Les Colons
CHI / ARG / FR 2024
Réalisateur: Felipe Galvez Haberle
Scénaristes: Felipe Galvez Haberle ; Antonia Girardi ; Mariano Llinas
Casting: Mark Stanley ; Camilo Arancibia; Benjamin Westfall
Distributeur: Dulac Distribution
Genre : Western
Durée : 1h40 min
Date de sortie (FR): 20 décembre 2023
5/5
Il est de ces films qui semblent avoir tellement intégré leur style et les représentations dans lesquelles ils s’inscrivent qu’un minimum suffit à les habiller. LOS COLONOS trouve ainsi son jeu dans l’imagerie du western, occasion d’une discussion remarquable avec le public. Le cadre du ciel blanc sur l’horizon infini de la plaine et la puissance de feu d’un scénario implacable donnent à cette histoire du Chili des origines, une puissance iconique phénoménale.
Synopsis : Terre de Feu, République du Chili, 1901. Un territoire immense, fertile, que l’aristocratie blanche cherche à « civiliser ». Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien, José Menéndez, pour déposséder les populations autochtones de leurs terres et ouvrir une route vers l’Atlantique. Sous les ordres du Lieutenant MacLennan, un soldat britannique, et d’un mercenaire américain, le jeune métis chilien, Segundo, découvre le prix de la construction d’une jeune nation, celui du sang et du mensonge…
Un long plan embrassant la plaine vallonnée, embrassant l’horizon. Saisissant un vide primordial, presque mythologique, nous découvrons le visage de Segundo s’épuisant à ériger une barrière entre rien et rien. Son regard nous guide un instant avant qu’on ne revienne à l’immensité de la plaine. Cette distance, troublée comme ça en un instant, comment la comprendre?
De grands titres bien visibles viennent habiller le ciel vide de la plaine, comme des chapitres qui vont guider le premier mouvement du film, la chevauchée du lieutenant MacLennan et de ces deux hommes de main, un yankee et notre Segundo.
La distance entre les hommes et la caméra va évoluer, surprendre, complexifier les relations et les rôles en ne cachant pas, par exemple, l’aspect artificiel des camps, cabanes et costumes des rencontres que la bande fera sur son chemin. Un dispositif presque théâtral en ce qu’il assume l’effet de manipulation du cinéma, la superficialité de la caméra. La magie évocatrice surgira d’un geste bien visible, minimal, sorte de coup de pinceau sur la toile blanche de la plaine. Par un curieux renversement de nos représentations, cette approche, si directe, va venir renforcer l’iconisation de l’univers. Le rouge de la veste du lieutenant, le coup de feu qui résonne longtemps, les bruits de mastication de la viande qui viennent se mêler au bois qui craque: une sorte de jeu d’enfant avec les images minimales du western ou plutôt de la chevauchée sauvage, pour laisser toute la place à la force d’un scénario qui questionne la cruauté des hommes et la rend lisible.
Dans un endroit où s’appliquent d’autres lois, où viennent se briser toute idéologie sur un quotidien mortifère, un drame originel se joue. La violence des échanges, les silences, l’horreur abjecte de ces hommes guidés par le désespoir saisissent nos mémoires spectatrices. C’est notre imagination qui va venir raconter cette histoire au-delà de ce qui nous est montré. La précision du geste nous active et c’est sans doute le sens des grandes oeuvres de fiction que de se faire le produit d’une collaboration, d’un pacte entre notre imaginaire propre et le cadre, la toile peinte devant nous.
Dans son dernier mouvement, retirant encore plus de spectaculaire, Felipe Galvez Haberle sait qu’il a réussi son effet et se sent la liberté de parachever, le temps d’une glaçante tasse de thé, un grand film politique.
Conclusion
Les Colons réussit à créer une esthétique qui n’a pour limites que celles de votre imagination Certains y verront quelque chose de mystique rappelant la folie des films de Jodorowski, d’autres la réécriture minimale d’un western. Toutes les interprétations semblent arriver à la même conclusion: un écrin fascinant qui ouvre la porte d’un scénario implacable, mature et bouleversant sur l’histoire du Chili. Un grand film!
