Critique : Les tournesols sauvages

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Les tournesols sauvages

Espagne : 2022
Titre original : Girasoles silvestres
Réalisation : Jaime Rosales
Scénario : Jaime Rosales, Bárbara Díez
Interprètes : Anna Castillo, Oriol Pla, Quim Ávila
Distribution : Condor Distribution
Durée : 1h46
Genre : Drame
Date de sortie : 2 août 2023

4/5

Jaime Rosales n’est pas le plus connu des réalisateurs espagnols et, pourtant, des films comme Soledad, La belle jeunesse, Petra et, aujourd’hui, Les tournesols sauvages, son 7ème long métrage, apportent la preuve qu’il est un des plus importants du moment, non pas seulement du cinéma espagnol mais tout simplement du cinéma mondial. Souvent comparé à Haneke, il n’y a jamais d’outrance dans son cinéma, jamais d’afféterie inutile, jamais d’exubérance plus ou moins forcée. Il utilise les ellipses avec brio, ses cadrages sont millimétrés, ses plans ont toujours la bonne longueur, ses dialogues sonnent toujours juste. Certains de ses films ont été présentés à Cannes dans des sections parallèles. On se demande combien de temps il faudra attendre pour qu’un de ses films soit enfin retenu dans la compétition officielle !

Synopsis : À Barcelone, Julia, 22 ans, élevant seul ses deux enfants, rêve de liberté et d’émancipation. Comme un tournesol suivant sans relâche la lumière, elle part chercher le soleil sous d’autres horizons. Lorsque le hasard remet sur son chemin deux hommes qu’elle a connu par le passé, la voilà confrontée à des émotions contraires.

Une amoureuse qui a toujours besoin d’un homme à ses côtés

C’est sur une plage de Barcelone que nous faisons connaissance avec Julia : c’est une jeune femme séparée de Marcos, son mari, c’est la jeune mère de deux enfants qu’elle a eus avec lui, Nico et Rita. C’est aussi une jeune femme qui aimerait poursuivre des études pour devenir infirmière. Les raisons de sa séparation avec Marcos sont floues : peut-être se sont ils trompés mutuellement ? Et voilà que se présente Oscar, un jeune homme tatoué des pieds à la tête qui drague ostensiblement Julia. Cette dernière ne se fait pas trop prier et accepte de venir vivre avec lui. En tant que spectateur, on est forcément un peu surpris par ce choix de Julia car on a perçu très vite qu’il y a un côté caustique chez Oscar et que son intellect est particulièrement limité. En plus, il ne tarde pas à se montrer facilement jaloux et violent. Quand bien même Julia ressent manifestement le besoin d’avoir un homme à ses côtés arrive un moment où elle va décider de partir avec ses deux enfants. Partir, oui, mais pour aller où ? Auprès de quel homme ? Retourner auprès de Marcos, le père de ses enfants, actuellement militaire dans l’enclave espagnole de Melilla, au nord du Maroc ? Refaire sa vie avec Alex, un ancien copain d’école ?

Pas forcément évident pour un réalisateur de se glisser dans la peau d’un personnage de femme pour parler de sa vie sentimentale, d’autant plus lorsqu’on a passé le cap des 50 ans et que le personnage féminin en a trente de moins. C’est ce que Jaime Rosales a décidé de faire et le résultat est à la mesure de son talent. On sera forcément d’accord : homme ou femme, nous n’envisageons pas tous notre vie sentimentale de la même façon. Certaines femmes et certains hommes ne ressentent pas le besoin de vivre une vie de couple alors que d’autres ont viscéralement besoin de partager la vie d’une autre personne, qu’elle soit ou non du même sexe. Julia fait partie de cette dernière famille. Pour Jaime Rosales, l’envie de raconter l’histoire de Julia est venue d’un reportage photographique publié dans un journal français et qui, raconte-t-il, « présentait la vie d’une jeune femme américaine, mère de deux enfants, à trois moments distincts de son existence. Elle était à chaque fois en couple avec des hommes, très différents les uns des autres. Ses enfants, toujours présents, étaient le pivot de son existence mais ses relations amoureuses occupaient une place tout aussi importante dans sa vie … A l’heure où la place de la femme et son émancipation occupent une place dominante dans les discours, montrer ce contre exemple d’une amoureuse qui a toujours besoin d’un homme à ses côtés m’interpellait ». Mais encore faut-il, pour Julia et pour ses enfants, pour cette amoureuse, trouver le bon compagnon, peut-être pas, physiquement, le plus séduisant des hommes mais, plus sûrement, un homme qui sache exercer ses responsabilités de compagnon et de père. Nous voilà donc partis pour suivre l’éducation sentimentale d’une jeune femme qu’on va voir se tourner vers 3 hommes différents, très différents même, à la façon des tournesols qui se tournent vers le soleil. Sans s’en rendre vraiment compte, sans vraiment le rechercher, apprenant de ses erreurs dans un processus de type essai-erreur totalement inconscient, Julia va petit à petit évoluer !

Film féministe, ou pas ? 

Face à cette histoire sentimentale vue par le filtre d’un personnage féminin, d’aucuns et, plus sûrement encore, d’aucunes, vont rechigner à voir dans Les tournesols sauvages un film féministe, d’autant plus que c’est un homme qui l’a réalisé : qu’est-ce que c’est que cette jeune femme qui a absolument besoin de sentir la présence d’un homme à ses côtés ?!? Et pourtant, c’est bien Julia qui assume ses responsabilités, Julia qui prend toutes les décisions importantes quant à la conduite de sa vie, qui quitte Oscar, un homme dont elle est pourtant profondément amoureuse mais qui s’est révélé violent, qui quitte à nouveau Marcos, le père de ses enfants, parce qu’il est défaillant dans son rôle de compagnon et de père, qui va recadrer Alex lorsque ce dernier la délaisse au profit de son travail.

Un film réalisé par un homme, donc, mais coscénarisé avec une femme, Bárbara Díez, et photographié par une femme, la très réputée directrice de la photographie française Hélène Louvart, déjà présente sur Petra, le film précédent de Jaime Rosales. Hélène Louvart qui a photographié des films tournés en Croatie (Murina), en Corse (Les Apaches), à Naples et dans le sud de l’Italie (L’intrusa, Heureux comme Lazzaro, Les merveilles, Corpo celeste), en Grèce (Xenia), excelle dans l’utilisation des lumières méditerranéennes. Dans les scènes tournées dans la région de Barcelone, la lumière est plutôt blanche alors que, lorsque Julia rejoint Marcos à Melilla, sur le continent africain, les tonalités sont plus chaudes, plus ocres. Adepte des plans séquence, qu’il réalise d’habitude sous forme de plans fixes, Jaime Rosales a choisi cette fois ci de privilégier une réalisation faisant appel à des panoramiques. Dans un film dont les plans ont toujours la bonne longueur, sans gras inutile, Jaime Rosales sait faire un usage exemplaire du hors-champ et des ellipses, des ellipses qui peuvent surprendre le spectateur sans, pour autant, le désarçonner totalement car elles ont toujours une justification.

Une distribution XXL

Le choix des 3 comédiens chargés de représenter les 3 types d’hommes que Julia va « essayer » pour réussir son « éducation sentimentale » était un choix important et il est réussi, avec une mention particulière pour Oriol Pla, déjà présent dans Petra et qui, ici, interprète avec une très grande conviction le rôle d’Oscar, le tatoué bas du front. Toutefois, l’interprète qui, vraiment, illumine le film de sa présence, c’est bien Anna Castillo dans le rôle de Julia, un rôle à multiples facettes qu’elle fait toutes briller de façon extraordinaire.

Conclusion

Avec Les tournesols sauvages, Jaime Rosales ajoute un nouveau maillon de très grande qualité à une œuvre qui le place très haut dans le cinéma mondial. Il prouve à nouveau qu’il sait toujours se renouveler tout en restant fidèle à des thèmes qui lui sont chers, la famille, la violence (le plus souvent suggérée), et à des partis pris cinématographiques, les plans séquence, une utilisation intelligente du hors-champ et des ellipses.

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