Les Petites victoires
France, 2022
Titre original : –
Réalisatrice : Mélanie Auffret
Scénario : Michaël Souhaité, Mélanie Auffret, Romain Compingt et Yoann Gromb
Acteurs : Michel Blanc, Julia Piaton, Lionel Abelanski et Marie Bunel
Distributeur : Zinc.
Genre : Comédie
Durée : 1h30
Date de sortie : 1er mars 2023
2,5/5
La campagne française avec ses poncifs du terroir et sa désertification éducative ont décidément bon dos au cinéma en ce début d’année 2023. A peine un mois après la sortie généralement peu remarquée d’Un petit miracle de Sophie Boudre, voici un autre film qui prend la nostalgie provinciale à bout de bras. Et comme ce fut le cas dans ce dernier, il n’y a pas grand-chose à voir ou à apprendre dans Les Petites victoires, si ce n’est le constat que la gentillesse inoffensive, voire la niaiserie peuvent parfois faire recette.
En effet, les enjeux dramatiques sont plutôt minimes dans le deuxième long-métrage de Mélanie Auffret, son penchant pour l’insignifiance étant à peine contrebalancé par un coloris local breton gardé à un niveau raisonnable. Dépourvu de quelque ambition formelle que ce soit, c’est un film modeste, pour ne pas dire petit, qui conte le parcours de ses personnages avec une certaine mollesse.
Pourtant, l’héroïne est censée être une grande bosseuse altruiste, une femme qui jongle tant qu’elle le peut entre ses deux fonctions principales de maîtresse d’école et de mairesse, le tout en hommage à feu son père, une véritable institution dans le petit bourg. Julia Piaton s’efface complètement derrière ce rôle plein de dévouement, ce qui est soit dans le prolongement parfait du propos du film, soit le signe d’une direction d’acteurs approximative. En face d’elle, Michel Blanc ne s’en sort guère mieux avec ce vieux ronchon au cœur en or, un emploi qu’il maîtrise depuis des années mais grâce auquel il ne fait plus trop d’étincelles. Tout juste la vocation exclusivement amicale de leurs rapports se distingue-t-elle de la nécessité factice et hélas trop répandue d’assaisonner toute intrigue d’une histoire d’amour.
Synopsis : La jeune Alice n’a pas une minute pour elle. Quand elle ne s’occupe pas en tant que maire des petits soucis des habitants de la bourgade de Kerguen, elle bataille dur sous la casquette de maîtresse afin de garder son école à classe unique ouverte, malgré une pénurie flagrante d’élèves. L’un de ses administrés les moins commodes est Emile Menoux, qui se dispute pour un oui et pour un non et qui vit reculé depuis le décès récent de son frère Christian. Il finit par admettre qu’il n’a jamais appris à lire. Jeune retraité, il se présente dans la classe d’Alice afin de remédier à ce fâcheux handicap social.
Des taumates et des aubergines
Des problèmes sociaux, il n’en manque pas dans Les Petites victoires. Depuis le surmenage des jeunes responsables, attachés à leurs communes rurales mais incapables de leur insuffler un second souffle, en passant par la menace qui pèse sur chaque lieu de vie sociale – boulangerie, bistrot ou salle de classe – à cause du tissu démographique en berne, jusqu’à l’illettrisme d’une certaine génération qui n’a jamais appris à lire comme il faut et qui a trouvé des subterfuges pour se débrouiller sans. Tout un programme !
Sauf que le scénario promeut un drôle de volontarisme du moindre effort que l’on pourrait aussi qualifier de stratégie des petits pas. Tandis que l’adjoint d’Alice cultive de grands rêves de création de pépinière de start-ups, madame la maire se contente de vendre sous forme de coopérative le pain cuit dans le village voisin. Et la belle volonté tardive d’Emile d’apprendre à lire a pour but principal de renouer le contact avec sa flamme d’antan, devenue depuis un des piliers de la communauté.
Une certaine délicatesse a beau planer sur ce microcosme ordinaire, la mise en scène ne réussit point à nous intéresser d’y prendre activement part. Dès lors, ce serait moins une improbable posture d’indifférence qui plombe la narration de Mélanie Auffret que son incapacité à traduire sa sympathie pour ses personnages doucement malmenés en des termes cinématographiques engageants. La réalisation impersonnelle confère ainsi une médiocrité sans saveur à ces mini-aventures rocambolesques, certes pas sans charme, quoique exécutées à travers le vocabulaire esthétique et la force dramatique dignes d’un téléfilm.
Notre cœur de spectateur ne vibre quasiment jamais pour ces personnages en principe tout à fait accessibles, par la faute d’un langage filmique trop brouillon. Celui-ci est à l’image de l’un des boulets que la protagoniste tire gracieusement derrière elle, incapable de payer ses factures d’électricité, de chercher un boulot ou d’exiger le paiement de la pension alimentaire auprès de son ancien compagnon.
Dépasser son périmètre
Car la campagne décrite dans Les Petites victoires est autant celle des fantômes que celle des grands nostalgiques du temps d’avant. A plusieurs reprises, des répliques reviennent sur les beaux vieux jours, quand la vie locale créait encore du lien sous l’œil bienveillant du père d’Alice. A présent, toutes les tentatives de cette battante pour faire revenir ce statu quo de l’idylle bucolique se soldent par des échecs plus ou moins cuisants. De cet acharnement du sort, il résulte un ton presque sinistre ou en tout cas pessimiste, quant à l’avenir de cette forme de vie commune d’un autre âge. La plupart des personnages semblent en être conscients, ce qui rend le projet idéologique du film assez bancal.
A quoi bon promouvoir un style de vie en inadéquation avec l’évolution des mœurs et des habitudes sociales, si c’est pour admettre en fin de compte que seul le départ de cette bulle moribonde pourrait fournir un possible sens ou au moins une perspective à la vie d’Alice, jusque là marquée par un élan d’abnégation personnelle ?
Même ce dilemme existentiel pourtant assez basique, le récit l’esquisse à peine. Il préfère s’employer à rendre amicaux sans tarder les rapports entre tous les personnages. La béatitude de surface qui s’ensuit, les personnages la portent stoïquement quoique sans grande conviction. Ainsi, des comédiens chevronnés tels que Lionel Abelanski, un rescapé du premier film de la réalisatrice Roxane sorti en 2019, Marie Bunel et India Hair sont essentiellement réduits à la fonction rudimentaire de leurs personnages respectifs. A savoir de rendre la fonction d’administrateur local encore un peu moins attractive, de servir de prétexte à une histoire d’amour à la finesse appréciable ou bien d’indiquer que rester et croupir n’est pas la seule option qui s’offre à la jeunesse de nos campagnes.
Seul le volet timidement romantique de cet univers convenu aurait mérité que le scénario s’y attarde davantage, au lieu de recourir à des ruses peu sophistiquées pour maintenir en l’état un édifice social sur le point de s’écrouler.
Conclusion
On ne sait pas vraiment quoi penser de ce cinéma franchouillard des années 2020. Au delà du degré zéro de la recherche formelle cinématographique, ce sont des films – à la fois Les Petites victoires et Un petit miracle – qui véhiculent une image sans issue de la campagne française. Or, plutôt que de porter le deuil de l’idéal provincial d’une école dans chaque village et d’une vie communale en plein essor, ils cherchent à le faire perdurer artificiellement, contre toute raison. Le résultat dans les deux cas et, on le craint, dans d’autres œuvres comparables à venir est un climat anachronique qui tend à nous mettre mal à l’aise.
Car face à leur prémisse lucide, ces histoires s’obstinent à vouloir sacrifier les meilleures années de la vie de leurs personnages principaux féminins sur l’autel d’un service en panne de sens ou au moins de débouchés crédibles. Dans ce sens, le reflet filmique d’une réalité malheureusement bien concrète sur le terrain procède à un décalage préjudiciable, dont on n’ose pas pour l’instant anticiper un prochain ajustement aussi nécessaire que salutaire.