Les nuits de Mashhad
Danemark, Allemagne, Suède, France : 2022
Titre original : Holy spider
Réalisation : Ali Abbasi
Scénario : Ali Abbasi, Afshin Kamran Bahrami
Interprètes : Mehdi Bajestani, Zar Amir Ebrahimi, Arash Ashtiani
Distribution : Metropolitan FilmExport
Durée : 1h56
Genre : Thriller, policier, drame
Date de sortie : 13 juillet 2022
4/5
Ali Abbasi est un réalisateur né en Iran mais qui n’a jamais tourné dans son pays d’origine. En effet, après avoir étudié à l’Université Polytechnique de Téhéran jusqu’en 2002, il a émigré en Europe. La Suède d’abord, où il a étudié l’architecture, puis le Danemark où il a suivi une formation de réalisateur à l’École nationale de cinéma du Danemark de Copenhague et dont il a pris la nationalité. Après Shelley, puis Border, prix un Certain Regard de Cannes 2018, deux longs métrages flirtant avec le fantastique, Ali Abbasi est en quelque sorte revenu vers son pays pour nous raconter à sa façon un fait-divers qui s’était déroulé alors qu’il vivait encore en Iran et qui l’avait profondément marqué. Après avoir envisagé de tourner son film en Iran, puis en Turquie, les régimes politiques de ces 2 pays, la corruption qui y règne, l’ont incité à se tourner plutôt vers la Jordanie, et, plus particulièrement, la ville de Amman. Il y a un peu plus d’un mois, Les nuits de Mashhad était partie prenante dans la compétition cannoise et la comédienne Zar Amir Ebrahimi s’est vue décerner le prix d’interprétation féminine.
Synopsis : Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.
Rahimi et Saeed
Mashhad, grande ville iranienne, ville sainte, lieu important de pèlerinage. Une ville où, en 2001, un tueur en série s’en prend aux prostituées. C’est à proximité d’un mausolée de la ville que Saeed repère ses futures victimes depuis sa moto, des victimes en manque d’argent, en manque de drogue et qu’il arrive de ce fait à convaincre de monter avec lui sur sa moto. Rahimi, une journaliste de Téhéran, décide de venir à Mashhad pour enquêter. Très souvent, dans une telle histoire, on ne sait rien du tueur, on ne fait que l’apercevoir sans qu’il soit possible de le reconnaître. Le réalisateur a fait un autre choix, un choix qui s’avère fort judicieux : en effet, nous présentant Saeed dès le début, il nous permet de suivre en parallèle ses actions et l’enquête menée par Rahimi. Face à un homme très pieux, un maçon marié et père de 3 enfants, un homme qui entend purifier la ville, cette ville sainte de Mashhad, de cette souillure que représentent pour lui ces prostituées, une femme, confrontée à la misogynie de la société iranienne, une femme qui va vite prendre conscience que la police ne va pas se hâter pas pour rechercher et arrêter l’auteur de ces crimes, intéressée qu’elle est par le « travail » de nettoyage que, dans son optique, il effectue à sa place.
Des faits réels
L’histoire que nous raconte Ali Abbasi est très largement inspirée par des faits réels qui se sont déroulés à Moshhad entre 2000 et 2001 et qui ont conduit au procès du tueur en série. Le véritable Saeed, Saeed Hanaei, 39 ans au moment des faits, a réalisé son premier crime le 7 août 2000 et son dernier, le 16ème, environ un an plus tard. Sa façon de procéder, consistant à attirer ses victimes dans sa toile en les emmenant chez lui dans le but des les étrangler avec leurs foulards, lui a valu d’être comparé à une araignée, d’où le titre original du film, Holy spider, « araignée sainte ». L’origine de sa folie meurtrière serait venue du fait que son épouse avait été prise pour une prostituée par un camionneur. L’histoire de Saeed Hanaei avait déjà été l’objet de deux films, And Along Came a Spider, un documentaire TV de Maziar Bahari en 2003, et Killer spider, un film de fiction de Ebrahim Irajzad, en 2020.
Par rapport à la réalité des faits, la différence la plus importante réside dans la présence de Rahimi, la journaliste venue de Téhéran pour enquêter, personnage inventé de toute pièce par Ali Abbasi et son coscénariste. Ce personnage a permis au réalisateur d’élargir son propos, de passer de l’histoire d’un « loup solitaire » à une peinture plus générale de la misogynie endémique qui règne en Iran, sans qu’on sache vraiment si elle est surtout religieuse, politique ou culturelle. Peu intéressé au départ par ce fait divers, un tueur en série de plus dans un pays qui ne connait que trop bien ce phénomène, Ali Abbasi l’est devenu lorsque Saeed est devenu une sorte de héros pour une partie importante de la population iranienne, ce que son film montre très clairement. Cette volonté d’étendre son propos à une peinture de la misogynie qui règne en Iran sur laquelle vient se greffer cette héroïsation du tueur par une partie importante de la population conduit le réalisateur à refuser que son film soit considéré comme un film de genre dans la lignée de Seven ou de Zodiac. Cela n’empêche pas le film d’être passionnant du début jusqu’à la fin !
Un film très mal reçu par les autorités iraniennes
Les nuits de Mashhad a été très mal reçu par les autorités iraniennes et son passage à Cannes n’est pas passé inaperçu à Téhéran. Au point que quelques jours après la proclamation du palmarès, le ministre de la culture iranien a condamné le film et regretté que le prix d’interprétation féminine ait été décerné à Zar Amir Ebrahimi, l’interprète de Rahimi, une récompense parfaitement méritée par ailleurs. Une protestation officielle a même été formulée auprès du gouvernement français. Même si on connait le danger que peut représenter une telle situation dans un pays comme l’Iran, il n’y pas de danger à craindre pour Zar Amir Ebrahimi puisqu’elle est réfugiée en France depuis 2008 et qu’elle est même devenue française un peu plus tard. Pas de danger non plus pour le réalisateur qui vit au Danemark depuis plusieurs années. Par contre, les risques pris par Mehdi Bajestani, l’excellent interprète de Saeed, ont été plus importants car lui n’a pas coupé les ponts avec son pays !
Conclusion
Faux film iranien, Les nuits de Mashhad, film tout à la fois passionnant et instructif, a conquis les spectateurs du festival de Cannes et profondément irrité les autorités iraniennes. Le prix d’interprétation féminine est venu très justement récompenser la très belle interprétation de Zar Amir Ebrahimi. Espérons que la date de sortie du film, au milieu du mois de juillet, ne représente pas un handicap quant à son succès public dans notre pays.