Le Discours
France, 2020
Titre original : –
Réalisateur : Laurent Tirard
Scénario : Laurent Tirard, d’après le roman de Fabrice Caro
Acteurs : Benjamin Lavernhe, Sara Giraudeau, Kyan Khojandi et Julia Piaton
Distributeur : Le Pacte
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h28
Date de sortie : 9 juin 2021
3/5
Tiens, cela aurait pu faire un drôle de lien avec l’actualité, si Le Discours avait pu sortir sur les écrans français aujourd’hui. On ne vous révèle en effet pas grand-chose en vous disant que cette comédie douce-amère commence avec l’anecdote sur le suicide raté du chanteur punk Darby Crash. Raté pourquoi ? Parce qu’il a eu lieu quelques heures à peine avant l’assassinat de John Lennon il y a quarante ans. Un événement historique dont les pages culture de divers médias ne peuvent pas nous rappeler assez l’importance, avant de passer au cycle suivant consacré – on le craint – au probable report de la réouverture des cinémas, théâtres, salles de concerts et autres musées. Peu importe après tout quel mercredi le huitième long-métrage de Laurent Tirard sortira finalement, le 23 décembre ou plus tard, puisque son message plutôt nuancé sur le pouvoir de l’amour pourrait bien remonter le moral des spectateurs, éprouvés par cette période de confinements sans fin.
Quel rapport avec l’accumulation malheureuse de morts violentes chez les célébrités du monde musical fin 1980 ? Ce fait divers sert d’amorce au personnage principal du film pour nous signifier directement, en s’adressant à la caméra, que rien n’est couru d’avance, que rien ne se laisse prévoir. Or, c’est peut-être justement cette once de spontanéité, cette volonté de s’affirmer tout en lâchant prise, qui font défaut à cet homme fraîchement largué par sa copine. Un individu en tous points pathétique, voire antipathique, que seule l’interprétation de Benjamin Lavernhe, enfin propulsé tout en haut de l’affiche, permet de rendre intéressant. Sans doute pas assez pour adoucir son regard plein d’aigreur sur le monde qui l’entoure. Mais néanmoins suffisamment afin de nous garder alertes sur le fil ténu entre sa complaisance narcissique et sa mise en question des aspects les plus ringards de notre civilisation.
Synopsis : Cela fait plus de trente jours que Sonia, la copine d’Adrien, l’a quitté, soi-disant pour faire une pause. Depuis, Adrien ne sait plus du tout où il en est. Finalement, il craque et lui envoie un texto. Tout au long d’un dîner familial des plus routiniers, il attend avec impatience sa réponse. Son angoisse monte encore d’un cran, quand son futur beau-frère Ludo lui demande de préparer un discours pour le mariage de sa sœur Sophie.
Dans la tête d’Adrien
Par essence, le cinéma est un art / un divertissement, dont la vocation principale est de faire entrer le spectateur dans un univers qui lui est étranger. Ce principe est poussé à son extrême limite dans Le Discours, où ce monde consiste en la conscience du personnage principal. Pendant une heure et demie, on assiste en effet à un monologue névrotique en guise d’introspection vaguement salutaire, au cours duquel Adrien se bat contre ses démons. Et des casseroles, il y en a dans la vie de ce trentenaire d’ores et déjà submergé de regrets. Ni l’optimisme, ni la lucidité ne sont ainsi le point fort de ce pleurnichard, enfermé dans sa bulle du grand timide, incapable d’exprimer ouvertement toutes les frustrations qui lui pourrissent la vie. Ou peut-être si, justement, ce fils docile et taciturne, cet amant qui suit plus qu’il n’entraîne, est-il précisément si malheureux en raison de la prise de conscience de toutes ces choses qu’il se sent incapable d’accomplir.
Comme le titre du film l’indique en quelque sorte, sa plus grande hantise est de tenir un discours bien comme il faut lors du mariage de sa sœur. Un discours comment ? Là aussi, on n’échappe malheureusement pas au défilé de tous les cas de figure imaginables. Du numéro spectaculaire à l’embarras le plus profond, la mécanique narrative pas forcément convaincante du film évalue quasiment toutes les possibilités. A chaque nouvelle version, Adrien devient plus déprimé. Surtout, cette appréhension grandissante révèle à quel point il se sent déconnecté du monde qui l’entoure. La seule parenthèse dans la routine petite-bourgeoise du repas familial, rythmé depuis des années par les mêmes plats et les mêmes sujets de conversation, c’était sa relation déjà un peu plus fusionnelle avec Sonia, la toujours aussi fragilement pimpante Sara Giraudeau. Le fait de devoir se mettre en avant au moment de la fête prochaine permettra-t-il à Adrien de reconquérir la femme de sa vie ? Vous verrez bien …
Buvez du jus d’orange
Pourtant, le cœur du film n’est pas nécessairement là. Il s’emploie davantage à battre en faveur d’un démontage en règle de ce faux sentiment de sécurité affective régnant autour de la table familiale d’Adrien. Un simulacre d’entente cordiale surchargé de non-dits auquel le personnage principal se prête de moins en moins de bonne grâce. A tel point qu’on a parfois du mal à déceler autre chose que du dédain et même de la haine dans ses commentaires sur les deux couples assis respectivement à sa droite et à sa gauche. Car au fond, sa façon de voir presque toujours le verre à moitié vide s’applique autant à la génération des parents, François Morel en père aussi bavard que superficiel et Guilaine Londez en mère effacée, qu’à celle d’un pendant contemporain guère moins ennuyeux que lui, Julia Piaton la nouvelle sœur ou belle-sœur de service du cinéma français et Kyan Khojandi en exemple parfait de ce phénomène social douteux des anciens geeks, pas encore prêts à assumer les responsabilités de la vie conjugale.
Le propos sur ce microcosme d’une banalité consternante se démarque par une singulière absence de complaisance. Qu’on se comprenne bien, la perspective d’Adrien pourrait difficilement être plus nombriliste. C’est alors celle de la mise en scène qui prend astucieusement la relève. En transformant la bile de l’apitoiement sur soi que le personnage principal déverse sans relâche en quelque chose de plus poignant, de moins stérile. Bien qu’il adopte sans le moindre équivoque le point de vue de ce grand frustré de la vie, coincé dans l’éternel retour du rite familial, Laurent Tirard arrive à garder une distance saine à l’égard de tant de geignement. Il sait simultanément accompagner son personnage dans ses tirades intimes à la valeur philosophique discutable et en souligner assez subtilement les nombreuses failles. Ce qui nous paraît tout de même remarquable dans le contexte d’une comédie somme toute populaire, qui cherche éventuellement plus à faire réfléchir qu’à provoquer la franche rigolade.
Conclusion
Le Discours, la comédie familiale de Noël par excellence ? Permettez-nous de douter de cette stratégie commerciale pleinement opportuniste juste avant les fêtes de fin d’année. Si tant est que le film de Laurent Tirard puisse effectivement sortir à ce moment-là … Mais peu importe, l’essentiel du récit se trouve ailleurs : dans sa capacité à éveiller doucement chez le spectateur la volonté de ne pas se contenter du train-train quotidien, de croire en la possibilité de changer même les aspects les plus prévisibles de la vie de chacun d’entre nous !
super film tres marrant et malin