Le vénérable W.
France, Suisse : 2016
Titre original : –
Réalisation : Barbet Schroeder
Distribution : Les films du losange
Durée : 1h40
Genre : documentaire
Date de sortie : 7 juin 2017
4/5
Pour la plupart des cinéphiles, le nom de Barbet Schroeder évoque irrémédiablement le film More, film sorti en 1969, en pleine période hippie, et dont la bande sonore, œuvre des Pink Floyd, est une des plus connues de l’histoire du cinéma. En fait, ce réalisateur, donné comme suisse, français et iranien selon les sources, a à son actif une filmographie longue comme le bras, dont un certain nombre de documentaires. Présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2017, Le vénérable W. est un de ces documentaires et c’est le troisième volet, après Général Idi Amin Dada : Autoportrait (1974) et L’avocat de la terreur (2007), consacré à Jacques Vergès, d’une trilogie que Schroeder lui-même qualifie de « Trilogie du mal ».
Synopsis : En Birmanie, le « Vénérable W. » est un moine bouddhiste très influent. Partir à sa rencontre, c’est se retrouver au cœur du racisme quotidien, et observer comment l’islamophobie et le discours haineux se transforment en violence et en destruction. Pourtant nous sommes dans un pays où 90% de la population est bouddhiste, religion fondée sur un mode de vie pacifique, tolérant et non-violent.
Les bouddhistes face aux musulmans en Birmanie
En Birmanie, pays dont près de 90 % de la population est bouddhiste et seulement moins de 4 % pratique la religion islamiste, une minorité de moines bouddhistes, le plus souvent issus de l’ethnie bamar, fait vivre un véritable enfer aux musulmans vivant dans ce pays : politiques discriminatoires, assassinats, destructions de villages et de mosquées. Pour ces intégristes dont les thèses s’apparentent, dans le contexte birman, à celles du « grand remplacement » cher à Renaud Camus et Eric Zemmour, les Rohingyas, ces musulmans vivant principalement dans le nord de l’état d’Arakan, ne sont pas de véritables birmans. Pour eux, ce sont des bengalais qu’il faut chasser du pays d’une façon ou d’une autre, et le terme utilisé pour les insulter est celui de « kalar », un terme péjoratif désignant les hommes à la peau noire. Pour eux, ces musulmans utiliseraient les viols, les conversions forcées et les kidnappings pour renverser le rapport de force en leur faveur. Pour l’ONU, les Rohingyas représentent la « minorité la plus persécutée au monde ».
Vénéré mais loin d’être vénérable !
« La haine est certainement le plus durable des plaisirs : on se presse d’aimer, on se déteste à loisir ». C’est par cette citation de Lord Byron que s’ouvre Le vénérable W.. Ce « vénérable W. », c’est U Wirathu, un moine bouddhiste de 48 ans, membre influent du mouvement d’extrême-droite Ma Ba Tha (Comité pour la protection de la race et de la religion), leader du mouvement islamophobe 969, un homme qui, depuis des années, attise les haines entre les communautés dans un pays qui s’ouvre très timidement à la démocratie et qui voit la Prix Nobel Aung San Suu Kyi devoir faire de nombreuses concessions à une armée toujours très puissante. En 2003, Wirathu a été condamné à 25 ans de prison pour incitation à la haine et au conflit religieux. Il a été libéré en janvier 2012, lors d’une amnistie générale. Depuis cette libération, ce moine appelle au boycott des magasins musulmans partout où il va, il s’est félicité de l’élection de Donald Trump et nul doute qu’il se serait réjoui de voir Marine Le Pen arriver à l’Elysée. Ce moine, Barbet Schroder a réussi à le rencontrer et, de cette rencontre, est né un film qui fait froid dans le dos tout en ayant le mérite de renverser des jugements bourrés d’a priori, du genre bouddhiste = gentil et musulman = méchant en puissance.
Eh bien non, les moines bouddhistes qui représentent 30 % de la population d’une ville comme Mandalay et qui vivent en parasites, nourris par la population, ne sont pas tous des êtres pacifiques et pleins d’amour pour leur prochain. Certains d’entre eux se comportent en véritables criminels ! Toutefois, loin de chercher à mettre tous les bouddhistes dans un même panier de linge sale, Barbet Schroder a également rencontré deux moines bouddhistes idéologiquement opposés à Wirathu et il ne manque pas d’évoquer le Metta Sutta, Sutta de la bonté bienveillante, un texte bouddhiste qui prône la paix : « Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être si peu que ce soit. Que nul, par colère ou par haine, ne souhaite du mal à un autre ». Comme le disait Martin Luther King, « La haine ne peut pas chasser la haine. Seul l’amour peut le faire ». D’ailleurs, depuis la fin du montage de Le vénérable W., le 1er janvier 2017, les choses ont évolué en Birmanie : le 10 mars dernier, le conseil des grands maîtres bouddhistes du pays a interdit à Wirathu de «se livrer à des sermons à travers la Birmanie jusqu’au 9 mars 2018» car il a «multiplié les discours de haine contre les religions afin de provoquer des conflits locaux et entraver les efforts pour maintenir l’Etat de droit». Plus récemment, des dizaines d’internautes birmans ont été exclus de Facebook ces derniers jours pour avoir utilisé le terme injurieux de « kalar ». Enfin, le 23 mai, soit 3 jours après la projection cannoise de Le vénérable W., le clergé bouddhiste birman a dissous l’organisation Ma Ba Tha, … laquelle s’est empressée de renaître 5 jours plus tard sous l’appellation Fondation philanthropique Bouddha Dhamma. Affaire à suivre !
Un tournage difficile
La réalisation de Le vénérable W. n’a pas été une partie de plaisir pour Barbet Schroeder et son équipe. Certes, dans le film, le très content de lui Wirathu donne l’impression d’être très heureux qu’on s’intéresse à lui et à ses thèses même s’il n’est pas certain du tout que la vision du film lui apporte in fine une satisfaction intense. En fait, venue avec des visas de touriste, l’équipe a pu approcher Wirathu et commencer son travail jusqu’au moment où les militaires se sont mis à constituer un dossier avec des photos des tournages clandestins dans un certain nombre d’endroits musulmans et répertoriant toutes les visites à Wirathu, d’où un départ in extremis du pays. Ensuite, c’est l’environnement de Aung San Suu Kyi qui a interdit à l’équipe de retourner en Birmanie pour réaliser la deuxième étape du tournage. C’est donc en Thaïlande que le tournage a été terminé, avec la venue dans ce pays d’un certain nombre d’intervenants dont la parole était nécessaire pour l’équilibrage du film.
Malgré ces anicroches, le résultat final s’avère remarquable. Avec beaucoup d’intelligence, Barbet Schroeder a mélangé les images tournées avec Wirathu, telles celles où l’on voit un troupeau bêlant reprenant comme un seul homme ses diatribes haineuses, avec des images provenant de tournages amateurs et montrant les exactions commises à l’encontre des musulmans. Tout au long du film, des intervenants comme le dirigeant de l’association Fortify Rights Matthew Smith, apportent leur éclairage sur Wirathu et la situation en Birmanie. Quant à la voix très douce et très calme qui ponctue régulièrement le film de paroles allant dans le sens d’un bouddhisme tolérant et apaisé, c’est celle de Bulle Ogier, l’épouse du réalisateur.
Conclusion
Malgré les difficultés rencontrées par Barbet Schroeder pour filmer Le vénérable W., ce documentaire s’avère remarquable et particulièrement passionnant. En plus, la coïncidence des dates amène à se poser la question suivante : ce film qui a été présenté à Cannes le 20 mai dernier, a-t-il eu une influence sur la décision prise le 23 mai par le clergé bouddhiste birman de dissoudre l’organisation Ma Ba Tha ?