Critique : Les survivants

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Les survivants

France : 2022
Titre original : –
Réalisation : Guillaume Renusson
Scénario : Guillaume Renusson, Clément Peny
Acteurs : Denis Ménochet, Zar Amir Ebrahimi, Victoire Du Bois
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h38
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 4 janvier 2023

4/5

Originaire de la Sarthe, Guillaume Renusson est passé par des études de lettres, puis de sciences politiques, avant de se diriger vers Paris, en 2013, afin de faire un master d’écriture audiovisuelle. Sa première réalisation, Une minute de silence, lui a permis de remporter en 2013 le prix du meilleur film lors de la 8ème édition du Mobile Film festival, un festival consacré à des court-métrages de 1 minute tournés avec un téléphone portable. La somme de 15 000 euros que ce prix lui a rapporté a permis à Guillaume Renusson de réaliser en 2014 le court-métrage Après les cours, d’une durée de 20 minutes. Voilà comment, après avoir mis un orteil dans le monde du cinéma, on se retrouve 10 ans plus tard à sortir son premier long métrage, Les survivants, un film dont le scénario a été construit autour d’une scène bien précise, un film qui permet de commencer une nouvelle année cinématographique de la plus belle des manières.
 

Synopsis : Samuel part s’isoler dans son chalet au cœur des Alpes italiennes. Une nuit, une jeune femme se réfugie chez lui, piégée par la neige. Elle est afghane et veut traverser la montagne pour rejoindre la France. Samuel ne veut pas d’ennuis mais, devant sa détresse, décide de l’aider. Il est alors loin de se douter qu’au-delà de l’hostilité de la nature, c’est celle des hommes qu’ils devront affronter…

Deux êtres en situation de survie

Les survivants met en scène deux êtres en situation de survie qui n’auraient jamais dû se rencontrer et qui, ensemble, vont s’apercevoir qu’il y a pire que les pièges tendus par la montagne en plein hiver : le comportement de certaines personnes. Elle, c’est Chehreh, elle est en situation de survie car elle est afghane, son mari était traducteur pour les forces françaises à Kaboul et ils ont dû fuir les talibans. En Grèce, un incident de parcours les a séparés et Chehreh essaye de passer en France, par la montagne, depuis l’Italie. Lui, c’est Samuel, il est en position de survie car, on le comprend très vite, il a perdu sa femme dans un accident de voiture. Lui n’a été que blessé et, !orsqu’on fait sa rencontre, il est en train de se rééduquer en pratiquant de l’aquabike. A la fin de la séance, le kiné lui annonce qu’il est apte à reprendre le travail. Toutefois, avant de reprendre son métier, Samuel décide de laisser sa fille Léa à son oncle Cédric et d’aller passer le week-end dans le chalet qu’il retapait avec sa femme avant l’accident, un chalet en pleine montagne, côté italien. Et c’est là qu’il va se trouver nez à nez avec Chehreh, une femme apeurée, en situation de stress, qui vient de s’enfuir lorsque les « forces de l’ordre » sont arrivées pour déloger les migrants qui avaient squatté une maison inhabitée.

Samuel n’est pas à proprement parler un homme préoccupé par les problèmes rencontrés par les migrants, mais ce n’est pas non plus un homme a priori hostile aux étrangers et indifférent au malheur des autres. De toute façon, depuis le récent décès de son épouse, il a autre chose en tête et ce n’est que petit à petit qu’il va se décider à aider Chehreh à passer du côté français de la frontière. De son côté, Chehreh n’est pas vraiment rassurée de se retrouver aux côtés d’un homme comme Samuel, un homme bâti comme une armoire à glace et dont le côté avenant ne semble pas être la qualité principale. Cette situation va donner naissance à une scène d’une grande force lorsque Samuel va entreprendre de changer les vêtements complètement trempés de Chehreh et que celle-ci, un temps, va s’imaginer qu’il a une autre idée en tête. En fait, ce qui va arriver à souder leur relation, ce sont bien sûr les difficultés présentées par la marche dans une neige épaisse mais, surtout, c’est la véritable chasse à l’homme et à la femme, organisée à leur encontre par un trio de deux hommes et une femme aux idées nauséabondes qui se croient investis d’une mission citoyenne en s’en prenant physiquement à des migrants et à ceux qui les aident. Et lorsque Chehreh demandera à Samuel « Pourquoi tu fais ça pour moi », il se contentera de répondre « Parce que tu as besoin d’aide ».

Thriller, film de traque et, bien sûr, film politique

Depuis Welcome en 2009, on ne peut pas dire que le cinéma français s’était beaucoup intéressé au sort de migrants risquant leurs vies pour traverser une mer, que ce soit la Méditerranée ou la Manche, ou pour franchir des montagnes, par exemple dans la région de Briançon. Les actions violentes menées en 2018 au col de l’Echelle contre des migrants par des membres de génération identitaire ainsi que l’affaire des 7 de Briançon et la noyade, la même année, de la nigériane Blessing Matthew dans la Durance alors qu’elle était poursuivie par une patrouille de gendarmes ont fait murir presque simultanément deux projets s’inspirant de ces évènements : à la mi-novembre est sorti Les engagés de Emilie Frèche suivi, un mois et demi plus tard, par Les survivants de Guillaume Renusson. Dans les deux cas, il s’agit d’un premier excellent long métrage, dans les deux cas, on s’attache au sort d’un migrant ou d’une migrante qui va réveiller l’humanité d’un homme et l’amener à se mettre en danger pour sauver une vie humaine.

Là s’arrête la comparaison : alors que Les engagés a un côté plus documentaire, avec, en particulier, le travail réalisé par Emilie Frèche auprès du collectif qui a mis sur pied le Refuge de Briançon, Les survivants ajoute au caractère incontestablement politique du film tout un tas de traits qui en font également un thriller haletant et un film de traque très proche d’un western. Le film regorge de scènes très fortes, à un titre ou à un autre. On a déjà parlé de cette scène au cours de laquelle Samuel se met en tête de changer les vêtements trempés de Chehreh afin de la sauver d’une hypothermie, on va se permettre d’en évoquer deux autres : celle où Justine, la femme du trio d’extrême droite, pointe son fusil sur Samuel et où Victor, un de ses acolytes, lui dit que ce serait stupide d’aller en prison pour un français ; celle où Samuel et Chehreh arrivent à un contrôle de gendarmerie avec la certitude qu’on va leur demander leurs papiers. Cette scène est la scène clé autour de laquelle le scénario a été écrit : Samuel donne à Chehreh la carte d’identité de son épouse, récupérée par lui à son arrivée dans le chalet, avant même de rencontrer Chehreh. Cette scène superbe par sa simplicité et son caractère intime se poursuit par le comportement du gendarme qui regarde cette carte et Chehreh et qui lâche « C’est bon, allez y » : on voit bien dans son regard plein d’humanité qu’il est loin d’être dupe !

Un tournage difficile, un résultat superbe

Le tournage de Les survivants ne s’est pas apparenté à une promenade de santé. Déjà, pour commencer, ce tournage débuté en mars 2020 a dû être interrompu au bout d’une semaine du fait du confinement. La présence de la neige étant nécessaire, il n’a pu reprendre que 10 mois plus tard, avec un nouveau chef opérateur, Pierre Maïllis-Laval, celui prévu au départ n’étant plus disponible. Ensuite, cette fameuse neige et les conditions météorologiques du moment  ont obligé le réalisateur et les équipes techniques à s’adapter en permanence. Malgré ces difficultés, la magie de la montagne et le savoir-faire de l’équipe de réalisation et des interprètes font que le résultat est superbe.

Denis Ménochet est grandiose dans le rôle de Samuel, lui qui, il y a à peine plus de 6 mois, en juillet dernier, l’était déjà dans Peter von Kant et dans As Bestas. Dans Les survivants, il est bouleversant en veuf qui, petit à petit, va arriver à surmonter son deuil en s’efforçant de sauver une femme dans la détresse. L’interprète de l’afghane Chehreh est franco-iranienne : Zar Amir Ebrahimi, surprenante par le mélange de force et de fragilité qu’elle dégage, avait été choisie par le réalisateur bien avant de recevoir le Prix d’interprétation féminine lors du dernier Festival de Cannes pour son interprétation d’une journaliste dans Les nuits de Mashhad. Dans le trio identitaire, on remarque surtout le jeu de Victoire Du Bois dans ce qui était pour elle un vrai rôle de composition. Quant au « gendarme qui n’est pas dupe », c’est un caméo de Loïc Corbery, de la Comédie Française.

Conclusion

En 2009, il y avait eu le film Welcome de Philippe Lioret, mais, depuis, on ne peut pas dire que le cinéma français s’était beaucoup intéressé au sort de migrants risquant leurs vies pour traverser une mer ou pour franchir des montagnes. Et voilà que, moins de deux mois après la sortie de Les engagés d’Emilie Frèche, arrive sur nos écrans Les survivants, un film dont le sujet est similaire mais qui est traité de façon différente, même si, dans les deux cas, ce sont les circonstances et non une forme d’idéologie qui amènent deux hommes à prendre fait et cause pour l’aide à la survie de migrants. D’une certaine façon, ces deux excellents films, magnifiquement interprétés, se complètent et on ne va surtout pas se plaindre de cette quasi simultanéité.

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