Critique : Le Sang à la tête

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Le Sang à la tête

France, 1956

Titre original : –

Réalisateur : Gilles Grangier

Scénario : Michel Audiard & Gilles Grangier, d’après un roman de Georges Simenon

Acteurs : Jean Gabin, Paul Frankeur, Renée Faure et Monique Mélinand

Distributeur : Pathé Distribution

Genre : Drame

Durée : 1h26

Date de sortie : 10 août 1956

3/5

Au plus tard au milieu des années 1950, Jean Gabin était devenu la figure paternelle à la fois par excellence et par défaut du cinéma français. Ses rôles ne variaient alors plus tellement jusqu’à la fin de son illustre carrière, vingt ans plus tard. Il avait acquis en quelque sorte les droits exclusifs de personnages un peu ronchons, jamais à une réplique assassine ou à un coup de poing détonnant près, quoique animés par une sagesse et une bienveillance jamais démenties. Le créateur associé de ce patriarche en apparence calme, mais au tempérament volcanique, c’était Michel Audiard. A l’occasion du centenaire du plus célèbre des scénaristes et dialoguistes du cinéma français, le Festival Lumière à Lyon vient de lui consacrer une rétrospective en une quinzaine de films. La plupart d’entre eux seront repris à Paris dans les jours à venir, histoire de se rappeler à quel point l’immense majorité des répliques de Audiard faisait mouche. Surtout quand elles étaient énoncées par le timbre grave et désabusé de Gabin !

L’adaptation d’un roman de Georges Simenon, Le Sang à la tête figure parmi les premières collaborations entre l’acteur et son scénariste de génie. Il faudra d’abord s’y armer de patience, puisque la mise en scène doucement efficace de Gilles Grangier s’applique à camper le décor autour du protagoniste, un magnat de la pêche qui impressionne les uns et fait trembler de jalousie les autres. Mais une fois que ses origines populaires ont refait surface, en dessous des habits soignés d’un homme de la haute société de province, Jean Gabin ne se prive pas d’incarner pleinement ce grand ambitieux social au faible romantique. Rien de terriblement original, en somme, mais l’un de ces films de qualité, grâce auxquels le cinéma français savait faire recette à cette époque-là.

© 1956 Les Films Fernand Rivers / Pathé Distribution Tous droits réservés

Synopsis : François Cardinaud est l’un des hommes les plus influents de La Rochelle. Il est le propriétaire d’une importante flotte de bateaux de pêche et aucun lot ne lui résiste lors des ventes à la criée matinales. Son ascension sociale, il pense la partager pleinement avec son épouse Marthe et leurs deux enfants. Mais un dimanche, sa femme ne rentre pas à la maison. Cardinaud finit par s’inquiéter. Il consulte ses proches et ses contacts professionnels, afin de savoir où elle a bien pu passer.

© 1956 Les Films Fernand Rivers / Pathé Distribution Tous droits réservés

Exactitude et exécration

Tout paraît aller pour le mieux dans le microcosme très bourgeois du personnage principal de Le Sang à la tête. Pendant sa tournée dominicale, c’est la routine des grands propriétaires qui prévaut, selon la succession imperturbable des ordres donnés au personnel pour le repas de midi, de la visite de la messe et du passage rapide au bistrot. A chaque étape de ce parcours de représentation, les gens se font presque un devoir de saluer, voire de solliciter ce nabab local. Celui-ci se prête volontairement au jeu, conscient de sa position dominante dans un monde dont il connaît les moindres rouages et tous les participants. Or, c’est également un univers fermé sur lui-même, qui fait preuve de snobisme social à son égard, depuis les bas-fonds qui lui envient sa réussite, jusqu’à l’aristocratie de province, guère dupe des bonnes manières de ce parvenu.

Puis, ce beau mécanisme se dérègle. Et tant mieux, puisque la valeur de commentaire social de ce type de production française – attachée malgré les apparences au maintien du statu quo – était assez limitée dans ces années ’50, profondément endormies d’un point de vue moral jusqu’aux bouleversements à venir de la décennie suivante. Car il manque la pièce du puzzle susceptible de rendre parfaite l’impression de quiétude consensuelle dans l’empire Cardinaud. Pendant les premières minutes du film, l’absence de madame paraît anecdotique. Tout le monde a en effet l’air de pouvoir se passer de sa présence. Les gouvernantes s’adaptent à une vitesse remarquable aux changements de couverts pour les repas. Son fils rêve avant tout d’aller s’échapper au cinéma pour y voir un Mickey (bonjour la publicité larvée, déjà à l’œuvre à ce moment-là !). Et même son mari met un certain temps, avant de se rendre compte qu’elle a découché.

© 1956 Les Films Fernand Rivers / Pathé Distribution Tous droits réservés

Le bonheur se paie comptant

Commence alors une longue litanie de l’humiliation publique. On sent effectivement bien la plume acerbe de Simenon dans ce démontage systématique du paradis aux pieds d’argile d’une fortune matérielle. Au fur et à mesure que Cardinaud se renseigne sur sa femme, il est mis face à son propre reflet par voie de tergiversations sociales. Les personnes qu’il va voir à ce sujet ne sont plus du tout celles qui soutiennent tant soit peu son rang dans la communauté rochelaise. Ce sont au contraire les fantômes d’un passé guère glorieux : ses parents à qui il ne rend plus visite depuis longtemps, ses beaux-parents qui vivent minablement à ses crochets et qu’il évite par conséquent comme la peste et, pire encore, les membres d’une classe sociale de laquelle il croyait s’être affranchi, grâce à sa détermination d’emprunter l’ascenseur vers la richesse.

En devenant nostalgique malgré lui, le personnage principal accède toutefois à une sagesse viscérale insoupçonnée. Avec son budget illimité comme précieux appui, il revient à sa façon de faire d’antan, à savoir employer les grands moyens sans se soucier de sa réputation de notable. L’interprétation de Gabin tient alors admirablement compte du délicat équilibre que son personnage doit garder. Même en se sachant cocu, il maintient coûte que coûte le cap de retrouver sa femme. Moins pour la corriger ou pour infliger à son amant une sévère punition, mais afin de tirer au clair un malaise conjugal dont il ne se doutait point.

Il s’agit donc d’un très beau rôle sur mesure pour le monument du cinéma français, qui risque plus qu’une fois de s’imposer trop. Il le fait au détriment de ses partenaires à l’écran, globalement bien choisis, mais eux aussi profondément impressionnés par l’allure si seigneuriale de Gabin.

© 1956 Les Films Fernand Rivers / Pathé Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Les grands rôles mythiques de Jean Gabin se situent pour l’essentiel avant la guerre. Après son retour en France, il s’était davantage cantonné à un type de rôle unique. Le Sang à la tête en est un exemple plus que solide. Il y campe le personnage emblématique du roi de la cité, qui doit traverser une longue mise à l’épreuve, avant de retrouver un semblant de nouvelle normalité. Comme dans la plupart des films de Gilles Grangier, rien de transcendant en termes cinématographiques n’est à signaler ici. Gabin y brille pourtant avec son habituelle intensité sourde dans un rôle en or.

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