Critique : Le Garçon et le Héron

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Le Garçon et le Héron
Japon : 2023
Titre original : 君たちはどう生きるか (Kimi-tachi wa dō ikiru ka)
Réalisation : Hayao Miyazaki
Scénario :  Hayao Miyazaki à partir de l’ouvrage de Yoshino Genzaburô, “Et vous, comment vivrez-vous ?”
Voix françaises : Gavril Dartevelle, Padrig Vion, Juliette Allain, Julie Pilod, Dimitri Rataud : Shoichi, Pauline Belle …
Production : Studio Ghibli
Distribution : Tōhō
Durée : 2h03
Genre : fantastique, historique
Date de sortie : 1er novembre 2023 (France)

5/5


Une décennie après Le Vent se lève, Hayao Miyazaki, le retraité-actif le plus célèbre du monde de l’animation est de retour. Il replante ainsi le décor dans un Japon en guerre (ici la Seconde). Dans ce monde en proie aux conflits et au rationnement, il accueillera un nouvel univers onirique où la violence se mêle à une poésie moins tournée vers la nostalgie du passé que vers les portes d’un avenir à saisir. Dans Le Garçon et le Héron, des éléments autobiographiques viennent côtoyer la magie d’une fiction à la compréhension retorse. Loin de céder à la facilité, le réalisateur phare du studio Ghibli et son équipe renouvellent leurs motifs et imposent un spectacle sensoriel prodigieux qui risque de désarçonner le grand public. 

Synopsis : Suite à événement tragique, Mahito quitte Tokyo pour la campagne dans une famille recomposée. S’adaptant difficilement à cette nouvelle vie rurale, le jeune garçon va progressivement basculer dans un univers magique étourdissant qui semble défier les lois du temps et de l’espace … 

Le Voyage de Mahito

“Et vous, comment vivrez-vous ?” C’est sur cette adresse que se conclut le roman de Yoshino Genzaburô qui a servi de terreau au Garçon et le Héron. Cet ouvrage didactique ayant paru dans un contexte de guerre sino-japonaise est décrit dans la quatrième de couverture de son éditeur français, Picquier, comme un “manuel à l’usage des êtres humains”. Et c’est ainsi que Miyazaki semble avoir fait sien le cœur de cet ouvrage dont il n’a conservé que peu d’éléments du récit originel. Qu’importe tant la substantifique moelle a été soigneusement préservée par l’équipe du film à travers, notamment, une mise en abîme dialoguant avec l’histoire personnelle de son auteur et le motif de la transmission chéri par son auteur, ici de cet ouvrage humaniste réel laissée dans la fiction par une mère disparue à son fils en mal de repères. Le Garçon et le Héron porte ainsi mal son titre, ou du moins, pas totalement bien. Si le héron sardonique du film de Miyazaki est un compagnon de premier plan au jeune héros, il n’en est pas l’enjeu exclusif du récit, pas plus que leur relation aussi conflictuelle qu’ambiguë. Il est un élément connexe à une aventure intérieure qui va déboucher sur une maturation du jeune garçon endeuillé qui va se révéler au contact des autres disséminés dans cette curieuse dimension parallèle ; un monde qui semble à la fois proche du sien et en même temps si différent par les phénomènes et les créatures magiques qui y surviennent. Le récit semble ainsi prendre autant à la fiction (il s’inscrit dans la tradition des héros miyazakiens) qu’à la réalité (de nombreux éléments font écho à la biographie de son auteur, le héron symbolisant Toshio Suzuki, le président du Studio Ghibli, et le grand oncle-démiurge (ré)incarnant le regretté comparse de Miyazaki, l’autre versant de l’âme du studio, Isao Takahata). Le Garçon et le Héron s’inscrit ainsi profondément dans la lignée du studio où le réel ne cède pas tout au merveilleux : au contraire, le merveilleux ne peut servir de secours éternel aux êtres humains atteints du vertige des catastrophes du monde. C’est une leçon à acquérir aussi bien au niveau de la fiction pour Mahito que de la réalité du spectateur dans un contexte où les troubles nous éclaboussent autant qu’ils fragilisent notre ancrage au réel.

© 2023 Studio Ghibli / Tōhō / Wild Bunch Distribution / Tous droits réservés
© 2023 Studio Ghibli / Tōhō / Wild Bunch Distribution / Tous droits réservés

Le spectateur et le monde

Véritable récit d’apprentissage, Le Garçon et le Héron, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre de son réalisateur multi-retraité, est un coming of age qui invite le spectateur à recouvrer une vision copernicienne de la vie (à l’instar du roman qui l’exprime explicitement). Il s’érige ainsi à travers le motif de l’ouverture qui se démultiplie à travers ces portes qui s’ouvrent et qui se ferment sans relâche sur différentes temporalités pour une oeuvre peu réductible au résumé. Le film imprime la rétine de séquences impressionnantes. La La scène inaugurale de l’embrasement de cet hôpital qui emporte la mère du jeune homme impuissant au milieu de la désolation, le design fascinant de ce héron humanoïde qui s’avale et s’extirpe à son gré ou bien le lâcher de perruches impétueuses constituent des souvenirs visuels mémorables. Outre la composition de l’image, le spectateur ressent et vit la dialectique entre la vitesse ahurissante de certaines créatures ou phénomènes et le statisme de certaines séquences contemplatives qui (re)posent le récit et en module la frénésie. La dynamique du film repose ainsi sur le paradoxe d’un « foisonnement tranquille » qui peut jurer avec les grosses productions actuelles. Et c’est tant mieux au regard des premiers chiffres (exceptionnels) dans les salles françaises qui annoncent une vitalité qui semble ravir les exploitants.

© 2023 Studio Ghibli / Tōhō / Wild Bunch Distribution / Tous droits réservés

Soyons francs : Le Garçon et le Héron pourra désarçonner le public par une narration multidimensionnelle qui passe par les images sublimes, hallucinées et hallucinantes (savamment orchestrée par le grand directeur d’animation Takeshi Honda) de cette épopée qui prend progressivement une véritable dimension métaphysique. Mais qu’importe car l’expérience cinématographique où l’animation côtoie les cimes de la quintessence en vaut la chandelle. Miyazaki et son équipe, une nouvelle fois, dispensent une leçon de vie humaniste à une période où le monde est secoué par les conflits et les crises en cascade. Au repli et à l’isolement, il nous invite à rester au monde et apprendre à le vivre, à y vivre malgré tout. 

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