Allemagne, 2015
Titre original : Im Labyrinth des Schweigens
Réalisateur : Giulio Ricciarelli
Scénario : Giulio Ricciarelli, Elisabeth Bartel
Acteurs : Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht
Distribution : Sophie Dulac Distribution
Durée : 2h03
Genre : Drame historique
Date de sortie : 29 avril 2015
Note : 3,5/5
Ces dernières années, les longs métrages allemands qui ont franchi le Rhin étaient essentiellement des films historiques, les événements historiques du XXe siècle étant une source d’inspiration presque inépuisable pour les cinéastes tant ils ont imprégné le peuple allemand. C’est donc dans cette continuité que s’inscrit ce film de Giulio Ricciarelli. Après Goodbye Lenin !, La vie des autres et plus récemment Hanna Arendt, les attentes sont grandes, d’autant qu’un sujet comme celui de l’holocauste est toujours difficile à traiter. On redoute un sentimentalisme exacerbé et fade, on s’attend presque à regarder quelque chose que l’on a déjà vu, à entendre ce que l’on sait déjà.
Synopsis : Allemagne 1958 : un jeune procureur découvre des pièces essentielles permettant l’ouverture d’un procès contre d’anciens SS ayant servi à Auschwitz. Mais il doit faire face à de nombreuses hostilités dans cette Allemagne d’après-guerre. Déterminé, il fera tout pour que les allemands ne fuient pas leur passé.
Une mise en scène en discrétion
Auschwitz. Un souvenir douloureux ignoré de personne. Un sujet qui est devenu – le terme brûle les lèvres et on n’ose l’employer tant il donne la nausée – banal. Des monstruosités que l’on a tellement évoquées qu’elles en perdent presque de leur impact. Pour le renouveler sur grand écran, l’on s’attend naturellement à un trait d’originalité dans la mise en scène. Il n’en est rien et c’est presque là le tour de force du Labyrinthe du Silence. Des plans parfaitement académiques, des travellings classiques, des couleurs ternes et sobres, des ellipses qui évitent le pathos que l’on redoutait tant. Pas de prouesses techniques mais plutôt une mise en scène en toute discrétion qui ne nous empêche pas d’être happés par cette histoire incroyable. La mise en scène et le cadrage s’effacent pour laisser place à un thriller haletant. Les mains crispées sur ses accoudoirs, l’on attend le dénouement, le redoutant presque. Le scénario, admirablement bien élaboré, est la grande force du film, nous replongeant dans cette Allemagne encore meurtrie, un peu plus de dix ans après la fin du conflit.
Un silence assourdissant
Une quête viscérale de justice imprègne le film de bout en bout. Elle est incarnée par le personnage principal qui mène l’enquête, Radman, interprété sans fausse note par Alexander Fehling, qui nous fait vaciller avec lui dans sa volonté de justice désespérée et fiévreuse qui donne le vertige. Le soupçon s’installe partout et ronge, donne le tournis. L’alcool devient un échappatoire pour Radman, son seul moyen de résister face à une paranoïa grandissante qui prend le pas sur tout. Alors comment vivre cette culpabilité et cette suspicion omniprésente ? Jusqu’à quel point désire-ton la justice et la vérité ? Ce trouble insoutenable est représenté avec une incroyable justesse et l’on en vient à s’interroger sur ce qui est humainement supportable, sur le prix à payer pour connaître la vérité et obtenir justice. Écœuré par l’ignoble médecin Mengele qui incarne à lui seul les monstruosités d’Auschwitz, on sort de la salle avec une nausée presque insupportable.
Cette période pourtant proche est presque oubliée tant elle nous parait incroyable aujourd’hui. Le tabou des camps de concentration de cette période a laissé place à la mémoire. Ces années amnésiques ne doivent pas sombrer dans l’oubli. Le silence est assourdissant. Il plane, lourd, et nous laisse nous perdre dans les méandres du labyrinthe dans lequel il essaie de dissimuler les blessures encore ouvertes. Le titre du film parle de lui-même. La question de mémoire est au centre et le mutisme qui pèse tout au long du long-métrage est infiniment révélateur, parlant bien plus qu’un long discours. Un profond travail historique absolument passionnant. En toute pudeur, il fait ressentir la complexe culpabilité allemande qui touche impitoyablement chacun mais plus encore, le propos a une portée universelle.
Conclusion
Le labyrinthe du silence nous laisse sonné, sans voix, nous faisant ravaler les a priori hâtivement formulés. On sort du cinéma un peu perdu, le regard dans le vague et un goût amer dans la bouche, ce thriller faisant l’effet d’une claque. On peine à reprendre ses esprits suffisamment et à avoir le recul nécessaire pour critiquer la mise en scène peut-être un peu trop classique. L’émotion relègue la technique au second plan et l’on ne peut que saluer un thriller dont on se souviendra longtemps.