Critique : Les gens d’à côté

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Les gens d’à côté

France : 2024
Titre original : –
Réalisation : André Téchiné
Scénario :  Régis de Martrin-Donos, André Téchiné
Interprètes : Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Nahuel Perez Biscayart
Distribution : Jour2fête
Durée : 1h25
Genre : Drame
Date de sortie : 10 juillet 2024

3/5

Synopsis : Lucie est une agent de la police technique et scientifique. Son quotidien solitaire est troublé par l’arrivée dans sa zone pavillonnaire d’un jeune couple, parents d’une petite fille. Alors qu’elle se prend d’affection pour ses nouveaux voisins, elle découvre que Yann, le père, est un activiste anti-flic au lourd casier judiciaire. Le conflit moral de Lucie entre sa conscience professionnelle et son amitié naissante pour cette famille fera vaciller ses certitudes…

Une amitié atypique

Il arrive qu’on sorte d’un film en se focalisant sur le manque de crédibilité de ce qu’on nous a donné à voir et/ou sur son apparente absence de profondeur.  Et puis, il peut arriver qu’en tournant et en  retournant ce film dans sa tête, on prenne conscience que, si on prend soin d’agglomérer tout ce qui est suggéré  par tout un tas de touches discrètes, le film est en fait très riche et que, malgré un certain nombre de défauts, il est susceptible de générer des réflexions et des conversations très sérieuses sur des sujets importants : le vivre ensemble entre voisins ; l’amitié est elle soluble dans les divergences politiques ? ; faut il rejeter l’ensemble de la police sous prétexte que certains de ses membres ont un comportement inacceptable ? ; etc. Quant à la crédibilité, on comprend vite que c’est une fable qu’on nous raconte et que le réalisateur a choisi la fable dans un but bien précis. Ce but visé par Téchiné, c’est manifestement d’apporter de l’apaisement dans une nation fracturée en montrant qu’une relation d’amitié peut s’établir entre une policière et de nouveaux voisins dont l’élément masculin est un activiste membre des black blocs, ayant déjà eu maille à partir avec la police et avec la justice. Un sujet assez casse-gueule et dans lequel, en effet, le risque est grand de ne pas apparaître très crédible. A ce sujet, et là on rentre dans les réflexions qui peuvent naître suite à la vision du film, on se dit qu’il doit y avoir en France de nombreux cas de voisinage entre flic et activiste et on s’interroge sur ce qui se passe généralement entre ces voisins a priori si différents. En tout cas, la naissance de cette relation d’amitié est quand même plus vraisemblable que les fréquentes apparitions d’un mari décédé, porteur d’un T shirt Obama,  auprès de celle qui fut son épouse ! C’est bien pourtant ce qui arrive à Lucie, la policière, dont Slimane, ce mari, lui aussi policier, a récemment mis fin à ses jours à 55 ans.

L’amitié entre Lucie et ses voisins va commencer par sa rencontre avec Rose, la fillette du couple, puis avec Julia, la mère de Rose, puis, enfin avec Yann. Rose aime faire du patin à glace, Julia est professeur, Yann est peintre en plus d’être activiste. Dans un premier temps, pour se présenter, Julia va se dire fonctionnaire. Ce n’est que plus tard, bien après qu’elle même ait compris le type d’activités pratiquées par Yann, que Lucie va faire état de son activité professionnelle. C’est le moment choisi par Téchiné pour faire dire à Lucie la phrase qui, en quelque sorte, résume l’objet de son film : « On ne vit pas dans le même monde, mais on pourrait faire des efforts pour y arriver ». Des efforts, on peut presque regretter que le réalisateur se soit permis d’en accomplir de très importants de son côté, faisant en sorte que le monde de Lucie et celui de Yann et Julia soient certes différents mais pas totalement antagonistes. En effet, Lucie et Julia sont toutes deux fonctionnaires, Lucie est policière mais, étant dans la police technique et scientifique, elle n’est donc ni flic à matraque ni lanceuse de balles de défense et Yann insiste sur le fait que les dégâts faits par les Black blocs ne sont que des dégâts matériels très ciblés et qu’il ne faut pas les confondre avec les casseurs qui ne viennent que pour profiter de l’aubaine. Entre Lucie et Yann, Rose et Julia sont deux éléments qui, en quelque sorte, font office de tampons : on sent que Lucie, qui n’a jamais eu d’enfant, éprouve de l’affection pour Rose et Julia fait état de son amour pour Yann tout en ne cachant rien des problèmes que l’activisme de son mari lui ont causé : les parents qui leur ont tourné le dos, le fait qu’elle ait dû renoncer à l’agrégation pour pouvoir apporter rapidement un salaire dans le foyer, le fait que Rose ne puisse pas aller à l’école. « C’est pour son idéalisme que je l’ai aimé, c’est pour les mêmes raisons que j’ai envie de le quitter », avoue-t-elle à Lucie. Un gros problème, Yann va également en causer un à Lucie, la mettant face à un douloureux dilemme qui n’aura pas forcément une issue heureuse.

Dans son souci de prôner l’apaisement, André Téchiné insiste sur le fait que, en France, la police n’est pas constituée que d’éléments racistes : Slimane Mayumbe, celui qui était le mari de Lucie, était d’origine africaine, tout comme l’est Serge, son jumeau, qui lui occupe un poste élevé dans la hiérarchie policière. Par ailleurs, il aborde frontalement le problème du taux élevé de suicide chez les policiers, qu’il considère comme étant principalement dû au comportement de la hiérarchie qui ne prend pas suffisamment en compte  les problèmes des policiers vulnérables. Avec Les gens d’à côté, André Téchiné, réalisateur très éclectique, s’intéresse de nouveau à un sujet de société qu’il traite en introduisant une petite dose de fantastique dans une très grande dose de réalisme. 45 ans après Les soeurs Brontë, il retrouve une Isabelle Huppert au sommet de sa forme dans le rôle de Lucie et très bien entourée par Hafsia Herzi (Julia) et Nahuel Perez Biscayart (Yann). Concernant l’interprète du double rôle de Slimane et de Serge, on retrouve Moustapha Mbengue, qu’on avait apprécié dans Amin de Philippe Faucon et dans Les cinq diables de Léa Mysius. Par contre, On se permettra de regretter la trop grande présence d’une voix off qui rend le film plus littéraire que nécessaire.

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