Critique : Le Royaume (Deuxième avis)

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Le Royaume

FR – 2024
Réalisateur: Julien Colonna
Scénariste: Julien Colonna ; Jeanne Herry
Casting: Ghjuvanna Benedetti ; Saveriu Santucci
Distributeur: Ad Vitam
Genre : Drame, Thriller
Durée : 1h50 min
Date de sortie : 13 novembre 2024

4/5

Il ne faut pas réduire LE ROYAUME, premier long-métrage de Julien Colonna, à l’idée sensationnaliste que son réalisateur, de par son héritage familial, nous offre un docu-vérité sur le “problème corse” des années 90. Au-delà de son cadre fascinant, c’est à travers le rythme impitoyable de la mise en scène et de son scénario que le film évite, par une habileté d’équilibriste, les pièges et tropes d’un genre ultra codifié.

Synopsis : Corse, 1995. Lesia vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, se comprendre et s’aimer…

Pas de surprise de voir Jeanne Herry, la réalisatrice de “Je verrais toujours vos visages” partager l’écriture de ce récit à la fois drame familial, intrigue d’apprentissage et thriller de violence. Ce long métrage tourné en Corse, interprété par des acteurs insulaires dont le non-professionnalisme est à imputer, selon son réalisateur, à la tranche d’âge particulièrement difficile à caster, n’a pas la prétention de nous dire quelque chose sur le cycle pervers de la vengeance. Plutôt, il s’agirait de réussir à décaler l’imagerie du gangster, à travers la relation entre un père en planque et une jeune fille écartée. Des personnages décalés donc qui devront apprendre à “se synchroniser” pour établir un dialogue intime réel qui dépasserait les petits rituels familiaux. C’est qu’il paraît inaccessible, dans les yeux de Lesia, ce grand patriarche au regard millénaire.

La première belle idée de narration est de mettre en parallèle le besoin d’attention de Lesia avec la vie de son père “en planque”, toujours furtif, ne se révélant à peine dans des moments volés, organisés, feignant l’unité familiale de deux êtres qui sont en fait presque des étrangers. Colonna va filmer proche des corps, en étouffant un peu l’espace, quitte à sacrifier de la complexité à l’efficacité.

Ainsi, je pourrais regretter peut-être que dans son premier acte, le portrait de Lesia nous est brossé un peu vite. Reste que cette urgence nourrit certainement celle des personnages, pressés de quitter un refuge pour un autre, dans une interminable traque. La télévision, oracle sévère, vient nous présenter les photos de ceux qui ont été criblés de balles alors que la veille encore, ils riaient dans la pièce d’à côté.

L’idée peut paraître simple mais elle a fait ses preuves, l’intrigue d’apprentissage se déroule finalement sans grandes surprises. Ce qui fait toute la différence et la particularité de ce royaume, c’est que celui du père est fait de silence et que Lesia a envie de poser des questions. Il faudra d’abord apprendre à se taire et quand parler. Par un renversement permis par la crédibilité des comédiens, le long silence de l’exposition laisse finalement la parole émerger dans le dernier tiers du film. Comme si l’on voulait d’abord nous débarrasser de nos habitudes de spectateurs pour pouvoir nous aussi nous accepter dans la famille.

Avec sa finesse et sa bluffante direction d’acteurs, je pressens que le Royaume tiendra dans le temps sa singularité dans la masse des films de violence avec une idée aussi simple que universelle: devenir un membre de ce monde de vengeance, pour Lesia, c’est apprendre une nouvelle langue.

Le récit ne se conclut pas dans la surprise; l’on a assez fréquenté la vengeance pour ne pas être dupes de ses conséquences. Plutôt, un travail de rythme d’une grande précision pour nous faire ressentir tout l’impact du tragique, né dans le manque, dans le secret, plutôt que dans le spectacle graphique, finalement rare dans le film.

Conclusion

C’est une chose de réussir à l’écran le défi d’un bon scénario. pour moi,LE ROYAUME va même un pas plus loin, impressionnant par sa capacité à réinventer des figures de gangsters pourtant épuisées jusqu’à la corde, en les débarrassant d’un peu de leur gloire romantique. C’est un premier long-métrage implacable et de beaux personnages de violence qui viennent  clôturer 2024, grande année pour le cinéma français.

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