Les Algues vertes
France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Pierre Jolivet
Scénario : Pierre Jolivet et Inès Léraud, d’après le livre d’Inès Léraud et Pierre Van Hove
Acteurs : Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier
Distributeur : Haut et Court Distribution
Genre : Thriller médiatique
Durée : 1h48
Date de sortie : 12 juillet 2023
3/5
Les scandales autour des crimes contre l’environnement sont si nombreux, qu’on risque parfois d’en perdre le fil. Pas un mois ne passe sans que de vaillants journalistes d’investigation ne découvrent le genre de méfait écologique, susceptible de mettre en émoi tout notre cher entourage éco-responsable. Est-ce que ces mises en garde éveillent les esprits ou, mieux encore, contribuent-elles à réellement faire changer les choses et le monde ? Le doute est permis. Il n’empêche que sans ce travail de longue haleine, le faux sentiment d’impunité ferait encore davantage de ravages dans notre faune et notre flore si précieuses. Car on a beau être tenté de considérer que le temps de l’action est passé, qu’on ne fera désormais plus que subir le cataclysme écologique causé par des décennies, voire des siècles d’inaction, un film comme Les Algues vertes pourrait néanmoins nous donner un peu d’espoir.
Pourtant, Pierre Jolivet ne s’emploie guère à y rendre le combat de son personnage principal excessivement héroïque. Au contraire, ses frustrations et les refus de coopération que la journaliste essuie sont au moins aussi nombreux au cours du récit que ses petites victoires, remportées en dépit de nombreux contretemps. En somme, si vous vous attendez à un thriller médiatique à l’américaine, avec une tension dramatique permanente et des coups de théâtre en plein milieu de la nuit, vous risquerez d’être sérieusement déçus. C’est surtout le quotidien rarement spectaculaire de cette enquêtrice obsédée par son sujet qui prédomine ici, au détriment d’une quelconque emphase affective. Or, la sobriété comme maître-mot ne fonctionne que jusqu’à un certain point dans cette histoire, qu’on aurait peut-être aimée un peu moins imprégnée du flegme breton et du souffle long des instances judiciaires françaises.
Synopsis : En 2014, la journaliste de radio indépendante Inès Léraud reçoit de manière anonyme des informations sur des ravages environnementaux en Bretagne en raison de la prolifération des algues vertes. Elle décide alors de s’y installer avec sa copine, afin de relayer au fil de ses chroniques bretonnes à la fois son vécu sur place, ainsi que l’avancement de son enquête de fond. Alors que les militants contre les engrais agricoles sont prêts à se succéder devant son micro, les paysans et autres dignitaires locaux voient d’un mauvais œil cette ingérence extérieure dans une région, qui vit largement de l’industrie agro-alimentaire.
La vérité, rien que la vérité
Prêcher aux convaincus, cela a depuis toujours été le piège majeur du cinéma militant. Cette tentation est d’autant plus importante dans une société comme la nôtre, où les clivages entre différentes opinions et couleurs politiques s’accentuent de plus en plus. En ce sens, il est à craindre que Les Algues vertes ait au mieux un impact relatif pour faire changer d’avis quelques spectateurs isolés. Pour l’essentiel, le scénario s’intéresse à l’acharnement sans faille d’une femme, convaincue de la cause qu’elle défend et prête à en découdre avec quiconque se mettra en travers de son chemin.
Campée par une Céline Sallette toujours autant attachée aux films à la conscience sociale intacte, cette journaliste sans peur se distingue par sa pugnacité, quitte à trouver des aspects positifs même dans les situations les plus périlleuses. Sans la moindre complaisance – pas facile lorsque la principale intéressée a participé activement à l’écriture du scénario –, elle est décrite comme une fanatique du dialogue et de l’écoute.
Ce qui ne veut pas dire qu’elle reste impartiale dans l’étude de ce cas hélas symptomatique de la façon dont la guerre économique se joue sur le dos de l’environnement. En toute circonstance, Inès Léraud cherche la confrontation. Sa méthode ne consiste guère à la provoquer, mais plutôt à se rappeler sans cesse au bon ou au mauvais souvenir de ses interlocuteurs potentiels. Ainsi, elle a certes choisi son camp, du côté des victimes, quoi d’autre, mais elle garde en même temps la porte ouverte afin de donner la parole, aussi biaisée soit-elle, à ceux et celles qui défendent une vision du monde différente de la sienne. Bref, la véritable entreprise d’idéalisation du film se joue à ce niveau-là, dans le mérite accordé au travail exemplaire de sa protagoniste, au lieu de se focaliser sur les enjeux sentimentaux et sociaux de cette sinistre affaire.
Vase locale et enjeux mondiaux
Par sa structure narrative et par son ton, Les Algues vertes se refuse en effet à tout écart sensationnel. De temps en temps, il y a de fausses pistes d’intimidation, histoire de souligner le danger auquel notre vaillante héroïne est exposée. Mais sinon, on croirait presque assister à un cours magistral – et assez plaisant d’un point de vue cinématographique – sur l’éthique de travail de la profession journalistique. Les dispositifs dramatiques s’y suivent et se ressemblent, sauf quand l’opposition d’opinion devra se décharger en des coups de gueule corsés et autres menaces physiques nullement voilées. C’est seulement à ces rares moments-là que le personnage principal abandonne son rôle d’observateur investi pour endosser celui, plus accessible et à fleur de peau, d’individu soit terrifié, soit indigné.
Parmi tous ces bons sentiments exprimés à travers un savoir-faire filmique convenable, il existe tout de même un personnage au profil plus imprévisible et donc fascinant. Ce n’est pas Adrien Jolivet, qui continue la collaboration étroite avec son père en signant également la musique ici, mais que l’on aimerait voir plus longtemps que dans deux brèves séquences. Ni Jonathan Lambert en fonctionnaire parfaitement conscient de la duplicité que sa fonction de plus en plus prestigieuse implique. Non, en quelque sorte le double tourmenté et passablement incertain du rouleau compresseur Inès Léraud, c’est le personnage que Julie Ferrier interprète avec une belle sobriété, parfaitement en accord avec celle de la forme du film.
Et si être une victime, prête à se faire broyer dans les rouages d’une machine monstrueuse était cela : patauger dans le doute permanent, sans savoir à quel saint se vouer, ni à qui faire confiance pour défendre dignement ses propres intérêts modestes ?
Conclusion
Chaque fois que la pression devient trop forte ou que l’occasion se présente, tout simplement, le personnage principal des Algues vertes va piquer une tête dans les eaux sans doute plus si pures de l’océan. Ce mouvement de fuite en avant vers une nature idéale et préservée, le dix-huitième long-métrage de Pierre Jolivet le prône avec autant de conviction que de recul. Il en résulte un film à échelle humaine, c’est-à-dire très loin du manichéisme dont le cinéma hollywoodien raffole, mais également un peu trop proche des petits tracas de la vie pour nous convaincre à la hauteur de son message environnemental. De multiples fausses pistes d’un étau hypothétique qui serait en train de se resserrer autour de la vénérable lanceuse d’alerte font le reste pour rendre la vision du film tout juste convaincante.