Le Mélange des genres

France, 2024
Titre original : –
Réalisateur : Michel Leclerc
Scénario : Michel Leclerc et Baya Kasmi
Acteurs : Léa Drucker, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla et Julia Piaton
Distributeur : Le Pacte
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h43
Date de sortie : 16 avril 2025
3/5
Ces dernières années, les hommes ont eu la vie plus difficile que d’habitude. Grâce à la parole des femmes qui s’est libérée tant soit peu dans le sillage du mouvement #MeToo, les propos et les comportements les plus abjects du passé de la part des hommes n’ont plus droit de cité dans l’espace public vaguement plus éclairé. Une avancée sociale qui n’aurait pas dû s’arrêter en si bon chemin et qu’il convient désormais à défendre par tous les moyens, face aux forces obscurantistes qui s’élèvent hélas un peu partout dans le monde. Un des moyens – peut-être pas le plus efficace mais qui nous tient particulièrement à cœur – est évidemment le cinéma.
Ainsi, pour son huitième long-métrage, Michel Leclerc entreprend l’exercice périlleux de marcher sur des œufs dans un terrain miné. Une tâche d’utilité publique dont le réalisateur s’acquitte plus que convenablement à travers Le Mélange des genres. Avec de surcroît une dose considérable d’humour absurde, toujours le bienvenu en pareil contexte d’emblée envenimé.
La première qualité de ce film aussi imprévisible que la vie, c’est qu’il cherche à adopter à la fois le point de vue des femmes et des hommes. Cette double casquette idéologique est assurée au moins en partie par la scénariste et fidèle collaboratrice du réalisateur Baya Kasmi, dont le nouveau film Mikado, sorti dans les salles françaises une semaine plus tôt, risque de disputer à ce film-ci les spectateurs potentiels friands d’un cinéma français de qualité.
Car au lieu de colporter toujours les mêmes préjugés et la même répartition rigide des rôles dans la société, Le Mélange des genres s’amuse à brouiller les cartes et à faire des victimes tout désignées de ce rapport de force archaïque des héros aussi doux que calmement déterminés à ne pas se laisser faire. Heureusement, ce projet tout à fait louable, qui a pourtant parfois tendance à partir dans tous les sens, bénéficie d’une distribution en or, menée par Léa Drucker et Benjamin Lavernhe dans des rôles assez inhabituels.

Synopsis : Simone est un des piliers du mouvement féministe des Hardies qui défendent avec engagement la place des femmes à Dijon. Or, ce que les autres militantes ignorent, c’est que cette commissaire aux idées conservatrices a infiltré le collectif dans le cadre d’une enquête pour meurtre. En même temps, le comédien Paul vit en toute modestie dans l’ombre de sa femme, la vedette Charlotte. Il s’occupe de l’éducation de leurs deux enfants et se contente d’un rôle qui est à peine plus que de la figuration dans la pièce dans laquelle sa femme fait un triomphe tous les soirs. Les chemins de cette femme, la flic déterminée, voire têtue, et de cet homme, doux comme un agneau et fier de ses exploits artistiques limités, vont se croiser d’une manière lourde de conséquences, à la fois pour elle et pour lui.

La virilité déconstruite
Une fois de plus, on ne peut qu’être subjugué par la méthode Michel Leclerc. A savoir de traiter de sujets de l’actualité avec un mélange à peu près unique de sérieux et de décontraction qui force le respect, tout en constituant un divertissement de haut vol. Dans le cas du Mélange des genres, cette formule délicate se traduit par une intrigue proche de la satire un brin bordélique, qui dispose toutefois d’un regard suffisamment empathique sur ses personnages pour nous y faire adhérer pleinement, le sourire en coin.
En effet, il n’est pas si facile de déconstruire tout le bagage encombrant des stéréotypes de genre en moins de deux heures. Mais l’approche du réalisateur s’avère gagnante, grâce à la fois à sa finesse et à sa lucidité quant au temps incompressible qu’il faudra pour faire réellement évoluer les mœurs dans la tête des gens et dans les actes qui en découlent.
En collant de près à tous les coups et les contrecoups ayant rythmé depuis quelques années le mouvement #MeToo, le récit se fait la vitrine instructive de l’acte d’équilibriste que constitue à présent la moindre prise de parole à ce sujet. Ceci bien sûr en prenant position sans équivoque en faveur des femmes, sans oublier néanmoins les excès auxquels un militantisme aveugle peut mener.
Le soin apporté alors à la description du collectif féministe nous paraît des plus exemplaires. Il sait trouver un équilibre des plus justes entre le calcul du plus grand impact opéré par la meneuse interprétée par Judith Chemla et la force immédiate et à l’occasion destructrice portée par la nouvelle recrue sous les traits de Melha Bedia. De même, Julia Piaton comme l’épouse supposée cheffe de famille fait preuve de subtilités qui n’auraient pas eu leur place dans une farce au ton plus sommaire sur la nouvelle répartition des rôles dans le couple contemporain.

Des hommes démolis ?
Loin de nous l’idée de vouloir ériger Le Mélange des genres en exemple parfait du pamphlet cinématographique contre des siècles de domination masculine. Pour cela, son ton est en fin de compte beaucoup trop mesuré et sa structure un peu trop adepte de l’improvisation dramatique à tout prix. Ce qui n’empêche que Michel Leclerc y procède avec une certaine maestria à la décomposition des stéréotypes les plus encroûtés de l’homme dominant. D’ailleurs, les représentants de cette espèce en voie d’extinction y sont plutôt rares. Car même le mari et accessoirement supérieur hiérarchique de Simone – Vincent Elbaz dans le genre de rôle d’une maturité toute relative qui lui convient parfaitement depuis deux, trois ans – finit par être remis à la place qui aurait dû être la sienne depuis le début.
Non, là où ce film emprunte des chemins de la représentation masculine malheureusement encore trop obscurs dans le cinéma d’aujourd’hui, c’est du côté de Paul, l’antithèse réussie de tout ce qu’un homme, un vrai, était censé être pour les générations de nos aînés. Il savoure ses petites victoires, alors qu’aucun fumeur ne s’attarde plus sur les images chocs disposées sur chaque paquet de clopes. Il accepte parfaitement son rôle de père nullement autoritaire et de mari qui rentre chaque soir bien avant sa femme. Et, surtout, il n’affiche aucun signe manifeste de frustration ou de malaise par rapport à ce style de vie et cette idéologie existentielle atypiques.
Que ce rôle pour le moins ambigu ne vire pas en territoire glauque et déplaisant est entièrement à mettre sur le compte de Benjamin Lavernhe. L’acteur trouve là peut-être l’un de ses plus beaux rôles, dans une carrière qui n’en manque pas depuis quatre ans !

Conclusion
La chose la plus étonnante à nous arriver en allant voir Le Mélange des genres, c’est le plaisir et même la franche rigolade provoqués par son humour absurde, hélas bien trop rare dans le cinéma français actuel ! Derrière ces moments très joliment rocambolesques se cache pourtant une réflexion dépourvue d’œillères sur un sujet de société pour le moins brûlant. Michel Leclerc y a le bon goût et l’intelligence de prendre à bras le corps – avec une légèreté quasiment omniprésente et quelques parenthèses plus graves – la question épineuse du sexisme dans toute sa laideur, sans pour autant exclure de son propos le mal-être des hommes, en quête d’un nouvel idéal en harmonie avec son temps.
Le tout aidé parfaitement par une distribution sachant naviguer la vitesse soutenue en termes de retournement de l’intrigue qui fait du Mélange des genres un film si attrayant !