professeures de Joe, âgé lui de 13 ans.

Ce détournement de mineur avait valu une condamnation à Gracie et, de ce fait, elle avait dû accoucher en prison. Gracie et Joe se sont mariés et les conséquences de ce qui fut un temps un énorme scandale, celles par exemple concernant le comportement de leur voisinage à leur égard, se sont petit à petit dissipées. En actrice très professionnelle, Elizabeth est venue au sein de la famille de Gracie et Joe afin d’être capable de pouvoir donner à l’écran une représentation fidèle de Gracie dans ce qui devrait être l’anatomie d’un scandale. Elizabeth ne se contente pas d’observer le couple sous toutes ses coutures, elle interroge également des amis du couple, les enfants du premier mariage de Gracie ainsi que l’avocat de Gracie lors de son procès. Toutefois, vouloir en quelque sorte se glisser « dans la peau » de Gracie peut se révéler pour elle être un jeu dangereux, un jeu qui, au final, peut facilement aller trop loin.

Inspiré d’une histoire vraie

La connaissance de la signification du titre, May December, n’est pas absolument indispensable lorsqu’on se dirige vers une projection de ce film, mais, indéniablement, elle apporte quand même un petit plus : Aux Etats-Unis, cette expression est utilisée pour décrire une relation amoureuse entre deux personnes d’âges très différents. L’âge de la personne la plus jeune est assimilée au mois se mai, en plein milieu du printemps, alors que celui de la personne la plus âgée est assimilé à décembre, le dernier mois de l’année, celui qui voit l’arrivée de l’hiver. May December s’inspire d’une histoire vraie qui avait défrayé la chronique en 1996, celle de Mary Kay Letourneau, une enseignante qui, cette année là, alors qu’elle était âgée de 34 ans, avait eu des relations sexuelles avec un de ses élèves, Vili Fualaau, alors âgé de 13 ans. Alors que Mary Kay Letourneau est décédée en 2020, Vili Fualaau, lui, est toujours vivant et se montre très amer de ne pas avoir été consulté pour la réalisation du film qui est pour lui une arnaque comparée à sa véritable histoire.

 Il est vrai que, dans le film, le couple formé par Gracie et Joe semble tout faire pour donner l’apparence d’un couple « normal », d’un couple uni,  un couple parfait en quelque sorte, mais on s’aperçoit avec Elizabeth qu’il suffit de gratter un peu en surface pour qu’apparaissent dans ce couple d’importantes fêlures. Quand bien même elle a été choisie pour incarner Gracie à l’écran, Elizabeth est en fait très différente de Gracie. Gracie fait partie de ces femmes qu’on qualifie de « nature », elle est spontanée tout en se sachant naïve, une naïveté qui lui fait croire que le film relatant son histoire permettra de montrer la sincérité de sa relation amoureuse avec Joe alors qu’on sait bien que, face une histoire difficile enfouie dans le passé, remuer la vase est rarement synonyme de félicité. Face à la spontanéité et à la naïveté de cette femme, Elizabeth, elle, a tendance à reproduire dans son comportement de tous les jours ce qu’on lui demande de faire dans son travail d’actrice : se cacher derrière les sentiments des personnages qu’elle interprète.

Des ruptures de ton très brutales

Ce n’est pas la première fois que le cinéma nous présente un couple « May December ». Le plus souvent, c’est la femme qui est « may » et l’homme « december » mais on a quand même déjà rencontré plusieurs fois la même situation que dans May December :  rappelons nous, par exemple, de Le lauréat de Mike Nichols en 1967 ou de Mourir d’aimer d’André Cayatte en 1970. Ce que May December apporte de nouveau, c’est la présence de cette observatrice extérieure qu’est Elizabeth avec le jeu de miroirs que cela permet entre elle et Gracie, avec, pour le réalisateur, la possibilité de nous informer, au travers d’un exemple, sur le travail de préparation qui doit être effectué avant la réalisation d’un film et de nous faire réfléchir, également, sur les différentes manières de raconter une histoire. Dans sa réalisation, Todd Haynes n’a pas choisi la facilité en jouant sur de brutales ruptures de ton, entraînant souvent vers la pure comédie ce qui s’apparente par ailleurs à une enquête policière ayant comme particularité d’être menée par une actrice. Malgré le talent de Natalie Portman, l’interprète d’Elizabeth, et de Julianne Moore, l’interprète de Gracie, force est de reconnaître que ce double registre peut arriver à laisser des spectateurs au milieu du gué.

On notera que l’histoire vraie dont le film s’inspire s’est déroulée dans la région de Seattle, dans le nord-ouest des Etats-Unis et que le film a été tourné à Savannah, en Géorgie, au sud-est du pays. Faut-il y avoir la volonté de plonger l’histoire dans une atmosphère un peu poisseuse, a priori plus trouble, plus tourmentée ? Et la musique dans tout cela ? De nombreux téléspectateurs assidus vont se demander ce que vient faire dans ce film la musique de « faîtes entrer l’accusé », la célèbre émission passée de France 2 à RMC Story il y a 4 ans. Les cinéphiles, eux, se souviendront peut-être de la musique de Le messager, le film de Joseph Losey sorti en 1971. Y aurait-il du plagiat dans l’air ? Eh bien non, les téléspectateurs assidus et les cinéphiles ont raison, mais il n’y a pas de plagiat, Michel Legrand étant bien crédité comme compositeur du thème qu’on entend, thème qui provient bien de Le messager et qui fut repris pour l’émission de télévision.

Conclusion

En jouant sur de brutales ruptures de ton, Todd Haynes a pris un risque important et le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur de ses, de nos espérances. Bien interprété par deux grandes stars du cinéma US, May December a toutefois le mérite de nous introduire dans le travail de préparation que requiert la réalisation d’un film de cinéma et, par ce biais, d’ajouter une strate supplémentaire fort intéressante à la narration d’une histoire.

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