Critique : le quatrième mur

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Le quatrième mur

France, Luxembourg, Belgique : 2024
Titre original : –
Réalisation : David Oelhoffen
Scénario : David Oelhoffen, Catherine Stragand, d’après le roman de Sorj Chalandon
Interprètes : Laurent Lafitte, Simon Abkarian, Manal Issa
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h56
Genre : Drame
Date de sortie : 15 janvier 2025

4/5

Sorti en août 2013, Le quatrième mur, roman écrit par l’écrivain et journaliste au Canard Enchaîné Sorj Chalandon, faisait partie des livres retenus pour le Prix Goncourt 2013, finalement attribué le 4 novembre à Pierre Lemaitre pour « Au revoir là-haut ». Le 14 novembre 2013, il a obtenu le Prix Goncourt des lycéens. Ce roman est inspiré de la vie de son auteur qui fut très longtemps reporter de guerre et, tout particulièrement au Liban, entre 1981 et 1987. Après s’être intéressé au déclenchement de la Guerre d’Algérie dans Loin des hommes et à l’assaut de l’armée japonaise contre les troupes françaises en mars 1945   dans Les Derniers Hommes, le réalisateur David Oelhoffen se confronte de nouveau à un conflit historique, avec pour objectif de montrer tout à la fois l’impact positif que l’art peut avoir sur le monde et les limites de son pouvoir. 

Synopsis : Liban, 1982. Pour respecter la promesse faite à un vieil ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène Antigone afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. Les personnages seront interprétés par des acteurs venant des différents camps politiques et religieux. Perdu dans une ville et un conflit qu’il ne connaît pas, Georges est guidé par Marwan. Mais la reprise des combats remet bientôt tout en question, et Georges, qui tombe amoureux d’Imane, va devoir faire face à la réalité de la guerre.

Beyrouth, 1982

Si Georges se retrouve à Beyrouth en 1982, c’est surtout par amitié pour Sam Akounis. En effet, ce dernier, un pacifiste grec, un juif dont toute  la famille a péri à Birkenau et qui s’est réfugié à Paris à l’époque de la dictature des colonels, lui a demandé de le remplacer dans cette ville pour mettre en scène la pièce de théâtre « Antigone » écrite par Jean Anouilh durant la seconde guerre mondiale. Sam est très malade, il sait que le cancer qui le ronge ne lui laisse plus qu’un temps limité à vivre, mais il a ce projet qui lui tient particulièrement à cœur : donner une représentation de cette pièce au théâtre Beaufort,  situé en plein sur la ligne de démarcation au cœur de Beyrouth alors que le Liban est déchiré par la guerre civile, l’ensemble des interprètes venant des diverses communautés qui peuplent ce pays : Imane, l’interprète d’Antigone est palestinienne et sunnite, l’interprète de Hémon sera druze, celui de Créon un chrétien maronite, Eurydice, femme de Créon et mère de Hemon, étant elle interprétée par une femme de la communauté chiite, etc. Quant à Georges, il sera « le chœur », il portera la kippa que Sam lui a donnée pour figurer le juif.

En fait, Sam a déjà tout organisé : accord des communautés, autorisations de circulation, distribution de la pièce, subventions. Pour que ce rêve de paix et de fraternité puisse devenir réalité, pour que ce témoignage de bonne volonté de la part des communautés puisse se dérouler, il ne reste plus qu’à procéder à des répétitions qui se dérouleront dans un lieu moins dangereux que le théâtre Beaufort et à profiter d’une courte trêve qui a été négociée et qui permettra à l’unique représentation de se dérouler sans anicroche dans ce beau théâtre qui a déjà beaucoup souffert de la guerre civile. Ce « il ne reste plus qu’à », c’est la tâche que Sam a confiée à Georges. Concernant ce dernier, c’est la première fois qu’il met les pieds au Liban, il ne sait pas grand chose de ce qui s’y passe, on sent juste qu’il a de la sympathie pour la situation des palestiniens. Comme il le dit lui-même, il est là pour la paix et non pour la guerre. Pour cornaquer Georges lors de son séjour à Beyrouth, Sam a prévu la participation de Marwan, un membre de la communauté arménienne dont le fils fait d’ailleurs partie de la distribution de la pièce. Contrairement à Georges, Sam connait parfaitement Beyrouth et il sait ce qui s’y passe. Il est là pour être fidèle à son amitié avec Sam mais il ne croit pas à ce projet utopique qui, pour lui, relève de la bonne conscience des occidentaux. 

La métamorphose d’un homme

Comme cela se fait de plus en plus souvent dans le cinéma contemporain, Le quatrième mur commence par le début de la scène finale (on est alors en 1983), une scène qui se prolongera donc à la toute fin du film. Entre temps, on aura suivi tout ce que va vivre Georges durant son séjour à Beyrouth : les dangers de la circulation automobile, la voiture que conduit Marwan essuyant régulièrement des coups de feu venant d’un camp ou d’un autre ; les répétitions qui se passeraient bien si des membres extérieurs à la distribution mais de grande influence dans leur communauté ne venaient pas lancer des interdits pour des motifs culturels ou religieux, obligeant Georges à se métamorphoser en contorsionniste des idées afin de ne pas perdre une communauté dans la distribution de la pièce ; les répétitions qui se passeraient bien si le lieu où elles se déroulent n’était pas bombardé ; les liens amoureux qui se tissent entre lui et Imane, l’interprète palestinienne d’Antigone ; l’invasion du Liban par Israël à partir du 6 juin 1982, avec l’appui des milices chrétiennes des phalangistes ; les massacres perpétrés envers des Palestiniens du quartier de Sabra et du camp de réfugiés palestiniens de Chatila ; etc.

Terme venant du théâtre, le quatrième mur est le mur imaginaire qui sépare la scène du public, un mur parfois franchi par les acteurs lorsqu’ils s’adressent au public. Dans le film, Georges comprend petit à petit que, dans sa mise en scène d’Antigone, le franchissement se fait dans l’autre sens avec la dure réalité libanaise qui, progressivement, investit la scène et, sans trop s’en rendre compte, Georges se métamorphose au contact d’une situation qui le dépasse, sans véritable espoir d’un retour à sa vie d’antan.

Une excellente distribution

Le roman de Sorj Chalandon voyant Georges, son personnage principal, se transformer en héros d’une tragédie, ne pouvait qu’intéresser les troupes de théâtre et il a été l’objet de nombreuses adaptations scéniques. Par contre, le film de David Oelhoffen en est la première adaptation cinématographique. Le réalisateur a pris la décision de s’écarter du roman sur un certain nombre de points, comme le passé militant de Georges dont il n’est pas question dans le film, comme le fait d’oublier le personnage de la femme qui attend Georges à Paris et d’insister au contraire sur sa relation avec Imane.

Tourné au Luxembourg et au Liban, le film réunit une excellente distribution avec, en particulier, des interprètes libanais occupant les seconds rôles et la figuration. A juste titre, les quelques dialogues en arabe qu’on peut entendre ne sont pas sous-titrés en français, ce qui met les spectateurs dans la même situation que Georges. Le rôle de Georges a été interprété par Laurent Lafitte à peu près au moment où il a cessé d’être pensionnaire de la Comédie Française. David Oelhoffen ne pouvait pas trouver plus authentique dans le rôle de Marwan que Simon Abkarian : d’origine arménienne, ce comédien français a passé sa jeunesse au Liban ! Manal Issa, l’interprète de Imane, est franco-libanaise et … ingénieure de formation.

Conclusion

L’art est un outil important pour rapprocher les peuples, mais penser qu’on peut arriver à stopper une guerre féroce ne serait ce que pendant deux heures en présentant une pièce de théâtre sur la ligne de front relève de l’utopie, vous en conviendrez. D’un autre côté, faire état des dégâts causés sur les peuples par les obscurantismes religieux ainsi que de ceux causés sur les individus lorsqu’ils se retrouvent impliqués dans une guerre a toutes les chances d’avoir un parfum de vérité. Avec l’appui d’excellents interprètes, l’exploitation que fait David Oelhoffen de cette utopie et de ces vérités s’avère très convaincante et passionnante.

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