Critique : Le Procès Goldman

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Le Procès Goldman

France : 2023
Titre original : –
Réalisation : Cédric Kahn
Scénario : Cédric Kahn, Nathalie Hertzberg
Interprètes : Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h55
Genre : Procès, Drame, Historique
Date de sortie : 27 septembre 2023

4/5

Passionné de cinéma dès son plus jeune âge, Cédric Kahn a quitté la Drome où il avait grandi pour « monter » à Paris dès l’obtention du baccalauréat. C’est en 1987, comme assistant du monteur Yann Dedet qui travaillait alors sur Sous le soleil de Satan, future Palme d’Or de Maurice Pialat, qu’il a commencé sa carrière dans le cinéma. Après un court métrage en 1990, Cédric Kahn a réalisé en 1991 son premier long métrage, Le bar des rails. Un peu plus de 30 ans plus tard, Cédric Kahn est une personnalité importante du cinéma français, en tant que réalisateur, bien sûr, mais aussi en tant que scénariste et interprète.  Le Procès Goldman, peut-être son film le plus abouti, a fait l’ouverture de la Quinzaine des Cinéastes lors du dernier Festival de Cannes. 

Synopsis : En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.

Pierre Goldman, vous connaissez ?

Dans notre pays, rares sont celles et ceux qui ne savent pas qui est Jean-Jacques Goldman. Il serait même, parait-il, la personnalité préférée des français et ce, depuis plusieurs années. Par contre, rares sont celles et ceux qui se souviennent de Pierre Goldman, le demi-frère de Jean-Jacques. Il eut pourtant une certaine notoriété au milieu des années 70 au moment où son demi-frère faisait tout juste ses premiers pas dans le show-business. Né à la fin de la 2ème guerre mondiale, Pierre Goldman était le fils d’un polonais et d’une polonaise issu.e.s de familles juives immigrées en France dans l’entre-deux-guerres et engagé.e.s tous les deux dans la Résistance. Une filiation écrasante qui va marquer Pierre Goldman durant toute sa vie. Intellectuel d’extrême-gauche, fasciné par ce qui se passait en Amérique latine, préférant le fusil au pavé, il avait fini par rejoindre le Venezuela en 1968, pays où il a passé un an et demi dans les maquis de la guérilla. A son retour en France, en octobre 1969, peut-être parce qu’il avait participé à un hold-up dans une banque lors de son séjour au Venezuela, il s’est lancé dans le banditisme. Arrêté le 8 avril 1970, il avouera assez vite avoir commis trois vols à main armée commis entre décembre 1969 et janvier 1970, dans une pharmacie du 13e arrondissement, dans un magasin de haute couture rue Tronchet  et contre un payeur de la caisse des allocations familiales. Par contre, il ne cessera de nier le fait d’avoir commis, le 19 décembre 1969, lors d’un cambriolage, le meurtre de Simone Delaunay et Jeanne Aubert, deux pharmaciennes d’une pharmacie du Boulevard Richard Lenoir. C’est en décembre 1974, dans la cour d’assises de Paris, que s’est déroulé le premier procès de Pierre Goldman. Malgré le soutien de nombreuses personnalités intellectuelles et artistiques, malgré l’absence de preuve incontestable, Pierre Goldman a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.  Ce jugement ayant été, un an plus tard, cassé par la Cour de Cassation du fait d’un vice de procédure très rarement accepté dans un tel contexte, un nouveau procès s’est déroulé à Amiens devant la cour d’assises de la Somme. C’est ce procès qui s’est déroulé de novembre 1975 à mai 1976 que nous raconte Cédric Kahn dans Le procès Goldman.


Un film d’une grande richesse 

C’est il y a 15 ans, par la lecture de « Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France » écrit en prison par Pierre Goldman, que Cédric Kahn a fait la découverte de celui qui allait devenir le personnage de son film. Il a vu en Pierre Goldman un personnage de cinéma, mais il a vite écarté l’idée d’un biopic : ce qu’il avait envie de retenir, c’était avant tout le second procès et l’acquittement de l’accusé. Ce film, le réalisateur l’a mûri pendant 15 ans. Dans sa réalisation, Cédric Kahn a décidé de ne pratiquement pas quitter la salle de tribunal, et, par les choix de mise en scène se traduisant en particulier par l’utilisation de 3 caméras tournant en permanence, par la part égale donnée à la défense et à l’accusation, par l’absence de musique et de flash-back, par le fait de tourner dans l’ordre chronologique du procès, Le Procès Goldman se rapproche beaucoup d’une captation en direct du véritable procès avec la volonté de mettre le spectateur dans la position d’un juré. En fait, des éléments du premier procès, d’autres provenant du livre que Goldman avait écrit en prison pour clamer son innocence et même certains éléments découverts après le second procès ont été utilisés dans son film mais la plaidoirie de Georges Kiejman, l’avocat de Goldman, et celle de l’avocat général, sont, parait-il, quasiment fidèles au mot près. Sécheresse d’un huis clos, absence de fioriture, mais énorme présence de deux immenses personnages aux origines identiques, tous les deux  juifs polonais, qui s’affrontent tout en jouant dans le même camp, Pierre Goldman, insolent et provocateur, juif insoumis, persuadé qu’il est accusé à cause de sa judéité, Georges Kiejman, juif intégré, jeune avocat à l’époque mais déjà très retors. D’un côté, un accusé qui a failli plusieurs fois récuser son avocat, de l’autre un avocat qui a du mal à supporter la tendance « suicidaire » d’un client dont le comportement souvent outrancier va à l’encontre de ce qu’il recherche par ses « pré-plaidoiries ».

Tout en ne sortant que très peu de la salle de tribunal, Le Procès Goldman est un film d’une grande richesse, un film qui nous transporte dans les combats politiques des années ayant suivi mai 68, avec la gauche intellectuelle qui a pris fait et cause pour l’accusé, un film qui nous parle du racisme et de l’antisémitisme, un film qui nous montre aussi combien rendre la justice est une tâche particulièrement difficile, d’autant plus lorsque l’accusation ne peut pas présenter de preuve irréfutable et que l’utilisation de méthodes policières très particulières lors de l’enquête peut assez facilement être démontrée et dénoncée par la défense. Par ailleurs, est-ce vraiment une surprise si ce film s’avère très contemporain sur certains points ? Par exemple sur le racisme dans la police, systémique pour Goldman, limité à des brebis galeuses pour Maître Kiejman. Par exemple lorsque Maître Garaud, l’avocat de la partie civile, se fait le défenseur de la vraie France face à l’intelligentsia parisienne d’extrême-gauche. On notera que deux des films les plus aboutis, les plus passionnants présentés à Cannes en mai dernier sont des films dans lesquels l’appareil judiciaire intervient de façon importante, Anatomie d’une chute, Palme d’Or, sur  une affaire fruit de l’imagination de ses deux scénaristes, Le Procès Goldman s’attaquant à une affaire authentique. Un « détail » en passant : un des scénaristes du premier, Arthur Harari, est un des deux interprètes principaux du second.

Une interprétation remarquable

Fidèle à son désir de faire une reconstitution du procès qui soit crédible, Cédric Kahn s’est interdit de faire appel à des acteurs connus pour son film. Mais alors, qui retenir ? Qui pour interpréter le rôle de Pierre Goldman, cet écorché vif avec son sens de la répartie cinglante mais pas toujours heureuse pour qui recherche un acquittement, cet « enfant de la Shoah » qui avait réussi à fasciner tout un peuple persuadé de son innocence concernant le meurtre des deux pharmaciennes ? Le réalisateur a choisi le comédien franco-belge Arieh Worthalter qu’on avait particulièrement apprécié dans le rôle du père dans Girl. Son interprétation est tellement exceptionnelle qu’on a l’impression que l’histoire se répète : comme en 1976, lors du vrai procès, avec le vrai Pierre Goldman, malgré ses outrances, ou peut-être à cause de ses outrances qui laissent à penser qu’il est totalement sincère, on a envie qu’il soit innocent. Qui pour interpréter le rôle de Georges Kiejman, ce jeune avocat dont l’expérience au pénal était alors très faible, qui est devenu ensuite un très grand pénaliste et qui est mort le 9 mai 2023, 8 jours avant la projection cannoise du film de Cédric Kahn ? Là aussi, un choix particulièrement emballant, celui de Arthur Harari, habitué à jouer dans tous les longs métrages réalisés par sa compagne Justine Triet, réalisateur de Diamant noir et, surtout, de Onoda – 10 000 nuits dans la jungle et coscénariste de Anatomie d’une chute, Palme d’Or 2023. A leurs côtés on retrouve des acteurs et actrices qu’on peut qualifier de « pas connus » mais qu’on « connaît » quand même, tels Stéphan Guérin-Tillié (Le Président), Nicolas Briançon (Maitre Garaud, avocat de la partie civile), Aurélien Chaussade (L’avocat général), Jeremy Lewin (Maître Chouraqui, autre avocat de Goldman) ou Laetitia Masson (l’experte psychiatre). Et puis, il y a la foule des figurants chargés d’interpréter les réactions du public et que Cédric Kahn a gérée d’une façon très particulière qui s’est avérée très efficace : il a partagé ces figurants en groupes, les « fans » de Goldman, les potes antillais, les victimes accablées et les partisans de la police, et n’a donné qu’une seule directive : vous suivez les débats et vous réagissez en fonction du groupe auquel vous appartenez ! Et nous, les spectateurs, que Cédric Kahn avait pour ambition d’en faire des jurés : heureusement, nous ne l’avons pas été vraiment car la tâche des vrais jurés à dû être très délicate !

Conclusion

En plus d’être un excellent film de procès, Le Procès Goldman nous transporte dans un passé récent et nous fait réfléchir sur ce qui, dans de nombreux domaines, a changé en bientôt 50 ans et ce qui est resté plus ou moins immuable. La grande qualité de ce film est due à part égale à son réalisateur et à ses interprètes.

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